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Meublés touristiques : sont-ils responsables de la crise du logement ?

EFFERVESCENCELa crise du logement cherche ses responsables. Et le meublé touristique type Airbnb a le profil du coupable idéal. C’est lui qui ferait monter les prix, c’est lui aussi qui participerait à l’atrophie du marché de la location classique. Accusé de nombreux maux, les meublés sont dans le collimateur : les contraintes locales se sont multipliées au fil des dernières années, et la loi Le Meur arrivée en fin de périple législatif promet de renforcer l’arsenal.

 

Airbnb a bon dos. Début avril, face à la commission d’enquête au Sénat qui cherchait à percer les raisons profondes de cette crise du logement, Clément Eulry, le directeur d’Airbnb France/Belgique brandissait une étude réalisée par le cabinet de conseil Strategy&/PwC, et publiée à l’automne 2023. Contrairement aux idées reçues, la location meublée touristique jouerait un rôle extrêmement limité dans la crise actuelle.

Un coupable idéal

Sur un million de meublés de tourisme, seuls 8 % seraient loués de manière intensive. En fait, l’énorme contingent de l’offre des plates-formes est composé de résidences secondaires ou principales. Non, Airbnb, Abritel et consorts ne sont pas responsables de la crise du logement. Le ralentissement de la construction neuve, le stock de logements vacants qui a grossi d’un million depuis 2010, l’empilement de réglementations sur les bailleurs, ont à l’évidence une part de responsabilité bien plus importante. L’étude pointe ainsi du doigt un déficit entre l’offre et la demande qui ne cesse de se creuser année après année.

Les plates-formes dont la croissance aura été ralentie seulement le temps de la pandémie Covid, sont pourtant dans le collimateur des élus locaux depuis plusieurs années. Le discours solidement ancré dans les esprits – et un peu réducteur –, veut qu’Airbnb et consorts aient transformé des quartiers entiers en les vidant de leurs résidents à l’année et en participant à la flambée des prix de l’immobilier. Le trait est un peu forcé, mais comme dans toute caricature, se dégage une part de vérité.

Xavier Demeuzoy, avocat et grand adversaire de la Ville de Paris avec de nombreux propriétaires Airbnb défendus depuis 2016, le reconnaît volontiers. Il existe parfois des dérives, au point qu’à une époque l’île Saint-Louis avait été surnommée « l’île Airbnb ». Certes, la location de courte durée n’a pas attendu l’avènement des plates-formes pour exister : « depuis des décennies, les propriétaires louaient leur appartement à des proches ou par petite annonce ou en passant par une agence locale ». Mais la simplicité, la sécurité procurée par les plates-formes ont dopé le meublé de courte durée. C’est tellement facile de louer aujourd’hui avec une boite à clés ou en passant par une conciergerie.

 

Les communes en croisade

Joseph Hughes, directeur général des services de la Communauté de communes de l’Île d’Oléron, observe « une augmentation de 20 % des meublés de tourisme en cinq ans ». Ce n’est pas anodin. « De nombreuses personnes sur l’île ne trouvent plus à se loger, poursuit le DGS. Que ce soit pour louer ou pour acheter car il y a un effet pervers sur les prix avec une nette inflation au cours des dernières années. »

Le problème a pris une dimension économique : « 70 % des entreprises de l’île disent rencontrer des difficultés à recruter aujourd’hui. Et le problème qui revient en premier pour les chefs d’entreprises est la pénurie de logements. » L’île d’Oléron n’a pas encore pris de mesures pour freiner l’expansion, mais la Communauté de communes y réfléchit, d’autant que sa grande voisine, l’île de Ré vient de franchir le pas en se dotant d’une réglementation anti-Airbnb. « Nous avons toujours connu l’hébergement touristique, mais il demeurait un équilibre avec le logement traditionnel, poursuit Joseph Hughes. Aujourd’hui, l’équilibre est rompu et cela pose question en termes de cohésion sociale et territoriale. Nous sommes en réflexion, mais aucune décision n’est prise. »

Paris, Lille, Bordeaux, Lyon, mais aussi des communes plus modestes, Vannes, Malakoff, Quimper… Plus de 250 communes ou intercommunalités ont déjà adopté des mesures pour freiner l’essor des meublés de tourisme sur leur territoire. Et la liste n’en finit plus de s’allonger : Granville, le Bassin d’Arcachon, Pornic, La Madeleine en banlieue lilloise, depuis le début 2024.

Les villes rivalisent d’imagination. Certaines se contentent d’imposer aux loueurs un enregistrement obligatoire. Mais d’autres élaborent des dispositifs plus coercitifs. À Saint-Malo, la municipalité a instauré un numerus clausus par quartier, avec des listes d’attentes pour les loueurs de meublés. À Nice, les propriétaires sont autorisés à louer trois mois aux touristes durant la belle saison, s’ils s’engagent à louer neuf mois à des étudiants. Dans l’île de Ré, on a aussi opté pour une politique de quotas. Au Pays-Basque, les élus sont allés plus loin encore, en développant un mécanisme de compensation : depuis 2022, pour louer un logement de courte durée, un propriétaire doit aussi proposer une location longue durée.

Joseph Hughes, notre DGS sur l’Île d’Oléron, reconnaît une forme de pression locale. « Nous n’avons pas connu de manifestations comme ailleurs, mais nous recevons régulièrement des courriers, et un collectif s’est monté. » À Annecy, Saint-Malo, Pays- Basque, de nombreux collectifs locaux pour réclamer des mesures anti-Airbnb ont fleuri.

 

Le loueur, souvent un petit propriétaire

Ces mesures anti-Airbnb divisent cependant. Saluées par les uns, combattues par d’autres. Dans le Pays- Basque, l’ULMT64 (Union des loueurs de meublés de tourisme) qui regroupe quelque 250 propriétaires se livre à une véritable bataille judiciaire avec l’intercommunalité. Déboutée en première instance, l’association est aujourd’hui en appel.

« Pour continuer à louer un meublé de tourisme, un propriétaire devra compenser avec un local commercial transformé en habitation », confie la présidente de l’association. Plus facile à dire qu’à faire. « Sur notre territoire, on ne recense que 200 biens commerciaux vendus chaque année, dont certains, en zone d’activité qui ne pourront jamais être adaptés en logements. » Mécaniquement, l’offre des meublés devrait donc peu à peu se réduire. « Depuis mars 2023, de nombreuses locations meublées ne sont pas renouvelées faute de pouvoir compenser. Cette réglementation est une aberration, elle est trop draconienne. »

Est-ce que cela va redonner pour autant de l’oxygène à la location longue durée ? L’ULMT64 en doute sérieusement : les effets de la réglementation surgie en 2022 ne sont toujours pas visibles. Pour la présidente de l’association, c’est sans doute parce que ces mesures anti-Airbnb méconnaissent le profil des loueurs. « Chez nous, l’énorme majorité des locations de courte durée est constituée de résidences secondaires de villégiature. Leurs propriétaires l’occupent une partie de l’année, et la mettent en location pour un complément de revenus et pour payer les charges. » La présidente en est convaincue, restreindre la location de courte durée ne changera rien. « Les gens ne vendent pas, à moindre d’y être contraints. Et de toute façon, lorsqu’ils vendent, c’est souvent à des personnes extérieures à la région qui ont les moyens d’acheter. »

C’est aussi ce que remarque Xavier Demeuzoy dans les centaines de dossiers traités par son cabinet. Difficile de dresser un portrait-robot du loueur de courte durée, il est un peu Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Bien sûr qu’il existe des investisseurs et loueurs professionnels, mais ils sont loin de constituer le gros des troupes. « En fait, nous rencontrons une diversité de profils, comme des personnes qui ont récupéré un logement après une situation d’impayés, des retraités qui vivent désormais en province tout en conservant un pied-à-terre à Paris, des familles qui gardent un logement en attendant que leur enfant devienne étudiant. Les plates-formes permettent de jongler entre convenances personnelles et une source de revenus complémentaires, souvent bienvenue en période d’inflation. »

Les sénateurs qui se sont penchés en commission sur la loi Le Meur l’ont aussi remarqué. La location de courte durée revêt « des réalités différentes », selon le rapport de la commission des affaires économiques. « Elle est tantôt un produit financier pour un investisseur louant toute l’année sur un territoire touristique en zone tendue, tantôt le moyen pour une famille d’amortir les frais liés à l’entretien d’un lieu de retrouvailles familiales… Un meublé touristique n’est donc pas toujours substituable à du logement permanent. »

 

Retrouver l’équilibre

En clair, un meublé de tourisme en moins ne signifie pas forcément une location classique en plus. Il n’y a pas de vases communicants. Dans ces conditions, la loi Le Meur peut-elle ramener cet équilibre perdu dans certains territoires ? C’est son ambition : étouffer la location saisonnière en espérant redonner de l’oxygène à la location classique. Mais en pratique, le texte laisse davantage entrevoir un arsenal protéiforme qui empile les contraintes sur les loueurs. « Les parlementaires ont créé une boîte à outils à usage de toutes les communes, quelles que soient leur taille, remarque Xavier Demeuzoy. Fiscalité durcie, seuil de 120 jours qui pourrait passer à 90, enregistrement étendu à l’ensemble des communes, décence, urbanisme, règles de copros… la loi attaque vraiment sous tous les angles. »

L’avocat reste cependant perplexe sur l’application du texte. « Les grandes villes pourront sans doute augmenter le scope de dossiers, mais pour les petites et moyennes communes dépourvues de moyens juridiques, cela risque d’être plus compliqué. » Quand on est une station balnéaire ou de montagne avec une population résidente à l’année de quelques milliers d’âmes, de quels moyens dispose-t-on ? L’expérience a montré que même une commune avec des ressources colossales n’obtient pas forcément gain de cause. Xavier Demeuzoy prend l’exemple de Paris : avec ses trente-cinq agents assermentés, et plusieurs cabinets d’avocats, la capitale a lancé plusieurs centaines d’assignations de loueurs depuis 2017. Pourtant, Xavier Demeuzoy estime qu’elle a été déboutée dans la moitié des affaires.

À travers cette loi qui nourrit un sentiment anti-Airbnb, l’avocat parisien déplore une forme d’hypocrisie. « Les JO commencent dans deux mois, et on est bien content d’avoir du Airbnb pour accueillir les touristes. On ignore si les touristes pourront circuler en transports en commun avec les menaces de grèves, le niveau de sécurité est entouré de beaucoup d’inconnues, la seule certitude, c’est que les touristes disposeront bien d’un toit. On est en train de taper sur Airbnb alors qu’on sait très bien que la capacité hôtelière de l’Ile-de-France est insuffisante pour ce type d’événement. »

Beaucoup d’hypocrisie car sans nier les excès sur certains territoires, Airbnb profite aussi au développement du tourisme avec des retombées sur les économies locales. « Ce n’est pas une loi d’équilibre, les apports des plates-formes sont passés sous silence, poursuit l’avocat parisien. Il est normal de réguler la location de courte durée pour éviter des flux incontrôlables de meublés comme nous avons pu le voir à Paris dans certains quartiers, mais il y a un manque de discernement avec un empilement des contraintes. J’ai l’impression que personne n’a écouté les propriétaires loueurs de courte durée. »

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