TRANSITION — DPE. Ces trois lettres ne soulevaient qu’une solide indifférence durant quinze ans. L’influence du diagnostic restait extrêmement limitée, et d’ailleurs, il n’avait d’autre vocation que d’informer et de sensibiliser les locataires ou les acquéreurs. Rien de plus. La loi Climat et résilience est passée par là, elle a rendu ce DPE tout-puissant : gel des loyers des logements F et G, interdiction de location d’une passoire… Un pouvoir énorme pour un outil qui n’avait pas été taillé pour ça à l’origine.
L’histoire a mal commencé. Malgré une longue gestation de plus de deux ans, le nouveau DPE mis sur orbite en 2021, contre l’avis même de plusieurs fédérations de diagnostiqueurs, n’était toujours pas prêt. En quelques semaines, le nombre d’étiquettes F et G explose. On court à la catastrophe. Avec deux fois plus de passoires que le gouvernement n’imaginait, le calendrier des rénovations de la loi Climat et résilience, à peine votée (août 2021), ne tient plus. La ministre du Logement de l’époque, Emmanuelle Wargon, interviendra en personne pour désamorcer cette bombe à retardement. La méthode de calcul sera revue et corrigée, et les DPE avec une étiquette F et G édités au cours des premiers mois seront systématiquement réédités. Mauvais départ.
Dans la boîte noire du DPE
Plus de deux ans ont passé, la critique ne s’est jamais vraiment apaisée. Pas une semaine sans que le diagnostic ne soit égratigné. Christian Cardonnel, ingénieur thermicien devenu consultant, connaît bien la méthode 3CL, la « boite noire » qui fait tourner ce DPE. Il énumère sans mal les imperfections du diagnostic. « Au niveau des diagnostics, il y a d’abord la saisie d’informations, avec le recours à des valeurs par défaut qui conduisent à surestimer les données », explique-t-il. Quand l’opérateur ne peut accéder à la chaudière, quand aucun document ne renseigne l’isolation dissimulée par un placo, pas d’autre choix, il utilise alors des valeurs par défaut délibérément pénalisantes. Une façon d’encourager les propriétaires à communiquer un maximum de données. La saisie des données n’explique pas tout. Malgré des correctifs incessants depuis 2021 (une trentaine selon un éditeur de logiciels DPE !), la méthode de calcul manque encore de précision. « Les données climatiques ne sont pas toujours bien prises en compte comme les apports solaires. Du coup, les besoins en chauffage sont plus importants, ce qui dégrade automatiquement la note DPE », poursuit Christian Cardonnel. Le consultant évoque aussi un manque de finesse dans le calcul du DPE. « Aujourd’hui, si un propriétaire choisit d’installer par exemple une pompe à chaleur un peu plus sophistiquée, elle ne sera pas forcément prise en compte. »
Les petites surfaces disqualifiées
Au-delà de ces imperfections, deux failles inquiètent tout particulièrement. À la tête de la Chambre des diagnostiqueurs de la Fnaim, Yannick Ainouche regrette une « fâcheuse tendance à déclasser systématiquement les petites surfaces ». Plus le logement est petit, plus il a des chances de se trouver étiqueté comme passoire. La preuve par les chiffres. L’Observatoire du DPE, piloté par l’Ademe, compile tous les diagnostics réalisés depuis 2021. Parmi plus de 7,5 millions de DPE enregistrés à fin décembre, 14 % des logements écopent d’une classe F ou G. Mais si on considère les logements plus petits avec une surface de 40 m² maximum, la proportion grimpe à 25 %. Et si on abaisse encore le curseur, en ne gardant que des studettes de moins de 15 m² (type logement étudiant), 60 % se retrouvent classées comme passoires. « À un propriétaire qui possédait deux studettes classées G, je lui ai conseillé de les regrouper en un seul espace, en coliving. Résultats, la surface, plus grande, est désormais classée E », confie Christian Cardonnel. Le défaut dans la méthode est connu de longue date. « Les besoins en eau chaude sanitaire sont calculés de façon forfaitaire. Dans un petit appartement de 20-30 m², les besoins d’ECS ramenés au m2 sont deux fois plus importants », explique notre consultant. Un cumulus de 150-200 litres, disproportionné pour un studio, se solde donc par une mauvaise étiquette. Ce n’est pas le seul facteur aggravant. Christian Cardonnel retient aussi « une surface déperditive beaucoup plus importante » et « sur la VMC, des forfaits très pénalisants pour les petits logements ». Un malencontreux cumul de facteurs qui aboutit à disqualifier une grande partie des petites surfaces avec le risque de déséquilibrer (un peu ? beaucoup ?) le marché du locatif alors que les échéances prévues par Climat et résilience approchent à grands pas. Au 1ᵉʳ janvier 2025, un logement en location devra afficher au moins une étiquette F, sous peine de ne plus être décent. Selon les statistiques officielles, 670 000 logements locatifs restent aujourd’hui classés en G. Face à cette menace, tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne. Toujours selon l’Observatoire du DPE, à Paris, 46 % des studios de moins de 20 m² sont actuellement classés en G. Le risque d’atrophie du parc locatif ne peut être négligé. D’autant plus lorsqu’on sait combien les étudiants ont déjà du mal à trouver un logement dans la capitale aujourd’hui.
Le bâti ancien injustement pénalisé
Le DPE n’est pas seulement injuste avec les petites surfaces, il l’est aussi avec le bâti ancien. « Certaines qualités intrinsèques des matériaux anciens comme le torchis ou la terre crue par exemple ne sont pas prises en compte à leur juste valeur », observe Yannick Ainouche. Résultat, les bâtiments d’avant 1948 se trouvent souvent pénalisés. Six diagnostics sur dix réalisés dans le logement ancien écopent d’un E, F ou G (respectivement 29 %, 17 % et 14 %), les trois classes ciblées par la rénovation dans la loi Climat et résilience. Pour le G7 Patrimoine, groupement de sept associations du patrimoine, ce classement est loin de refléter la réalité. Preuve scientifique à l’appui. Au début des années 2010, le Creba (Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien) avait mené une étude très poussée pour mesurer la réelle performance énergétique d’un panel de bâtiments anciens. Le bilan se révélait plutôt éloquent : des bâtiments parfois classés en F ou G selon le DPE avaient en réalité une consommation énergétique équivalant à une étiquette D, voire C ! Cela change tout : des logements anciens aujourd’hui vus comme des passoires thermiques n’ont pas forcément besoin d’une rénovation lourde. Puisque le thermomètre n’est pas bon, comment le remède pourrait-il être approprié ? Les acteurs du patrimoine s’inquiètent. La rénovation standardisée du bâti ancien risque parfois de faire plus de mal que de bien, en dénaturant l’architecture, mais aussi en donnant naissance à des pathologies. Le bâti ancien emploie souvent des matériaux sensibles à l’humidité, qui ont besoin de respirer. L’isolation ne peut donc se faire n’importe comment avec n’importe quels matériaux, sous peine de créer de la condensation et de favoriser toutes sortes de champignons.