ÉCLAIRAGE — Selon la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim), chaque année, 6 500 à 8 000 transactions immobilières sont à l’origine d’un litige fondé sur des vices cachés (chiffres de 2019). Ainsi, les litiges en matière de vice caché sont à la base de nombreuses décisions jurisprudentielles. Ces décisions permettent de contribuer à définir le contour de cette notion de vice caché et d’apporter des réponses précises à de nombreuses questions : qu’est-ce qu’un « vice caché » ? En quoi consiste la garantie des vices cachés qui pèse sur le vendeur ? Comment cette garantie peut-elle être mise en œuvre par l’acquéreur ?Comment le vendeur peut s’exonérer de sa garantie ?
Par Nathalie Quiblier, journaliste
Qu'est-ce qu'un vice caché ?
Le Code civil définit le vice caché et précise expressément que le vendeur en doit la garantie : « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus » (article 1641 du Code civil).
Pour être qualifié de caché, le défaut doit donc présenter les caractéristiques suivantes :
- être antérieur à la vente : il peut être découvert après la vente, mais il doit avoir existé avant celle-ci. Ainsi, si le vice est dû à un manque de précautions ou d'entretien imputable à l'acheteur après la vente, le vice ne peut pas être qualifié de caché ;
- être grave ou rédhibitoire : il faut que le défaut affecte le logement à tel point que l'acquéreur ne l'aurait pas acheté ou en aurait proposé un prix moindre s'il en avait eu connaissance (le défaut est tel qu’il compromet l’usage du bien) ;
-être non apparent (ou dissimulé) : le vice ne doit pas avoir pu être décelé lors de la vente, malgré un examen attentif et sérieux.
En l'absence de l'une de ces caractéristiques, le vice n'est pas qualifié de caché et la garantie des vices cachés du vendeur ne peut donc pas être engagée.
Exemples de vices qui peuvent être qualifiés de cachés : vétusté de la toiture, graves défauts de construction, mauvais état d'une poutre maîtresse, présence de cavités souterraines, inconstructibilité du terrain, présence de bruits excessifs, pollution d'un terrain, fondations défectueuses, défaut d’étanchéité d’une terrasse...
À titre d'exemple, dans une affaire, le vice n'a pas été qualifié de caché, car selon les juges, le fait que le bien se situait en zone inondable avait été précisé plusieurs fois aux termes du compromis et dans l'acte d'acquisition et, de plus, « les traces d’infiltration affectant le faux-plancher de la cuisine et de la salle de bains, dues aux remontées de nappe phréatique évoquées dans les documents contractuels, étaient visibles de tous et non dissimulées » (Cour d’appel de Nîmes, 2e chambre civile, 17 décembre 2020, n° 18/04141).
Il est important de recommander au vendeur d'informer expressément l'acquéreur des travaux nécessaires à réaliser (exemple : réfection totale d'une toiture) et de ne pas cacher la réalité de ces travaux en dissimulant la réalité des désordres avant la vente.
L'acquéreur non professionnel ne doit pas être négligent lors de la visite du bien immobilier avant son acquisition. Toutefois, même si cela est vivement conseillé, l'acquéreur néophyte n'a pas l'obligation légale de visiter son futur bien immobilier accompagné d'un expert (architecte…). Il ne peut donc pas lui être reproché de ne pas s'être fait assister lors des visites. Un vice est caché quand il ne peut être découvert par un profane dans des conditions normales d'examen. Il a, par exemple, été jugé qu'il ne « pouvait être reproché aux acquéreurs de ne pas être montés sur le toit de la maison à l’aide d’une échelle », du fait que leur visite du bien immobilier ne « leur aurait pas permis, en tant que profanes, d’analyser l’ampleur des désordres affectant la toiture » (Cour de cassation, 3e civ., 15 mars 2018, n° 16-23.953).
Vice caché et vice apparent : quelles différences ?
Les vices apparents sont ceux qui sont visibles et révélés par un simple examen visuel superficiel.
Rappelons que « le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même » (article 1642 du Code civil). Toutefois, dans certains cas, la Cour de cassation permet à l’acquéreur de pouvoir agir en garantie des vices cachés à l'encontre du vendeur, malgré l’acceptation et la révélation de vices apparents (Cour de cassation, 3e civ., 14 septembre 2023, n° 22-16.623). Dans cette affaire, les acquéreurs avaient constaté lors de visites préalables à la vente, la présence de traces de fissures. Selon les juges, constituent des vices cachés, et non des vices apparents, les fissures constatées par l’acquéreur d’un bien immobilier avant la vente si elles ont pour origine l’inadaptation des fondations au sol, si elles évoluent et si l’acquéreur n’avait pas pu se faire une idée de leur ampleur et de leurs conséquences. Les acquéreurs ne pouvaient, n’étant ni des professionnels du bâtiment ni tenus de se faire accompagner par un homme de l’art, se convaincre du vice dans son ampleur et ses conséquences. Le vice ne présentait pas un caractère apparent et il s’agissait donc d’un vice caché.
Qu'est-ce que la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés du vendeur ?
Le vendeur peut insérer une clause de non garantie dans le compromis et l'acte de vente lui permettant d'exclure ou limiter sa garantie des vices cachés (article 1643 du Code civil).
L'insertion d'une telle clause est quasi-systématique en matière immobilière. En principe, elle énonce que l’acquéreur prend l’immeuble « en l’état, sans recours contre le vendeur pour quelque cause que ce soit » ou que « le vendeur ne sera pas tenu de la garantie des vices cachés pour les vices pouvant affecter l’immeuble, le sol et le sous-sol ».
À défaut de cette clause d'exonération, l’acquéreur peut poursuivre le vendeur en justice, que celui-ci ignore ou non l’existence du vice caché.
En présence de cette clause, le vendeur échappe à la garantie des vices cachés, à condition qu'il n’ait pas été au courant du vice affectant le bien qu'il a vendu (cela exclut donc les vendeurs de mauvaise foi). Pour prouver la mauvaise foi du vendeur, il suffit que l’acheteur démontre que celui-ci avait connaissance de l’existence du vice au moment de la vente. Ainsi, la réalisation de travaux avant la vente afin de dissimuler l’existence du vice est un élément qui permet de prouver sa connaissance du vice et donc sa mauvaise foi. Dans une affaire récente (Cour de cassation, 3e civ., 7 mars 2024, n° 20-17790), les juges ont confirmé la mauvaise foi des vendeurs en ce qu'ils ont procédé́ au colmatage des fissures et à un ravalement avant la vente afin de les masquer. La clause d'exclusion de la garantie des vices cachés a ainsi été écartée et le prix de vente fut réduit de 62 %.
Attention, le vendeur professionnel ne peut pas bénéficier d'une exonération des vices cachés ou d'une clause limitative. La qualité de professionnel du vendeur s’apprécie par rapport à ses activités immobilières. Ainsi, a été qualifié de vendeur professionnel une société de marchand de biens qui procède habituellement à une activité de rachat et de revente, un lotisseur, etc., ainsi qu'une Société Civile Immobilière (SCI) patrimoniale, c'est-à-dire ayant pour objet « l'acquisition par voie d'achat ou d'apport, la propriété, la mise en valeur, la transformation, l'aménagement, l'administration et la location de tous biens et droits immobiliers...» (Cour de cassation, 3e civ., 27 octobre 2016, n°15-24.232).
Il est important de préciser que les juges ont une conception extensive de la notion de « vendeur professionnel », comme par exemple des particuliers ayant des compétences immobilières alors qu’ils contractaient dans un but personnel (Cour de cassation, 3e civ., 13 juillet 2016, n°15-16.414).
Acquéreur : comment agir en garantie des vices cachés ?
Lorsque l'acquéreur constate la présence d'un vice caché, il est impératif de mettre en demeure le vendeur par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette mise en demeure doit informer le vendeur de l'existence du vice tout en l'invitant à constater par lui-même le vice et ses dégâts et lui permettre d'effectuer les réparations. Avant d'entamer toute procédure judiciaire, il est conseillé de tenter de trouver une solution amiable. Ainsi, il est possible que les deux parties s'entendent sur les réparations nécessaires et la remise du bien en l'état par le vendeur ou la restitution, par ce dernier, de la somme correspondante au préjudice.
C'est à l'acquéreur de prouver l'existence du vice caché par tout moyen. Pour cela, il doit rassembler tous les éléments qui peuvent aller en faveur de ses constats : plaintes ou témoignages des voisins, devis de réparations, photos des dégâts, constats de commissaire de justice, etc. Pour apporter la preuve du vice caché, il peut également recourir aux services d'un expert juridique.
Pour intenter une action, l’acheteur dispose de deux ans à compter de la découverte du vice, et non pas à compter de la vente ou de l'entrée dans les lieux, sans pouvoir dépasser un délai de vingt ans à compter du jour de la vente (article 2232 du Code civil). Dans ce délai, l'acquéreur peut donc agir en justice et demander soit à ce qu’une partie du prix lui soit restituée, soit à ce que la vente soit purement et simplement annulée. En effet, l'acheteur a le choix entre deux actions :
- une action dite « estimatoire » par laquelle il demande une restitution partielle du prix (montant à l'appréciation du juge). La « baisse » du prix correspond en général au montant des travaux de remise en état estimé par un expert ;
- une action dite « rédhibitoire » par laquelle il demande l'annulation rétroactive de la vente et la restitution du prix total. Le bien est ainsi restitué au vendeur qui, lui, restitue le prix et les frais d'acquisition.
Le choix de l'action est fondé sur l'identification et l'étendue du ou des vices cachés. Si le vice peut être réparé, c'est l'action en réduction du prix qui est en principe privilégiée.
Dans les deux cas, le vendeur condamné rembourse les frais de procédure et d’expertise. De plus,l'acquéreur peut demander des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi, mais seulement en cas de mauvaise foi du vendeur, c'est-à-dire si l'acquéreur prouve que le vendeur connaissait l'existence du défaut au moment de la vente.
Face à cette action judiciaire enclenchée par l’acquéreur, le vendeur de bonne foi doit vérifier si une clause d’exonération des vices cachés n’était pas prévue dans son acte de vente.
Le tribunal compétent pour toutes les actions en garantie de l'acquéreur est le tribunal judiciaire du lieu de situation du logement et le recours à un avocat est obligatoire.
Vendeur : quels recours à l'encontre des professionnels de l’immobilier intervenant à la vente ?
La garantie des vices cachés est due par le vendeur. Cependant, si ce dernier est condamné à ce titre, il peut décider de vouloir engager la responsabilité de l'agent immobilier (et/ou du notaire et/ou du diagnostiqueur) en raison d’un manquement à son devoir de conseil ou d’information.
Ainsi, le vendeur peut engager la responsabilité du professionnel immobilier ayant intervenu à la vente s'il démontre une faute de sa part et que cette faute lui a occasionné un préjudice.
Aux termes de plusieurs décisions de justice, il ressort que l'agent immobilier ne peut être tenu responsable des désordres dont il n’avait pas eu connaissance ou dont il ne pouvait pas soupçonner l’existence. Dans le cas contraire, sa responsabilité peut donc être engagée. Aujourd’hui, même si l’agent immobilier n’est certes pas considéré comme un professionnel du bâtiment, de nombreuses décisions ont indiqué qu’il devait posséder des connaissances solides lui permettant de repérer certains vices non décelables par un particulier. Prenons l’exemple d’une décision récente qui a condamné un agent immobilier pour n’avoir pas conseillé l’acquéreur sur un éventuel défaut d’étanchéité de la toiture alors qu’il existait dans le bien des traces d’infiltrations (Cour de cassation, 3e civ., 21 décembre 2023, n° 22-20.045).
Dans une affaire, la responsabilité du diagnostiqueur a été engagée sur le fait que l'état parasitaire qu'il avait établi dans le cadre de l'acquisition d'une maison, mentionnait des « traces de termites et d'insectes xylophages sans activité ». Or, plus tard, lors de travaux, l'acquéreur a découvert une infestation avancée de termites. La Cour de cassation (3e civ., 8 juillet 2015, n°13-26.686) a condamné le diagnostiqueur à rembourser à l'acheteur le coût des travaux de remise en état.
Dans une autre décision (Cour de cassation, 3e civ., 14 décembre 2017, n°16-24.170), c'est la responsabilité du notaire qui a été engagée. L'affaire était la suivante : en 1997, un tribunal a reconnu des désordres compromettant la solidité d'une maison en précisant qu'il convenait de procéder à la démolition et à la reconstruction de celle-ci. Le propriétaire avait alors confié à un entrepreneur quelques travaux de reprise de la maison. 10 ans plus tard, cette maison « en l’état » (non démolie et non reconstruite) est vendue. L'acte notarié de vente de 2007 mentionne l'ancien litige. Or, les acquéreurs constatent plus tard de nouvelles fissures et la déformation progressive du gros œuvre. Ils poursuivent en justice le vendeur et le notaire sur le fondement de la garantie des vices cachés. Puis, le notaire appelle en garantie l’agent immobilier. En plus du vendeur (restitution du prix de vente), la Cour de cassation condamne le notaire et l’agent immobilier du fait d'un manque d'informations. D'après la cour, le notaire aurait dû annexer à l'acte d'acquisition le jugement de 1997 et l’agent immobilier aurait dû solliciter du vendeur des informations complémentaires.