DPE : Le logement sous pression

TRANSITION — DPE. Ces trois lettres ne soulevaient qu’une solide indifférence durant quinze ans. L’influence du diagnostic restait extrêmement limitée, et d’ailleurs, il n’avait d’autre vocation que d’informer et de sensibiliser les locataires ou les acquéreurs. Rien de plus. La loi Climat et résilience est passée par là, elle a rendu ce DPE tout-puissant : gel des loyers des logements F et G, interdiction de location d’une passoire… Un pouvoir énorme pour un outil qui n’avait pas été taillé pour ça à l’origine.

 

L’histoire a mal commencé. Malgré une longue gestation de plus de deux ans, le nouveau DPE mis sur orbite en 2021, contre l’avis même de plusieurs fédérations de diagnostiqueurs, n’était toujours pas prêt. En quelques semaines, le nombre d’étiquettes F et G explose. On court à la catastrophe. Avec deux fois plus de passoires que le gouvernement n’imaginait, le calendrier des rénovations de la loi Climat et résilience, à peine votée (août 2021), ne tient plus. La ministre du Logement de l’époque, Emmanuelle Wargon, interviendra en personne pour désamorcer cette bombe à retardement. La méthode de calcul sera revue et corrigée, et les DPE avec une étiquette F et G édités au cours des premiers mois seront systématiquement réédités. Mauvais départ.

 

Dans la boîte noire du DPE

Plus de deux ans ont passé, la critique ne s’est jamais vraiment apaisée. Pas une semaine sans que le diagnostic ne soit égratigné. Christian Cardonnel, ingénieur thermicien devenu consultant, connaît bien la méthode 3CL, la « boite noire » qui fait tourner ce DPE. Il énumère sans mal les imperfections du diagnostic. « Au niveau des diagnostics, il y a d’abord la saisie d’informations, avec le recours à des valeurs par défaut qui conduisent à surestimer les données », explique-t-il. Quand l’opérateur ne peut accéder à la chaudière, quand aucun document ne renseigne l’isolation dissimulée par un placo, pas d’autre choix, il utilise alors des valeurs par défaut délibérément pénalisantes. Une façon d’encourager les propriétaires à communiquer un maximum de données. La saisie des données n’explique pas tout. Malgré des correctifs incessants depuis 2021 (une trentaine selon un éditeur de logiciels DPE !), la méthode de calcul manque encore de précision. « Les données climatiques ne sont pas toujours bien prises en compte comme les apports solaires. Du coup, les besoins en chauffage sont plus importants, ce qui dégrade automatiquement la note DPE », poursuit Christian Cardonnel. Le consultant évoque aussi un manque de finesse dans le calcul du DPE. « Aujourd’hui, si un propriétaire choisit d’installer par exemple une pompe à chaleur un peu plus sophistiquée, elle ne sera pas forcément prise en compte. »

 

Les petites surfaces disqualifiées

Au-delà de ces imperfections, deux failles inquiètent tout particulièrement. À la tête de la Chambre des diagnostiqueurs de la Fnaim, Yannick Ainouche regrette une « fâcheuse tendance à déclasser systématiquement les petites surfaces ». Plus le logement est petit, plus il a des chances de se trouver étiqueté comme passoire. La preuve par les chiffres. L’Observatoire du DPE, piloté par l’Ademe, compile tous les diagnostics réalisés depuis 2021. Parmi plus de 7,5 millions de DPE enregistrés à fin décembre, 14 % des logements écopent d’une classe F ou G. Mais si on considère les logements plus petits avec une surface de 40 m² maximum, la proportion grimpe à 25 %. Et si on abaisse encore le curseur, en ne gardant que des studettes de moins de 15 m² (type logement étudiant), 60 % se retrouvent classées comme passoires. « À un propriétaire qui possédait deux studettes classées G, je lui ai conseillé de les regrouper en un seul espace, en coliving. Résultats, la surface, plus grande, est désormais classée E », confie Christian Cardonnel. Le défaut dans la méthode est connu de longue date. « Les besoins en eau chaude sanitaire sont calculés de façon forfaitaire. Dans un petit appartement de 20-30 m², les besoins d’ECS ramenés au m2 sont deux fois plus importants », explique notre consultant. Un cumulus de 150-200 litres, disproportionné pour un studio, se solde donc par une mauvaise étiquette. Ce n’est pas le seul facteur aggravant. Christian Cardonnel retient aussi « une surface déperditive beaucoup plus importante » et « sur la VMC, des forfaits très pénalisants pour les petits logements ». Un malencontreux cumul de facteurs qui aboutit à disqualifier une grande partie des petites surfaces avec le risque de déséquilibrer (un peu ? beaucoup ?) le marché du locatif alors que les échéances prévues par Climat et résilience approchent à grands pas.  Au 1ᵉʳ janvier 2025, un logement en location devra afficher au moins une étiquette F, sous peine de ne plus être décent. Selon les statistiques officielles, 670 000 logements locatifs restent aujourd’hui classés en G. Face à cette menace, tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Toujours selon l’Observatoire du DPE, à Paris, 46 % des studios de moins de 20 m² sont actuellement classés en G. Le risque d’atrophie du parc locatif ne peut être négligé. D’autant plus lorsqu’on sait combien les étudiants ont déjà du mal à trouver un logement dans la capitale aujourd’hui.

 

Le bâti ancien injustement pénalisé

Le DPE n’est pas seulement injuste avec les petites surfaces, il l’est aussi avec le bâti ancien. « Certaines qualités intrinsèques des matériaux anciens comme le torchis ou la terre crue par exemple ne sont pas prises en compte à leur juste valeur », observe Yannick Ainouche. Résultat, les bâtiments d’avant 1948 se trouvent souvent pénalisés. Six diagnostics sur dix réalisés dans le logement ancien écopent d’un E, F ou G (respectivement 29 %, 17 % et 14 %), les trois classes ciblées par la rénovation dans la loi Climat et résilience. Pour le G7 Patrimoine, groupement de sept associations du patrimoine, ce classement est loin de refléter la réalité. Preuve scientifique à l’appui. Au début des années 2010, le Creba (Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien) avait mené une étude très poussée pour mesurer la réelle performance énergétique d’un panel de bâtiments anciens. Le bilan se révélait plutôt éloquent : des bâtiments parfois classés en F ou G selon le DPE avaient en réalité une consommation énergétique équivalant à une étiquette D, voire C ! Cela change tout : des logements anciens aujourd’hui vus comme des passoires thermiques n’ont pas forcément besoin d’une rénovation lourde. Puisque le thermomètre n’est pas bon, comment le remède pourrait-il être approprié ? Les acteurs du patrimoine s’inquiètent. La rénovation standardisée du bâti ancien risque parfois de faire plus de mal que de bien, en dénaturant l’architecture, mais aussi en donnant naissance à des pathologies. Le bâti ancien emploie souvent des matériaux sensibles à l’humidité, qui ont besoin de respirer. L’isolation ne peut donc se faire n’importe comment avec n’importe quels matériaux, sous peine de créer de la condensation et de favoriser toutes sortes de champignons.

Un DPE fiable mais améliorable

En pleine crise du logement, le DPE est devenu une véritable bombe. Sous forme de question écrite ou orale, voire de proposition de loi, il ne s’écoule pas une semaine sans qu’un parlementaire n’interpelle le gouvernement. Le DPE crée des remous jusqu’au sein de la majorité. En octobre, au micro de Sud Radio, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, suggérait à son tour de corriger le DPE : « Changeons le diagnostic énergétique puisque visiblement, ce n’est pas le bon indicateur ». Changer le diagnostic, plus facile à dire qu’à faire. Du côté du ministère du Logement, il y a à l’évidence une forme d’embarras. Impossible de réformer le diagnostic, cela prendrait du temps, l’urgence climatique commande. Pour Christian Cardonnel, toucher à la méthode de calcul, c’est aussi prendre le risque de désavouer tous les DPE réalisés depuis deux ans : difficile d’expliquer à un propriétaire que son studio, classé F en 2022, serait demain plutôt du E ou du D. À l’automne, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, avait estimé que le DPE était un outil « robuste », mais néanmoins « améliorable ». « Aujourd’hui, le moteur est fiable, mais il nécessite encore des ajustements, renchérit Yannick Ainouche. Deux typologies de biens méritent des aménagements : les petites surfaces et l’ancien. » Le président de la Chambre des diagnostiqueurs était récemment reçu au ministère du Logement, des corrections interviendront courant 2024. « Les dysfonctionnements sont clairement identifiés sur les petites surfaces, nous avons bien avancé avec le ministère du Logement. Nous avons bon espoir d’obtenir un coefficient de pondération dans la méthode d’ici quelques semaines. » De quoi repêcher de nombreux studios et T1 aujourd’hui menacés par la non-décence énergétique. Pour l’ancien, en revanche, « le sujet est moins abouti », regrette le président de fédération. Un effort sera mené sur la formation des diagnostiqueurs, mais aucune modification concrète dans la méthode de calcul n’est pour le moment évoquée. Yannick Ainouche reste cependant confiant : « J’espère que nous aurons également une adaptation du DPE d’ici la fin d’année. » Ces corrections techniques seront complétées par un renforcement de la compétence des diagnostiqueurs. À partir du 1ᵉʳ juillet 2024, la certification DPE indispensable à l’exercice du métier sera (beaucoup) plus musclée avec davantage de formation initiale et continue, davantage de contrôles. Le président de la Chambre des diagnostiqueurs met cependant en garde : malgré toutes les réformes possibles et inimaginables, l’outil ne sera jamais parfait. « Le DPE n’est pas une science exacte, puisqu’il se base sur des consommations standardisées et non sur les consommations réelles. »

DPE à tout à faire

Peut-être en demande-t-on trop à ce diagnostic qui à sa naissance, en 2006, n’avait d’autre vocation que d’informer les propriétaires. « Le DPE a été bâti pour obtenir un outil conventionnel et permettre un comparatif entre les biens. Mais aujourd’hui, on veut tout lui faire faire », remarque Christian Cardonnel. En l’espace de trois ans, il est devenu un outil incontournable dans la politique de la rénovation énergétique sur lequel le gouvernement s’appuie toujours un peu plus. En 2024, le DPE devient aussi un passage obligé en cas de rénovation énergétique. S’il veut obtenir l’aide MaPrimeRénov’, le propriétaire doit attester de sa classe énergétique. En 2024 toujours, le DPE collectif entre progressivement en service d’abord dans les grosses copropriétés (celles de plus de 200 lots) avant de se démocratiser aux moyennes et petites copropriétés en 2025-2026. On y retrouve la fameuse méthode de calcul 3CL-DPE, celle aujourd’hui critiquée, et pourtant étendue aux audits énergétiques ou au label BBC-Rénovation. Il y a aussi fort à parier que le DPE ne rattrape également les meublés touristiques aujourd’hui épargnés par la loi Climat et résilience et son cortège d’obligations. La mesure soutenue par le gouvernement figure dans une proposition de loi transpartisane actuellement en discussion. C’est le paradoxe d’un outil vivement critiqué qui n’en finit pas de gagner du terrain. Mais comment faire autrement ? Si on admet que la rénovation est indispensable, alors il faut bien un diagnostic. Comme chez le toubib, avant de songer au remède, il faut nécessairement un diagnostic précis. Remplacer le DPE par l’audit énergétique ? C’est oublier que les deux prestations s’appuient désormais sur la même méthode de calcul 3CL. Et puis, pour le propriétaire, le coût n’est pas le même : comptez 500-600 euros au bas mot pour l’audit. Ce diagnostic doit rester accessible. Alors, peut-être faut-il changer la méthode de calcul ? Pourquoi pas. Du côté du CSTB (2), on y réfléchit. Un projet baptisé « Cible » laisse entrevoir un nouveau moteur de calcul avec la vocation de servir tous les usages, la construction, la rénovation, la gestion du bâtiment. Un chantier prometteur auquel participe Christian Cardonnel. Mais il faudra se montrer patient puisque « le cahier des charges doit être achevé pour fin 2025. » Autant dire que cette méthode de calcul n’est pas pour tout de suite. Cette fois, on veut éviter la précipitation, l’outil a besoin de temps, même si l’urgence climatique commande d’aller toujours plus vite.

 

ÉTUDE

L’envol de la valeur verte

Dix ans que les notaires de France mesurent l’influence du DPE sur les transactions. Dans leur dernière étude sortie en novembre, ils observent le poids croissant du diagnostic sur les volumes de vente en 2022, mais aussi sur les prix. « L’année 2022 se démarque par une forte augmentation de la part des ventes de logements les plus énergivores (étiquettes énergie F et G) », selon les auteurs de l’étude. Comme si les propriétaires de passoires cherchaient à s’en séparer avant que le couperet ne tombe. Le volume des ventes de logements en G, rattrapés dès 2025 par la décence énergétique, aurait même doublé en 2022. Une mauvaise étiquette incite donc les propriétaires à vendre, mais elle semble aussi avoir une sérieuse incidence sur les prix. Par le passé, les notaires avaient déjà démontré cette valeur verte qui se traduit tantôt par une plus-value pour les biens vertueux classés A, B ou C, tantôt par une moins-value pour les passoires énergétiques. En 2022, les écarts de prix se creusent. Y compris pour les appartements et les zones tendues où la valeur verte demeurait peu perceptible. Par rapport à une étiquette D, la moins-value peut désormais aller jusque -11 % pour un appartement F ou G et -22 % pour les maisons selon les régions. À l’inverse, une bonne étiquette est synonyme de plus-value : jusqu’à 20 % pour les appartements et 15 % pour les maisons. « La valeur verte des logements », études statistiques immobilières, les notaires de France, novembre 2023.

 

RÈGLEMENTATION

Une jurisprudence qui reste à écrire

Que risque le propriétaire en cas de DPE erroné ? Jusque 2021, disons-le, pas grand-chose. Dans le Code de la construction et de l’habitation, le DPE était d’ailleurs réputé n’avoir qu’une valeur purement informative dans la relation vendeur-acquéreur. À moins d’un dol, seul le diagnostiqueur immobilier qui avait commis une erreur se trouvait réellement exposé. La jurisprudence témoigne de nombreuses condamnations au titre de la perte de chance où l’acquéreur est indemnisé pour ne pas avoir pu négocier le bien à un prix plus avantageux en raison d’une performance énergétique inférieure. Ça c’était avant. Les DPE produits depuis juillet 2021 sont désormais opposables, l’acquéreur ou le locataire peut se retourner contre son vendeur ou bailleur et l’attaquer en justice. Avec des prétentions plus larges que la simple perte de chance en demandant par exemple la réparation intégrale du préjudice. Autrement dit, la prise en charge de tous les travaux permettant d’atteindre la performance énergétique inscrite dans le DPE remis au moment de la transaction.

 

Tribune « La nécessaire révision du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) »

ÉCLAIRAGE Les propriétaires bailleurs sont désespérés et voient avec stupéfaction leur bien dévalorisé sur la base de classements DPE difficilement compréhensibles. Cet article apporte un éclairage de terrain sur les difficultés engendrées par les modes de calcul du DPE et propose certaines préconisations.

 

À l’origine, le DPE était juste informatif et basé sur 2 méthodes de calcul imparfaites :

> Relevé de consommations (basé sur les factures réelles des occupants) 

Le relevé de consommation s’est avéré très aléatoire : en fonction de l’occupation des locaux, du mode de vie des occupants et des périodes de présence dans le logement, les résultats pouvaient aller du simple au double.

> Calcul théorique (modélisation mathématique du logement - méthode dite 3CL)

La deuxième méthode possède aussi de nombreux défauts. Il est difficile de modéliser les déperditions thermiques d’un logement. Par exemple, comment savoir si un toit terrasse est isolé ? Dans le cas des immeubles avec chauffage collectif, les contradictions sont nombreuses. La consommation de chauffage facturée est souvent basée sur un prorata de la consommation globale de l’immeuble. Donc si un copropriétaire isole son logement, il obtient un meilleur classement mais la consommation facturée reste la même !

 

La réforme de 2021

En 2021, le gouvernement a décidé de modifier en profondeur le DPE :

> en ne conservant qu’une seule méthode (calcul théorique),

> en intégrant dans le classement les gaz à effet de serre (GES).

Pendant 15 ans, le DPE était un document sans valeur juridique. Du jour au lendemain, il devient l’outil de mesure guillotine qui applique la sanction ultime au bailleur : l’interdiction de louer son bien.

 

Des évolutions incompréhensibles

Les changements de mode de calcul du DPE rendent le dispositif abscons.

Tous ces DPE, réalisés sur un même logement, sont pourtant règlementairement corrects.

 

La difficulté d’obtenir l’exhaustivité des données

Il faut aussi aller sur le terrain pour comprendre l’activité d’un diagnostiqueur. Il réalise le DPE mais aussi le mesurage, le contrôle électrique, gaz, la recherche d’amiante, de plomb, de termites. Ce sont plusieurs heures qui sont nécessaires pour recueillir l’ensemble des données. Le rendez-vous avec le locataire a été pris à 17 heures car il n’était pas disponible avant. Difficile de recueillir sereinement les données dans ces conditions. De plus, les délais imposés sont souvent courts, car « la signature est prévue dans 3 jours ». On ne peut donc attendre le retour d’informations du syndic. Pour un appartement, la modélisation prend en compte des informations collectives, liées à l’immeuble, et aussi des données sur les locaux mitoyens. Ces données sont difficiles à collecter.

 

Une faible représentativité des DPE

Monsieur Christophe ALOISIO, directeur général de l’OPH des Hautes-Alpes, a alerté récemment le ministère du logement sur les écarts parfois délirants qui peuvent exister entre le calcul théorique et les consommations réelles. Pour certains immeubles, les consommations théoriques sont 5 fois supérieures aux consommations réelles. Les logements sont donc considérés comme des « passoires thermiques » (avec interdiction de louer à la clé) alors que les consommations réelles sont très acceptables. Un classement qui serait basé sur les consommations réelles permettrait d’obtenir des classements en C ou D, presque vertueux ! Il peut exister un fort décalage entre les consommations théoriques et les consommations réelles : logement mitoyen très peu chauffé, brûleur mal réglé, température maintenue à 23 °C, … La méthode 3CL donne le même résultat au-delà de 800 m d’altitude, quelle que soit l’altitude. Ainsi deux logements identiques auront les mêmes consommations théoriques à 850 m et 1 400 m d’altitude ! Pour le bâti ancien on constate généralement que les consommations réelles sont inférieures aux prédictions du logiciel.

 

Quelle est la pertinence du classement d’un DPE ?

Le classement DPE est censé permettre de recenser les « passoires thermiques ». Cette vilaine expression est utilisée pour mettre au ban les bailleurs dont les biens ont une forte consommation d’énergie au m2. Pourtant, certains biens correctement isolés peuvent être mal classés :

> les biens de petites surfaces (studio) car ils utilisent une consommation minimale d’eau chaude pour les douches et la cuisine et ils ont proportionnellement plus de murs extérieurs. À Paris, 52 % des studios sont en G. Faudra-t-il les retirer du marché locatif ?

> les biens en altitude. Ils dépensent forcément plus d’énergie au m2 que des logements identiques situés sur la Côte d’Azur. C’est juste que l’air étant plus froid, il faut plus d’énergie pour arriver à 19 °C.

Un dernier sujet sur lequel il faut s’attarder. La consommation calculée est multipliée par un coefficient de pénalisation dénommé « coefficient d’énergie primaire ». Il est de 1 pour le gaz, le bois, le fioul, le charbon, mais de 2,3 pour l’électricité. Le classement d’un bien chauffé avec de l’électricité est donc dégradé d’un facteur 2,3. La méthode de calcul favorise ainsi le gaz, énergie fossile ! Le 11 octobre 2023, 42 sénatrices et sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à supprimer ce coefficient de pénalisation de l’électricité. Si cette proposition est adoptée, des millions de propriétaires de « passoires thermiques » électriques vont se retrouver avec des logements vertueux !

 

Impossibilités techniques et juridiques dans les copropriétés

Comment un copropriétaire pourra sortir de l’étiquette infamante G qui lui a été attribuée ? Il lui faudra obtenir l’accord de la copropriété pour installer une pompe à chaleur sur son balcon et convaincre les autres copropriétaires de la pertinence d’une isolation par l’extérieur. Même avec de la bonne volonté, la réalisation de tels travaux en copropriété dans des délais aussi courts (2025 pour la première échéance) est juste irréaliste.

 

Aberration de la sanction

L’interdiction de louer est particulièrement mal venue car :

> c’est une privation incroyable du droit de propriété (voir l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme de 1789),

> la France manque de logements,

> le DPE pénalise injustement les petits logements, les copropriétés, le bâti ancien, les logements en altitude,

> elle conduit les propriétaires à mettre en place des pompes à chaleur au lieu d’isoler les logements,

> elle place les propriétaires bailleurs dans une insécurité juridique intenable (quid des logements déjà loués),

> le calendrier est irréaliste.

 

Mes préconisations

La vraie solution consisterait, je pense, à considérer les propriétaires comme des entrepreneurs du logement et à les aider à améliorer la qualité des biens loués. En attendant cette réforme des mentalités, il faut à mon avis apporter des amendements aux modes de calcul du DPE et aux textes régissant les rapports locatifs :

> corriger les modalités de calcul des DPE pour les petites surfaces ;

> revoir la grille de classement des biens en altitude ;

> modifier l’algorithme pour le bâti ancien et les immeubles collectifs ;

> assouplir les interdictions de louer pour les biens en copropriétés ;

> prévoir des exceptions à l’indécence en cas d’impossibilité technique, juridique ou économique ;

> revoir le coefficient de pénalisation de 2,3 pour l’électricité ;

> confirmer que les interdictions de louer ne s’appliquent pas aux baux en cours.

 

« Il est possible d’améliorer le DPE »

RENCONTRE — Comment réussir la rénovation énergétique sans asphyxier les propriétaires ? Comment éviter une hémorragie dans le parc locatif avec l’avènement de la décence énergétique ? Michel Dubois, administrateur de l’UNPI, a piloté un rapport consacré au DPE au sein du Ceser Île-de-France. Un rapport qui plaide diverses solutions pour protéger le résidentiel locatif.

 

Quelle incidence a aujourd’hui le DPE sur le marché ?

En France, 30 % des logements en location classés E, F ou G devront être rénovés sous dix ans. Mais l’Île-de-France devra rénover plus de 50 % de son parc locatif en dix ans ! La Région IdF combine plusieurs facteurs négatifs avec un bâti ancien (plus de 50 % des logements datent d’avant 1948), beaucoup de petites surfaces pénalisées par le DPE, et de nombreuses copropriétés où les travaux se révèlent longs à décider et complexes à réaliser. Aujourd’hui, beaucoup de propriétaires s’interrogent. Effectuer des travaux et continuer à louer ? Encore faut-il en avoir les moyens. Vendre ? Mais le prix des logements F et G est à la baisse.

 

Le problème vient-il du calendrier des interdictions de location ?

La rénovation énergétique des logements est nécessaire, elle ne se discute pas. Mais le calendrier voulu par l’État paraît intenable. Comment interdire des logements en copropriété classés G dès le 1er janvier 2025, alors que l’obligation du DPE collectif et du plan pluriannuel de travaux (PPT) est postérieure à cette date ? Il convient de corriger cette incohérence. Dans l’avis présenté et voté par le Ceser, nous proposons de décaler à 2028 l’interdiction des logements classés G en copropriété.

 

Vous demandez aussi d’autres modifications du DPE…

Nous ne sommes pas arc-boutés contre ce DPE. Ce que nous ont dit les professionnels auditionnés pour élaborer ce rapport, c’est qu’il est possible d’améliorer le DPE et de remédier à ses dysfonctionnements. Pour éviter que le DPE ne disqualifie quasi systématiquement les petites surfaces, la méthode de calcul peut prendre en compte un coefficient de pondération. Des experts ont proposé des solutions et le ministère y semble favorable, mais nous ignorons si et quand cette correction sera apportée. Autre modification souhaitée, que les spécificités de l’ancien soient mieux intégrées car aujourd’hui les logements d’avant 1948 sont injustement mal classés ; un programme de formation et une certification des diagnostiqueurs devra y contribuer.

 

Ce n’est donc pas un rapport à charge…

Non, nous voulions demeurer constructifs. La rénovation énergétique est une nécessité absolue. Malheureusement, le frein financier demeure. Globalement, une grande partie des aides comme MaPrimeRénov’ bénéficient aujourd’hui pour l’essentiel à 25 % de la population. Autrement dit, la grosse masse des propriétaires est confrontée à une dépense qu’elle ne sait comment financer. Les propriétaires ont besoin de moyens supplémentaires pour réellement enclencher cette rénovation.

 

Quelles solutions sont mises en avant dans le rapport ?

Le prêt avance rénovation (PAR) semble intéressant, mais il est réservé aux plus modestes. Il s’agit d’un prêt hypothécaire garanti et remboursable lors de la donation aux descendants ou lors du décès de l’emprunteur. Ce dispositif a besoin d’être élargi aux ménages intermédiaires. Dans le rapport, nous plaidons également la mobilisation du livret de développement durable (LDD) comme source de financement de travaux énergétiques chez les propriétaires bailleurs, ou tout autre « Livret Vert » qui pourrait être initié par l’Etat. Et nous sommes ouverts à toute autre solution fiscale en faveur des propriétaires. Des solutions existent donc. Nous ne sommes absolument pas opposés à la rénovation, la loi Climat et résilience part d’une logique environnementale solide, mais sa mise en oeuvre apparaît précipitée.

 

Si vous aviez un seul conseil à donner à un propriétaire bailleur, lequel serait-il ?

Ce serait de ne pas attendre et de s’approprier le projet de rénovation dans les plus brefs délais. Pour tout propriétaire qui ne se sent pas à l’aise avec le sujet, je lui recommanderais de se mettre en relation avec sa Chambre UNPI locale, afin de bénéficier du programme BailRénov’. Ce programme gratuit qui démarre au cours du 1er trimestre 2024, est destiné à mieux informer et accompagner les propriétaires bailleurs dans le processus de rénovation.

 

« Le DPE est devenu un problème socio-économique »

RENCONTRE — Que le Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional) d’Ilede- France y consacre un rapport et un avis, n’a rien d’anodin. L’intérêt pour ce DPE dépasse largement la sphère immobilière et devient un problème socio-économique. Entretien avec Éric Berger, président de cette assemblée consultative.

Dans quel cadre le Ceser vient-il se pencher sur le DPE ?

Le Ceser et ses 15 commissions travaillent sur saisine de la présidence de Région pour tous les sujets d’ordre financier, et tous les sujets pour lesquels elle estime avoir besoin d’un éclairage nécessaire. Mais nous travaillons également sur auto-saisine lorsque nous identifions des sujets que nous considérons être du ressort du Conseil régional. Notre avis et rapport sur le DPE interviennent dans ce cadre : nous avons estimé que ce DPE avait en effet un impact important sur la population francilienne. Il s’agit donc d’une réflexion commune et collégiale qui défend la cause des Franciliens.

 

Qu’est-ce qui a motivé cette auto-saisine ?

Le DPE est devenu un problème socio-économique. L’interdiction de louer une passoire thermique en F ou en G fait peser une réelle menace sur l’offre locative en Ile-de-France. Nous manquons déjà de logements, notamment pour les étudiants, et nous risquons encore d’accentuer la pénurie. Les petits propriétaires subissent aussi les effets. Je pense aux ménages qui ont investi une partie de leurs économies dans un appartement afin de se constituer une retraite complémentaire. Ils ont aujourd’hui les moyens d’entretenir leur patrimoine, mais pas nécessairement de se lancer dans une rénovation coûteuse. En les contraignant à rénover, on va donc les priver de ce petit revenu. Enfin, dans les copropriétés, le DPE pose également souci avec des classements différents d’un lot à un autre. Entre le copropriétaire sous les toits classé en F ou G, et celui situé deux étages dessous classé en D, les intérêts sont divergents.

 

Comment cet avis et ses propositions ont-ils été accueillis par la Région ?

Notre rapport a été présenté en novembre, il a reçu un bon accueil des conseillers régionaux. Bien sûr, la Région n’a pas le pouvoir d’assouplir le calendrier ou de modifier le DPE, mais elle peut appuyer les propositions formulées dans l’avis auprès de l’État et rendre la rénovation plus acceptable. Aujourd’hui, avec le DPE, nous avons le sentiment que le social et l’économie sont un peu négligés et s’effacent devant les considérations environnementales. Nous devons cependant parvenir à conjuguer les trois. La richesse du Ceser, grâce à la diversité de ses membres issus d’horizons divers, est justement d’aborder un problème sous ses différents axes pour aboutir à des propositions équilibrées.

 

INITIATIVE

Le Ceser, force de proposition

Chaque région possède son propre Ceser, assemblée consultative constituée de quatre collèges : employeurs, syndicats, associations et personnes qualifiées. « Le législateur a prévu que cette assemblée représente au mieux la société civile », confie Éric Berger. C’est cette diversification qui en fait la richesse. Au total, le Ceser Île-de-France regroupe ainsi 190 conseillers nommés pour une durée de six ans par le préfet de Région. Cette assemblée émet en moyenne une quinzaine d’avis par an sur des sujets très divers, triés sur le volet. Même si son rôle reste purement consultatif, ses avis sont précieux et contribuent à la politique de la Région : « Il n’y a pas une séance du Conseil régional où le Ceser n’est pas cité ».