Passe-moi le syndic !

Plus de 526 000 copropriétés en France, dont 51% sont gérées par des syndic professionnels. Plus de 3200 agences partagées entre les grands groupes, les structures familiales de grande taille (plus de 400 immeubles), de taille intermédiaire (de 150 à 399 immeubles) et celles de taille modeste (moins de 150 immeubles). Ça en fait des visites d'immeubles, des conseils syndicaux et des assemblées générales. Autant de prestations à mener en toute compétence au risque de se faire évincer. « Honnêtement, on peut être irréprochable toute l'année et une fois, une seule fois, répondre un peu sèchement à un copropriétaire qui pose une question à laquelle on a déjà répondu vingt fois et bim, on est mis en concurrence à la prochaine assemblée. » Paroles anonymes de syndics unanimes sur cette difficulté à tenir le rythme effréné du métier. Mérité ou non, le changement de syndic est possible et encadré par la loi (lire par ailleurs). Le syndic qui souhaite reprendre un immeuble propose sa candidature, contrat à l'appui dûment inséré à la convocation dans les délais légaux. Le jour de l'assemblée générale, le nouveau contrat est proposé au vote (majorité absolue ou simple si un tiers des copropriétaires a voté pour).

Erreurs grossières

« Souvent, nous nous rendons à l'assemblée. En théorie, le syndic en place est tenu de terminer l'AG, mais en pratique, dès que l'on est nommé il quitte la salle et nous prenons le relais ». Mathieu Térol, syndic pour le cabinet Grammatico, groupe Ippolito à Nice, a croisé tout type de situation. 

Dans la grande majorité, ça se passe bien. Notre entrée en fonction prend effet le lendemain de l'assemblée, comme il se doit. La situation de trésorerie et les références des comptes bancaires ouverts au nom du syndicat des copropriétaires sont transmises tout de suite et le mois suivant l'ensemble des documents et archives nous sont remis.

Au cabinet familial et indépendant Taboni à Nice, Pierre et Corinne Taboni indiquent aussi qu'en règle générale tout se passe bien mais « c’est long. Dans tous les cas, pendant un mois ou deux, on travaille sans filet. On demande aux copropriétaires de régler le montant trimestriel habituel des charges. Parce que sans argent, pas de gestion d'immeuble. Beaucoup le comprennent. Tout ceci dans le but de ne pas pénaliser la copropriété dans son fonctionnement. On connaît assez bien les fournisseurs locaux et on essaie de savoir lequel dispose d'un contrat dans l'immeuble et on les contacte un par un. » Des surprises surviennent parfois : « On reçoit une salve de factures impayées dès que l'on est nommé, explique Corinne Taboni. Factures que le précédent syndic n'a pas réglées. Avant de mettre le nez dans ces soucis-là, nous vérifions tout ce qui a été fait. Surtout, retour à la base : le règlement de copropriété et les clés de répartition. On regarde tout à la loupe et il arrive que des erreurs grossières soient soulevées. Les comptes ne sont pas bons. » Des factures payées alors que les travaux ne sont pas faits, des charges privatives régularisées avec le compte de la copropriété, des répartitions mal opérées... « Le travail est colossal parfois, souffle Corinne Taboni. Mais c'est un métier de passionnés. On aime nos copropriétaires, on aime que nos immeubles soient bien tenus. C'est une satisfaction quotidienne. Et puis à chaque fois que l'on récupère une copropriété, c'est une victoire pour le travail que réalisent nos équipes. On attend les documents, on repointe tout, on prend notre mal en patience. Tout finit par rentrer dans l'ordre. »

Que dit la loi ? 

Les deux textes de référence en la matière sont l'article 18-2 de la loi du 10 juillet 1965 et l'article 33-1 du décret du 17 mars 1967.

À noter que depuis le 1er juin 2020, le syndic sortant dispose d’un délai de 15 jours pour remettre au nouveau syndic la situation de la trésorerie bancaire.
Il dispose d'un délai d’un mois pour transmettre les autres documents et archives, soit l'ensemble des documents dématérialisés liés à la gestion de l'immeuble ou aux lots gérés, dans un format téléchargeable et imprimable, ainsi que les documents contractuels ou techniques concernant l'immeuble. La transmission de ces documents et archives du syndicat doit être accompagnée d'un bordereau récapitulatif de ces pièces dont copie est remise au conseil syndical.

Dans un délai de 3 mois, l'ancien syndic devra fournir l'état des comptes des copropriétaires et du syndicat de copropriétaires après apurement et clôture.

À défaut de transmission des fonds et des documents au nouveau syndic, et après mise en demeure restée infructueuse, le syndic nouvellement désigné ou le président du conseil syndical pourra demander au président du tribunal judiciaire, statuant comme en matière de référé, d'ordonner sous astreinte la remise des pièces et des fonds disponibles ainsi que le versement des intérêts dus à compter de la mise en demeure. L’ancien syndic peut également se voir condamné au versement de dommages-intérêts.

Mauvais joueurs

Certes. Le cabinet Taboni, 40 collaborateurs, tout comme Grammatico, 10 collaborateurs, ont cependant déjà côtoyé de vrais mauvais joueurs. « C'est ridicule de ne pas transmettre les documents de suite, indique Pierre Taboni, de toute façon, ce que l'on ne fait pas maintenant, il faudra le faire après. » Tout à fait exact et pourtant. Quel syndic n'a pas envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception pour mettre en demeure un de ses confrères de lui transmettre les pièces réglementaires qui n'arrivaient toujours pas ? Aucun. « Des cabinets qui attendent le dernier moment pour déposer documents et archives, on en a tous connus. Mathieu Terol raconte quelques belles anecdotes. Déjà, on est content quand le syndic en place n'omet pas volontairement de mettre notre candidature à l'ordre du jour de l'assemblée générale ! Parce qu'après tout se complique, il faut convoquer une nouvelle assemblée, représenter les comptes à approuver. On se retrouve parfois avec deux exercices à présenter, ce n'est pas très professionnel, mais enfin, on le fait pour assainir la situation comptable. Nos copropriétaires le comprennent. »

Pas fairplay entre eux les syndics ? En surface, ils sont tous réglos quand on les interroge. Souhaitant garder l'anonymat, deux anciens collaborateurs des groupes Foncia et Immo de France, confient : « C'est un peu le jeu. Quand on perd un immeuble, on prend le rendez-vous au dernier moment avec le syndic qui le récupère. Pour quelles raisons ? Parce qu'on est mauvais joueur je crois. C'est idiot parce que quand c'est nous qui récupérons un immeuble, on enrage de voir les documents arriver le dernier jour du délai. » Le principe même du mauvais joueur. Tous les syndics interrogés ont déjà envoyé au moins une requête en référé pour récupérer des documents qui n'arrivaient pas dans les temps. La passation de pouvoir n'est donc pas toujours chose aisée. Comme dans tout domaine, théorie et pratique sont très éloignées. En théorie, les copropriétaires cherchent le syndic qui saura gérer leur immeuble d'une main de maître au meilleur tarif, et le syndic cherche les meilleurs copropriétaires possibles d'un immeuble fort bien entretenu. En pratique, les syndics sont mis en concurrence en moyenne tous les deux ou trois ans, pour diverses raisons. La valse des documents n'est donc pas prête de s'arrêter et les immeubles vont continuer de se passer l'syndic.

Un référé sinon rien

Clément Diaz est avocat depuis 2010. Barreau de Lyon puis barreau de Nice, il a développé une expertise dans le domaine du droit immobilier et plus particulièrement en droit de la copropriété. Des requêtes en référé pour syndics récalcitrants à remettre des pièces, il en a déjà déposé. « En règle générale, la simple mise en demeure suffit à faire rentrer les choses dans l'ordre. Avant le terme des huit jours, les pièces manquantes sont remises. Parfois, il faut aller jusqu'à l'assignation et nous le faisons. Là aussi, avant que l'audience n'ait lieu, pour éviter les dommages-intérêts et les astreintes qui pourraient être prononcées, le syndic assigné remet à son confrère l'ensemble des documents demandés par la loi. Il faut savoir qu'entre le moment où l'on dépose une requête et la date de l'audience, il peut se passer trois mois. Les calendriers sont assez chargés. Donc si le syndic qui a perdu un immeuble veut faire perdre encore plus de temps à celui qui a remporté le contrat, il peut le faire de cette façon. Grands groupes comme cabinets indépendants ont déjà été assignés. Il n'y a pas de règle à ce "jeu". Pourquoi vont-ils jusque-là ? Je ne saurais vous dire. Parce qu'ils estiment qu'ils ne méritaient pas de perdre cet immeuble j'imagine. Un sentiment d'injustice ? Qui sait. » Injuste ou pas, tout se joue en assemblée générale et ce sont les copropriétaires, concernés au premier rang par la vie de leur immeuble, qui votent. Si les votes sont à contester, c'est encore une autre histoire, une autre procédure.
Par Sam Carabott

Source : 25 millions de propriétaires et vous • N°571; mars 2023

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