Le Green Deal est un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne, dans le but de rendre l’Union européenne climatiquement neutre d’ici 2050. C’est le projet phare de la Commission européenne pour ce mandat, qui contient plusieurs dizaines de textes législatifs. La Commission décline ces textes de manière sectorielle (agriculture, immobilier…).
L’objectif de lutte pour la préservation de l’environnement est bien sûr louable, mais tout se passe comme si la Commission considérait que seuls les Etats membres de l’UE sont en cause sur ce plan, et dans de trop nombreux cas, les dispositions proposées par la Commission semblent appuyées sur une approche plus idéologique que rationnelle. Cela nuit autant à la réponse nécessaire à apporter à la question climatique qu’aux dépendances stratégiques sur lesquels beaucoup n’ouvrent qu’aujourd’hui les yeux. Quand la gauche européenne ou certains États membres comme l’Allemagne s’évertuent à saper les efforts français sur le nucléaire par exemple, l’apport de solutions concrètes et logiques s’éloigne à grand pas...
L’EPBD signifie « Directive sur la performance énergétique des bâtiments ». Il s’agit de la révision, dans le cadre du Green Deal, de différentes directives européennes préexistantes que la Commission européenne a présenté dans le cadre d’une stratégie intitulée “vague de rénovations”. Et là encore, l’approche idéologique semble malheureusement prévaloir. La position adoptée voudrait suggérer que tout le problème des émissions de CO2 se trouverait en Europe, ce qui est faux. Il y a certainement des bâtiments qui sont problématiques en termes d’émissions de CO2 ou de consommation d’énergie, c’est évident – les “passoires thermiques” avérées doivent être rénovées. Cependant, l’ambition de faire en sorte que tous les bâtiments – qu’ils soient résidentiels, commerciaux ou encore industriels – soient classés A d’ici 2050 est à la fois parfaitement irréalisable et extrêmement coûteux. Mais surtout, il est très probable que l’effet soit en réalité quasi nul.
D’ici 2033, c’est 40 à 50% du parc immobilier qui devra avoir subi des travaux de rénovation thermique majeurs, engendrant une véritable explosion de la demande dans les années à venir, sans que soit considéré le déficit de main d’œuvre et de matériaux nécessaires. La Commission européenne estime par ailleurs le coût de cette mesure à 275 milliards d’euros par an. Mais le budget alloué pour aider les États à mettre en place cette mesure est, lui, de 150 milliards sur toute la période. On se rend bien compte qu’il y a un delta très important, qui sera compensé soit par les États, soit par les propriétaires directement – en bref, les gens ordinaires, ceux qui travaillent, qui contribuent ou qui épargnent.
Cette mesure n’a aucun sens et n’est pas réalisable. Comme je l’évoquais, elle est en plus très probablement dépourvue d’impact sur les émissions de carbone : les études publiées récemment par l’Université de Cambridge, ou d’autres études en Allemagne et au Michigan montrent qu’en réalité, après quelques années, les économies d’énergie sont à peine perceptibles. La Commission européenne est en train de provoquer une catastrophe économique, sociale et écologique pour des gains quasi nuls.
La France est un bon laboratoire des conséquences qu’aura l’EPBD si le texte est appliqué en l’état. Entre ce qu’impose la loi Climat et Résilience et les obligations liées au nouveau DPE, notre territoire national a quelques années d’avance… Nous voyons déjà l’impact désastreux sur le marché locatif avec des difficultés pour se loger de plus en plus importantes, des prix à la revente plus bas pour les biens mal classés, des propriétaires dans l’impossibilité de réaliser les travaux…
Il faut bien prendre conscience que l’EPBD est beaucoup plus radical que le DPE actuel. Tous les propriétaires seront touchés et non plus seulement les propriétaires bailleurs. Les conséquences peuvent être extrêmement lourdes puisque la Commission européenne est allée jusqu’à évoquer des pénalités financières. Le terme n’apparaît plus dans la version actuelle, mais l’intention était bien là. Dans les années à venir, il deviendra difficile de s’assurer, car le logement ne sera plus aux normes écologiques, et de ce fait les propriétaires ne pourront plus vivre dans le bien qui représente pourtant parfois les économies d’une vie. C’est tout un modèle de société qui risque d’être bouleversé, et la situation risque de devenir désastreuse avec des centaines de milliers de logements qui ne pourront plus être habités.
Les conséquences pour le patrimoine classé sont catastrophiques, mais le problème est plus profond : il n’y a pas que le patrimoine classé qui est concerné. Les nombreux types d’architecture qui font la beauté de la France et de notre environnement vont subir l’impact de ces nouvelles dispositions. Ces bâtiments remarquables ne font souvent pas partie des bâtiments classés, pour la bonne raison que classer son bâtiment peut parfois être le début d’une série de contraintes massives. Maisons à colombages, chaumes normands, cabanes de pécheur, maisons en pisé… tous ces styles architecturaux seront massivement impactés par ces nouvelles normes d’isolation thermique : dénaturation des façades, suppression de certains espaces intérieurs, et j’en passe !
Après plusieurs mois de travail, d’alertes et de pédagogie auprès de mes collègues députés au Parlement européen et des différentes parties prenantes, je suis parvenu à faire adopter un amendement demandant des exemptions pour le bâti non classé, dans le but d’atténuer les effets les plus nocifs de cette directive. Une écologie authentique consiste à entretenir, préserver et transmettre, non à mettre la moitié de l’Europe en chantier en moins de dix ans.
Les trilogues sont essentiels dans la procédure législative européenne. Ce sont des réunions entre les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission.
Concernant mon amendement, j’espère de tout cœur qu’il sera préservé. Je suis assez inquiet des trilogues car la Commission garde une approche très idéologique et punitive de l’écologie… charge au Conseil – qui réunit les chefs d’États ou de gouvernement des États-membres, et doit se saisir de la question – d’être plus sage.
Malheureusement, le gouvernement français a défendu corps et âme ce texte... Mais pourquoi soutenir ce qui déclenchera une crise sociale majeure alors même que nous subissons déjà une crise du logement – le tout pour un résultat écologique faible voire contreproductif ?
En réalité, cette décision s’explique pour beaucoup par le lobbying déterminé d’industriels qui voient la promesse de nombreux nouveaux marchés avec cette directive. L’écho donné à la parole des propriétaires, et en particulier les petits propriétaires, a été largement atténué, face aux profits majeurs des très grosses entreprises industrielles. Le monde de la construction reste toutefois divisé. D’un côté, de grosses entreprises industrielles, et de l’autre des artisans, des PME1 ou encore des ETI2. Quand nous parlons à cette deuxième catégorie, le son de cloche est différent : dans le cadre de cette directive, ce n’est en effet pas seulement le logement, mais également les locaux professionnels, les locaux de stockages, etc. qui sont concernés. Cela concerne donc des dizaines de milliers d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs… qui vont se voir imposer des normes inapplicables, et risquent de ce fait de devoir mettre la clé sous la porte.
Je suis d’accord avec cette prise de position. Le Conseil constitutionnel va devoir statuer sur le sujet. Il y a effectivement un problème constitutionnel et un problème de principe absolument évident. Il est inconcevable de constater un tel acharnement, exclusif, sur les propriétaires. Tout semble mis en place pour dissuader les Français, et plus globalement les européens, de devenir propriétaires d’un bien immobilier.
Les normes toujours plus restrictives n’encouragent pas à choisir l’immobilier, sans parler de l’IFI. J’ai eu la chance d’être professeur de philosophie avant d’être député au Parlement européen, et de travailler sur cette question de la préservation et de la transmission, que j’évoque dans Demeure. La vision du monde qui est proposée, cette volonté d’abandonner la pierre et le bâti pour se réfugier dans quelque chose d’abstrait et de nouveau, de toujours tout changer, tout refaire à neuf, est révolutionnaire au mauvais sens du terme, et manque de bon sens élémentaire... Malheureusement, c’est cette vision du monde qui produit, dans de multiples domaines, la crise que nous traversons actuellement.
Source : 25 millions de propriétaires et vous • N°572; avril 2023