Interview Emmanuelle Cause - Secrétaire générale de l'UIPI

Emmanuelle Causse est secrétaire générale de l’Union Internationale des Propriétaires Immobiliers (UIPI) depuis 2020. Elle était auparavant directrice du bureau de Bruxelles depuis 2009.  
L’UIPI est une association européenne à but non lucratif, créée en 1923, composée de 31 organisations dans 28 pays. Elle représente plus de 5 millions de propriétaires privées et 20 à 25 millions de logements dans toute l’Europe. Elle a pour but de favoriser le développement de la propriété immobilière privée en Europe, de promouvoir des conditions économiques, juridiques et fiscales favorables au secteur de l’immobilier privé, à l’accession à la propriété et au secteur locatif privé et de démontrer le rôle de la propriété privée dans la société. 

Qu’est-ce que l’EPBD et en quoi cette directive va-t-elle influencer les propriétaires privés européens ? 

La nouvelle Energy Performance of Buildings Directive (EPBD : directive sur la performance énergétique des bâtiments en français) actuellement discutée va avoir un impact considérable sur les propriétaires privés européens alors même que le sujet est assez méconnu et assez peu abordée dans les médias en France. En hexagone, actuellement, n’est appliquée qu’une obligation d’atteindre des minimums de performance énergétique que pour le propriétaire bailleur. Elle n’est pas mise en œuvre pour les propriétaires occupants. Cela devrait changer avec la refonte en cours au niveau européen.   
La véritable question sera en effet de savoir comment les états membres vont-ils la transposer et quelles mesures devront-ils adopter pour remplir leurs obligations ? Selon la mouture initiale de la Commission européenne tous les bâtiments devaient atteindre un niveau de performance E d’ici 2033. Le Parlement vient de renforcer cette obligation et demander du D à la même date. Mais cette catégorie ne sera pas forcément la catégorie D existante puisque le classement sera basé sur un nouvel étalonnage, avec des critères plus stricts pour les bâtiments neufs classés A et avec d’office 15% de bâtiments les plus énergivores classés G. Pour la France, qui vient de changer son certificat, il semblerait qu’ils aient potentiellement réussi à obtenir une dérogation de quelques années – au-delà des 2025 prévu – pour réétalonner leur certificat. Mais tout reste à voir et ce sera forcément très complexe à mettre en œuvre et cela risque de créer une certaine insécurité juridique.   

Quelles seront donc les obligations ?  

Tous les scénarios sont ouverts pour mettre ces mesures en place et le financement reste une grande inconnue. Il y a une obligation claire de résultat : atteindre un certain niveau de performance d’ici 2033 quel que soit le type de bâtiment ou de propriétaire. De facto, cela obligera les Etats membres à mettre en place des obligations strictes pour atteindre ces résultats. Il sera impossible pour eux de se conformer aux obligations avec seulement des mesures incitatives, même chez les propriétaires occupants, et de financer la rénovation de l’ensemble du stock. D’ailleurs, l’impact de cette directive sur notre secteur a toujours été important. Il suffit de regarder en arrière : les standards actuels pour les nouveaux bâtiments, les certificats d’énergies… Toutes ces mesures viennent des versions successives de l’EPBD dont la première date de 2002. Nous en sommes aujourd’hui à la quatrième révision du texte, c’est beaucoup. Chaque version a eu des impacts plus importants sur les propriétaires que les moutures précédentes.  
Il n’est donc pas étonnant que le bureau de l’UIPI à Bruxelles ait été créé au moment de de la deuxième révision de l’EPBD. Ce texte a fait comprendre à nos membres l’importance de faire du lobbying à Bruxelles.  

15% : c’est le pourcentage de bâtiments les plus énergivores classés G d’office

L’UIPI défend les propriétaires au niveau européen. Quels ont été vos actions tout au long du processus législatifs ? 

Nous étions présents bien en amont de la publication officielle du texte. Dès 2020, nous avions anticipé la nouvelle mouture de l’EPBD. Durant la préparation de l’étude d’impact, nous nous sommes appuyés sur l’exemple français car c’était le seul pays (avec le Royaume-Uni) à avoir mis en place un système similaire. Tout en questionnant le manque de recul suffisant pour jauger l’impact et donc élaborer de telles mesures, nous percevions déjà les problèmes que de telles mesures pourraient poser.  
Par ailleurs, nous avons dès le départ questionné le possible manque de légitimité de l'UE à agir au regard des principes d’attribution de compétence, de subsidiarité et de proportionnalité. C’est d’ailleurs au vu du manque de compétence en matière de logement et de baux que la proposition de la Commission n’a pas mis en place des obligations au moment de la vente et de la location, comme c’était envisagé à un moment, mais a opté pour une obligation de résultat. Au final, cela ne devrait toutefois pas faire une grande différence car comme mentionné les États membres seront obligés de mettre en place des mesures très strictes pour atteindre les objectifs proposés.  

Il y a également eu des phases de concertation avec la Commission. Ce n’est qu’après la publication de la proposition de la Commission en décembre 2021, que le lobbying a vraiment commencé. Le plus gros du travail a été d’intéresser les députés au sujet. L’EPBD fait partie du Green Deal, le plus gros paquet législatif européen jamais publié. Elle a été publiée dans le deuxième bloc législatif du Green Deal, avec de gros sujets comme le gaz et alors qu’il y avait déjà une surcharge législative après la première vague du Green Deal. Cette directive été perçue comme très technique et plutôt consensuelle.  

Tous les bâtiments devaient atteindre un niveau de performance E d’ici 2033.

Le rapporteur écologiste du Parlement, Ciaran Cuffe, et la plupart des rapporteurs fictifs étaient très ambitieux et voulaient aller très loin et très vite. Nous avons dû travailler sur chaque article, chaque mesure, un à un. Nous avons réussi à faire bouger les choses puisque le texte devait initialement être voté sans problème par la Commission parlementaire à la mi-octobre 2022, il ne l’a été que début février 2023 après de longues et difficiles discussions. 

Il y a eu beaucoup de débats en interne dans certains des grands groupes parlementaires, ce qui a fait bouger les lignes. Nous avons réussi à obtenir des « ajustements » concernant l’obligation du parc résidentiel d’atteindre certains minimums énergétiques mais ces derniers ont été limités par les écologistes et socialistes à seulement 22% des bâtiments résidentiels concernés par la mesure et seulement pour 4 ans sous réserve d’acceptation par la commission… Une mesure qui devrait être très compliquée à mettre en œuvre, mais c’est une ouverture pour les discussions législatives à venir. Nous avons également réussi à passer du C initialement au Parlement au D d’ici 2033 (et donc de l’obligation de rénover 60 à 45% du stock). Les versions initiales du Parlement prévoyaient également une obligation pour tous les bâtiments existants d’avoir un certificat d’énergie, l’installation de panneaux photovoltaïques sur tous les bâtiments en Europe d’ici 2030 ou encore l’interdiction rapide des chaudières à gaz. Et ce n’est que quelques exemples ! Le texte final adopté par le Parlement n’est peut-être pas parfait mais il est déjà bien plus réaliste qu’il ne l’était encore en octobre dernier. Nous sommes partis de très loin avec beaucoup de vents contraires.   

D’un sujet qui pouvait passer inaperçu, nous sommes passés à l’un des plus discuté du Green Deal. C’est là peut-être notre plus gros succès. 

On a aussi beaucoup compté sur nos membres. Les suédois, les italiens, les allemands ou encore les finlandais ont beaucoup travaillé avec leurs parlementaires au-delà des contacts que nous avons-nous même établi. C’était un véritable travail de terrain. Nous sommes restés ouverts au compromis en prenant une position ferme mais constructive, ce qui nous a permis d’être écouté.  

Comment envisagez-vous la suite ? 

Les trilogues, négociations entre le Conseil, le Parlement et la Commission, vont commencer prochainement. Le texte sera ensuite formellement validé par le Parlement et le Conseil. Nous pensons que l’approche proposée par le Conseil et les États membres, de mettre en place des objectifs pour le résidentiel au niveau du secteur et non de chaque bâtiment, offre plus de flexibilité pour permettre aux États membres des actions plus ciblées. Ce dernier a adopté son approche générale en octobre. L’accord du Conseil est assez fragile car beaucoup de pays voulaient plus de flexibilité comme l’Italie ou la Pologne. Mais la France et l’Allemagne, soutenus par le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Irlande, poussaient pour plus de sévérité et d’ambition  

Le Parlement a, lui, adopté sa position en mars. Ces discussions vont être intéressantes car les positions de certains Etats membres ont quelque peu évolué depuis l’accord du Conseil. De nombreuses voix s’élèvent pour dire le texte va trop loin, notamment en Allemagne. Deux des partis de coalition allemands, notamment la ministre socio-démocrate de la construction et du logement, commencent à critiquer certaines provisions.
Beaucoup de points sont encore ouverts. C’est donc difficile de savoir ce qu’il va se passer.  

Nous pensons que le texte sera adopté d’ici la fin de l’année, sous la présidence espagnole.  

Que pensez-vous de la situation actuelle pour les propriétaires en Europe ? 

La situation devient difficile dans beaucoup de pays avec des attaques de plus en plus nombreuses et virulentes sur la propriété immobilière privée et les propriétaires ces dernières années. C’est un bouc émissaire assez facile. La situation dans certains pays est très grave notamment en Espagne, où le squat est presque légitimé. En parallèle, le contrôle des loyers est de plus en plus fréquent. Il est notamment appliqué en France avec un encadrement et un plafonnement des loyers dans certaines villes. Les mesures régressives se multiplient. Notre rôle est de démontrer que nous avons un rôle positif dans la société et que le propriétaire est une partie de la solution et non la cause des problèmes. C’est le rôle de l’UIPI d’insister sur le bien-fondé de la propriété.  

 

Propos recueillis par Juliette MARTIN

Source : 25 millions de propriétaires et vous • N°572; avril 2023

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