Manquement du locataire à ses obligations : Quelles procédures pour parvenir à son expulsion ?

Manquement du locataire à ses obligations : Quelles procédures pour parvenir à son expulsion ?En cas de non-respect par un locataire commercial ou professionnel des obligations résultant du bail qui lui a été consenti, le bailleur qui souhaite mettre un terme à la relation locative a le choix entre deux procédures pour parvenir à l’expulsion du locataire : 

  • soit poursuivre la résiliation judiciaire du contrat,
  • soit mettre en œuvre la clause résolutoire, si elle a été prévue dans le contrat de bail.

Il convient de se référer aux dispositions des articles 1224 et suivants du Code Civil qui traitent spécifiquement de la résolution des contrats. L’article 1224 prévoit que les modalités de résolution des contrats sont « soit l’application d’une clause résolutoire, soit en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ».

La réforme du droit des obligations issue de l’ordonnance du 1er octobre 2016 a introduit une nouvelle modalité de résolution des contrats par notification à l’initiative du créancier, prévue par l’article 1226 que nous n’évoquerons pas ici. En effet, elle semble difficilement applicable car l’expulsion ne peut être poursuive qu’en exécution d’une décision de justice qui la prononce ; or cette possibilité de résolution vise à permettre aux parties d’éviter de saisir le juge pour mettre fin au contrat.

Nous n’aborderons donc que la résolution judiciaire et la mise en œuvre de la clause résolutoire : si la finalité de ces actions est la même, les procédures et les conditions de leur mise en application sont différentes.

Les conditions de la résiliation judiciaire du bail

Cette procédure relève du droit commun des contrats et résulte de l’article 1227 du code civil qui prévoit que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice ».

Le bailleur, qui constate que son locataire ne respecte pas ses obligations contractuelles, pourra ainsi demander au juge de prononcer la résiliation du contrat et de statuer sur ses conséquences, en prononçant notamment l’expulsion du preneur conduisant à la reprise des locaux par le bailleur et sa condamnation à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle qui a conduit à la résolution.

Le juge, en vertu de son appréciation souveraine des faits qui lui sont soumis par les parties, devra alors examiner les manquements du preneur allégués par le bailleur et apprécier si ces manquements sont suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat.

Le bailleur qui voudra s’engager dans cette voie, devra donc fournir un dossier suffisamment étayé pour obtenir la résiliation du bail, qui constitue la sanction la plus lourde pour le preneur, puisqu’elle met un terme au contrat. Le bail commercial étant un élément essentiel du fonds de commerce, le juge sera donc particulièrement vigilant et le bailleur devra tout d’abord être en mesure de justifier qu’il a régulièrement mis en demeure son locataire de respecter ses engagements contractuels et que celui-ci ne s’est pas exécuté.

Si cette preuve est relativement simple lorsqu’il s’agit d’un défaut de paiement de loyer ou des charges, le respect d’autres obligations justifiera que le bailleur en rapporte la preuve par tous moyens, le plus souvent en faisant établir un constat d’huissier. Ce sera le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de démontrer que le locataire ne respecte pas l’obligation d’exploiter les lieux loués ou de les exploiter personnellement ; qu’il exploite dans les lieux loués une activité non autorisée par les dispositions contractuelles ; voire encore lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve de travaux non autorisés ou d’un défaut d’entretien dont l’ampleur serait telle qu’elle serait susceptible de justifier la résiliation du bail et plus généralement d’un manquement du locataire à ses obligations telles qu’elles résultent du bail.

Une fois réunies les pièces permettant de rapporter la preuve du non-respect par le preneur de ses obligations, le bailleur devra donc saisir le tribunal judiciaire statuant au fond d’une action en résiliation du bail, selon les règles du droit commun.

Cependant, le succès de cette action sera subordonné à la démonstration de la gravité de la faute alléguée et le juge ne prononcera la résiliation du contrat que s’il estime que les motifs invoqués par le bailleur sont suffisamment graves.

Cette résiliation prendra effet à la date du jugement, qui devra également statuer sur les conséquences de cette résiliation. La première d’entre elles est que le locataire devient, à compter du jugement lorsque celui-ci est revêtu de l’exécution provisoire et s’il ne l’est pas dès qu’il est passé en force de chose jugée, occupant sans droit ni titre, ce qui suppose que son expulsion doit impérativement être demandée pour être ordonnée. Dans ce cas, l’huissier mettra immédiatement en œuvre la procédure d’expulsion : en effet l’expulsion d’un local commercial ou professionnel peut avoir lieu à tout moment, la trêve hivernale prévue au profit du locataire d’un bail d’habitation n’étant pas applicable. Le juge peut également condamner le locataire défaillant à régler les loyers impayés, si leur non-paiement était la cause de la résiliation et, en toute hypothèse, au paiement d’une indemnité d’occupation égale au montant du loyer conventionnel, jusqu’à la parfaite libération des lieux. Il peut aussi, en fonction des motifs ayant justifié la mise en œuvre de la résiliation judiciaire du bail, condamner le preneur à remettre en état les lieux, si un défaut d’entretien lui était imputable. Le tribunal a également la faculté d’accorder des dommages et intérêts au bailleur, à condition bien entendu que celui-ci justifie d’un préjudice en relation avec la résiliation du bail et l’évalue.

En toute hypothèse, le bailleur devra être vigilant et prendre en compte dès l’assignation introductive d’instance toutes les conséquences de la résiliation dont il demande le prononcé car le juge ne se prononcera que sur ce qui lui est expressément demandé.

La procédure judiciaire, obligatoirement engagée devant le juge du fond par ministère d’avocat constitué, sera donc relativement longue, sauf en cas d’autorisation d’assigner à jour fixe, car le locataire aura souvent à cœur de démontrer que le manquement à ses obligations que le bailleur lui reproche n’est que la conséquence des manquements de celui-ci à ses propres obligations, pour tenter d’éviter la résiliation de son bail.

Plus simple est la mise en œuvre de la résiliation du bail par constat de l’acquisition de la clause résolutoire, à condition qu’elle soit contractuellement prévue.

Les conditions de la mise en œuvre de la clause résolutoire

La mise en œuvre de la clause résolutoire est prévue par l’article 1225 du Code civil qui prévoit : « La clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entrainera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait de la seule inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »

Cette procédure, engagée devant le juge des référés, est donc beaucoup plus rapide, mais suppose, d’une part, qu’une clause résolutoire suffisamment précise ait été prévue et, d’autre part, que le bailleur suive la procédure prévue pour sa mise en œuvre.

Dans un bail commercial, la mise en œuvre de la clause résolutoire résulte des dispositions de l’article L 145-41 du Code de commerce qui prévoit que « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit, ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai. Les juges saisis d’une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du code de commerce peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets de la clause de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge. » Ce mécanisme est donc prévu et encadré par la loi en ce qui concerne les baux commerciaux. S’agissant des baux professionnels, il y a lieu de se référer au droit commun des contrats qui rappelle à l’article 1224 du Code civil que la résolution peut résulter de « l’application d’une clause résolutoire ». La clause doit donc être prévue au bail et préciser de manière explicite les obligations auxquelles elle s’applique et les conditions de sa mise en œuvre.

Ainsi, si la clause résolutoire ne vise que le défaut de paiement des loyers, le bailleur ne pourra pas la mettre en œuvre pour un manquement du locataire à une autre de ses obligations, comme par exemple l’obligation d’exploiter ou de respecter la destination des locaux prévue au bail. Le bailleur doit donc apporter un soin tout particulier à la rédaction de la clause résolutoire, puisque son mécanisme est automatique et qu’il ne laisse aucun pouvoir d’appréciation au juge, sous réserve bien évidemment qu’il soit mis en œuvre de bonne foi par le bailleur.

En matière de baux commerciaux, la loi prévoit expressément les conditions de la mise en œuvre de la clause résolutoire : il appartient au bailleur de délivrer un commandement délivré par un huissier de justice visant expressément cette clause et le manquement constaté, laissant au locataire un délai d’un mois pour y remédier. Si le locataire exécute les obligations visées par le commandement qui lui a été délivré dans le délai d’un mois qui lui était imparti, la clause résolutoire est réputée ne pas avoir joué. En revanche, si à l’expiration du délai d’un mois qui est laissé au locataire pour se mettre en conformité, celui-ci n’en a rien fait, le bailleur peut alors solliciter du juge des référés du tribunal judiciaire, territorialement compétent, de constater l’acquisition de la clause résolutoire.

Le juge n’aura alors aucun pouvoir d’appréciation et devra simplement vérifier que les obligations visées par le commandement n’ont pas été respectées par le locataire qui ne les a pas régularisées dans le délai d’un mois et il prononcera en conséquence, à l’expiration de ce délai, la résiliation du bail par acquisition de la clause résolutoire, à moins que le locataire n’en demande la suspension des effets moyennant un échéancier de règlement. Dans le cas où le juge fait droit à cette demande, la résolution du bail est suspendue pendant la durée de l’échéancier consenti, tant que celui-ci est respecté. S’il est intégralement respecté, la clause résolutoire sera supposée ne jamais avoir joué et le bail reprendra son cours normal. Dans le cas contraire, la résiliation sera immédiate et le locataire devra régler la totalité des sommes restant dues, sans qu’il soit nécessaire de revenir devant le juge. 

La décision qui constate l’acquisition de la clause résolutoire prononce également l’expulsion du locataire, devenu occupant sans droit ni titre et sa condamnation au paiement de l’indemnité d’occupation depuis la date de résiliation du bail jusqu’à la libération effective des lieux, ainsi qu’au paiement des loyers impayés à raison desquels la procédure a été engagée.

L’ordonnance de référé est exécutoire de droit par provision, le bailleur pourra donc immédiatement, sauf octroi de délais, mettre en œuvre l’expulsion de son locataire et procéder au recouvrement des condamnations. Cette procédure est donc relativement simple mais ne peut s’appliquer qu’aux situations expressément prévues par la clause contractuelle. Cette procédure devra aussi être dénoncée aux créanciers bénéficiant d’inscriptions sur le fonds de commerce.

Le non-paiement des loyers est souvent le symptôme de graves difficultés financières du locataire qui pourra faire l’objet d’une procédure collective.  

Les effets de la résiliation du bail pouvant être paralysés par le locataire (même une fois que la décision a été rendue) par l’ouverture à son profit d’une procédure collective, il est important d’agir rapidement en cas de défaut de paiement des loyers et donc de privilégier la procédure de constat d’acquisition des effets de la clause résolutoire. En effet, la décision prononçant la résiliation du bail n’est susceptible d’être exécutée que si elle résulte d’une décision passée en force de chose jugée, c’est-à-dire insusceptible d’un recours suspensif d’exécution, avant l’ouverture d’une procédure collective. Si un jugement d’ouverture d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire intervient avant que la décision constatant la résiliation du bail ne soit passée en force de chose jugée, elle ne pourra pas être exécutée, ce qui se comprend parfaitement puisque le bail commercial est un des actifs principaux d’un fonds de commerce. Dans ce cas, le bailleur sera soumis aux règles de la procédure collective et devra déclarer sa créance antérieure au jugement d’ouverture, qui sera éventuellement payée conformément aux dispositions d’ordre public résultant du droit des procédures collectives, qui interdit le paiement des créances antérieures à compter de l’ouverture de la procédure ; seuls les loyers postérieurs au jugement d’ouverture, que le mandataire judicaire est tenu de régler s’il souhaite conserver le bénéfice du bail pour le redressement ou la cession de l’entreprise, peuvent bénéficier d’un paiement privilégié. Le bailleur se trouvera alors soumis aux nécessités de la procédure collective, notamment en cas de cession du droit au bail dans le cadre d’un plan de continuation ou d’un plan de cession, où le bailleur risque de se voir imposer un nouveau co-contractant.

Il est donc très important d’agir rapidement, dès les premiers impayés, pour obtenir dans les meilleurs délais une ordonnance constatant la résiliation du bail. La rapidité d’action est toujours un gage d’efficacité, pour le bailleur bien entendu, mais également pour le preneur, afin d’éviter un accroissement excessif de la dette locative et lui permettre le cas échéant de la régulariser.

 

Me Stéphanie Macé, Avocat au Barreau de Toulouse

Source : 25 millions de propriétaires • N°553 juillet/août 2021

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