La tendance du partage dans immobilier, dont le co-living est l’expression la plus récente, peut s’expliquer par plusieurs facteurs :
Le co-living ne fait l’objet d’aucune définition claire, ni d’aucun régime juridique précis. Il est avant tout une tendance multiforme pas évidente à appréhender. A minima peut-on dire que les multiples pratiques de co-living ont toutes en commun le partage entre plusieurs personnes d’espaces de vie et parfois en même temps, de travail.
Cet article essaiera tout d’abord de recenser les déclinaisons du co-living pouvant exister au moins en France, puis de définir les différents aspects de son régime juridique et fiscal et enfin d’analyser le modèle économique et les opportunités qu’il peut représenter tant du côté du locataire que du côté du propriétaire.
Nos lecteurs se demanderont tout d’abord à juste titre s’il faut différencier le co-living de la colocation ? On répondra simplement que les deux notions sont très semblables mais que le co-living représente une version plus aboutie de la colocation. En effet, la colocation est en général autogérée et organisée par les colocataires eux-mêmes dans un espace qui n’a pas toujours été pensé à cet usage. Ainsi, souvent, le seul espace réellement privatif dans une colocation est la chambre, les sanitaires et cuisine étant communs. Le co-living est mieux adapté à des publics exigeants qui souhaitent une véritable intimité, matinée d’une dose de partage et de services. L’autre différence est la durée d’utilisation du bien immobilier : alors que la colocation est généralement pluriannuelle, le co-living correspond mieux à des besoins ponctuels et de courte durée (retour d’expatriation, divorce, travaux dans le logement dont on est propriétaire…).
Le co-living peut d’abord être conçu uniquement pour de l’habitation. Les locaux, soit construits à cet effet, soit procédant du réaménagement d’une maison individuelle de taille conséquente, comprendront dans ce cas des unités privatives et des espaces partagés. Les espaces privatifs sont de véritables appartements allant du studio au T3 et comprennent une ou plusieurs chambres, sanitaires et le cas échéant une kitchenette. Les espaces communs se composent généralement d’une pièce de convivialité (lecture, multimédia, jeux), d’une buanderie, d’une chambre d’amis... Les locaux sont entièrement meublés le plus souvent et des services sont adjoints à l’offre purement immobilière : linge de maison, ménage, abonnements Internet et chaines télé, vélos, trottinettes électriques, gardiennage… Bien entendu, le prix payé comprend l’ensemble des charges : eau, électricité, chauffage, taxe d’habitation… Ce type de co-living est destiné à un public exigeant, et doté de revenus supérieurs. L’intérêt de ces formules est également leur souplesse puisque l’utilisateur peut contracter pour des durées brèves, confier en sous-location pour le temps d’une mobilité à l’étranger… Ce qui différencie nettement le co-living des colocations classique est le cadre souple des formules proposées. Le coût est en rapport, nous le verrons plus loin.
Le co-living peut également procéder d’une nature mixte habitation-professionnel ; l’idée est ici de combiner co-working et habitation commune. Juste pour rappel, les espace de co-working se sont fortement développés au cours des 10 dernières années ; ils proposent à des professionnels libéraux ou à des créateurs d’entreprise de partager des locaux professionnels pour un temps pouvant aller de quelques heures à plusieurs mois, en bénéficiant également de services partagés (photocopie, abonnement Internet, cafeteria…) ; le principe sous-jacent du co-working n’est pas uniquement de réaliser des économies d’échelle, mais également d’offrir un lieu d’échange intellectuellement « fertilisant » pour des professionnels de secteurs différents et ainsi développer leur créativité. L’idée de combiner co-working et habitation vise à décloisonner le temps de travail et le temps personnel en permettant aux intéressés d’habiter sur leur lieu de travail ou, suivant comment ils conçoivent la part de chaque chose, de travailler sur leur lieu d’habitation ! Accessoirement c’est également une réponse à la tendance au « nomadisme » professionnel où l’on travaille à toute heure, connecté avec le monde entier, alors que les espaces exclusivement dédiés au co-working ont des heures de fermeture précises.
Enfin, certains projets proposent un thème spécifique au co-living, renforçant ainsi la dimension communautaire autour de centres d’intérêt comme le sport (salle de sport intégrée aux espaces communs, abonnement à des chaînes sportives), la cuisine (équipements dédiés, cours de cuisine) ou le développement personnel (espaces de relaxation, sauna, yoga).
Les déclinaisons semblent donc quasiment infinies, le concept étant de coller au plus près des besoins des utilisateurs dans un marché en pleine expansion mais aux dimensions encore limitées.
Le co-living connaît également des publics différents et les produits proposés sur ce marché varient sensiblement en fonction de la clientèle. Le co-living le plus répandu est celui qui touche les étudiants. Aujourd’hui plus de 40 % des étudiants ont adopté un mode d’habitation partagé dont le plus connu est la traditionnelle colocation autogérée. Le co-living étudiant se développe également à grande vitesse même s’il n’est pas toujours évident de le différencier en pratique des résidences étudiantes classiques proposant des services adaptés. Il touche la tranche d’âge 18-24 en moyenne et mise sur le caractère ludique et connecté des lieux ; les espaces privatifs se limitent généralement à une chambre de petite taille.
Le co-living de jeunes salariés (25-30 ans) se répand également dans les grandes agglomérations et peut accueillir autant des personnes célibataires que des couples ou familles avec un ou deux enfants en bas-âge. C’est généralement pour ce type de public que sont proposés des espaces de co-working.
Le co-living senior est encore peu développé alors que c’est probablement celui qui a le plus de potentiel de développement en raison de plusieurs facteurs : l’allongement de la durée de la vie, la faiblesse économique de beaucoup de retraités, les besoins en soins et en sécurité pouvant être mutualisés. Il peut représenter une alternative aux maisons de retraite et EPHAD pour des publics encore autonomes ou en légère perte d’autonomie. Que l’on songe aux services pouvant être mutualisés à l’échelle de 5 ou 6 occupants : repas, soins infirmiers, espaces de convivialité, multimédia, apprentissages…
Enfin le co-living intergénérationnel semble encore très embryonnaire en France alors qu’il serait probablement l’un des modèles les plus prometteurs permettant la rencontre des besoins des jeunes générations (aspiration solidaire, logement économique) avec celle des générations dites « silver » (en anglais, argent, pour la couleur des cheveux !) en quête de rompre avec la solitude et d’aide ponctuelle (ménage, courses, menus travaux par exemple).
Le mode d’organisation et de gestion du co-living est également un déterminant important. De manière schématique deux modèles peuvent être imaginés :
Disons-le d’emblée : il n’y a pas de régime juridique unique du co-living, pour deux raisons évidentes : le caractère très récent de cette tendance et surtout la multiplicité des modèles offerts sur le marché. Le régime juridique va osciller entre la colocation classique, la location en meublé, la résidence avec services, le logement-foyer ou encore l’hôtellerie…
Cette question ne concerne pas directement l’usager des biens en co-living mais plutôt le promoteur de l’opération. En effet, la destination des lieux est une question d’urbanisme qui a des incidences importantes sur la possibilité de réaliser ou non une opération de co-living. Ainsi, si l’opération envisagée suppose une construction neuve, il sera nécessaire de s’assurer que sa destination est compatible avec le règlement d’urbanisme de la commune ; si, ce qui est souvent le cas, l’opération se réalise à partir d’une construction existante (villa, maison de ville…), il faudra vérifier si l’opération suppose ou non un changement de destination. D’où la question de la destination des lieux objets du co-living, dont la détermination ne pourra se faire qu’au cas par cas en application de la nomenclature prévue par le droit de l’urbanisme (arrêté du 10 novembre 2016).
Les opérations de co-living peuvent se ranger dans deux destinations principales :
Tout va donc dépendre de la part de l’habitation et des services dans le projet de co-living. Certaines communes ont défini des critères plus précis à partir de la nomenclature ci-dessus ; Ainsi par exemple à Lyon, si l’opération offre à ses usagers au moins trois des quatre services (nettoyage, accueil, restauration, fourniture de linge), il s’agit d’une destination « commerce et activités de services ». Si ce n’est pas le cas il s’agira d’une destination « habitation ».
La France est un pays très règlementé du point de vue des rapports locatifs et le co-living n’entre dans aucune catégorie précise, mais peut correspondre à plusieurs schémas.
Dans ce cas les initiateurs et usagers du projet contractualisent directement avec le propriétaire de l’immeuble sur la base d’une location « nue » soumise à la loi du 6 juillet 1989. Les usagers pourront signer entre eux un «pacte de colocation » prévoyant notamment comment les charges se répartissent et comment les locaux sont utilisés. Ce pacte n’a d’effet qu’entre les colocataires et demeure inopposable au propriétaire des lieux.
La loi du 6 juillet 1989 sur le bail d’habitation prévoit aujourd’hui des dispositions relatives à la colocation ci-après résumées :
Elle peut également être un régime juridique applicable au co-living si le logement mis à disposition comprend des aménagements et meubles correspondant au minimum requis légalement et surtout s’il est la résidence principale du locataire c’est-à-dire si ce dernier l’occupe plus de 8 mois par an. Dans ce cas, la durée du bail est libre et un certain nombre de dispositions de la loi du 6 juillet 1989 seront applicables.
Si le logement meublé est occupé moins de 8 mois par an par le locataire, il pourra alors être rattaché au régime des locations en meublé saisonnières (voir sur ce sujet notre article Retour sur les locations saisonnières, 25 Millions de propriétaires, avril 2018, p.26), ce qui entraînera à la charge du bailleur des obligations déclaratives plus ou moins lourdes suivant la commune de situation du bien. Le co-living se fondra ici avec le régime des locations de type Airbnb.
Il apparaît particulièrement bien adapté au co-living même s’il n’a pas été conçu à cet usage, mais plus pour des publics fragiles. L’article L. 633-1 du Code de construction et de l’habitation définit le logement-foyer comme un établissement destiné au logement collectif à titre de résidence principale de personnes dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs meublés ou non et des locaux communs affectés à la vie collective et accueillant notamment des personnes âgées, des personnes handicapées, des jeunes travailleurs, des étudiants, des travailleurs migrants ou des personnes défavorisées. Le logement-foyer est géré par un tiers gestionnaire qui propose des services.
Appelées également résidences-hôtelières, ce modèle semble pouvoir s’appliquer à certaines opérations de co-living. En réalité il n’existe pas réellement de régime juridique propre à ces résidences, notamment dans les relations entre l’occupant et le gestionnaire. Les problématiques juridiques liées à ces résidences se concentrent sur les questions de défiscalisation et sur celles de bail commercial entre l’investisseur et le gestionnaire.
On s’interrogera sur quelques aspects fiscaux du co-living.
Du point de vue de la TVA, le régime applicable sera celui de l’hôtellerie, c’est-à-dire une TVA à 10 %, si, en application de l’article 261 D du Code général des impôts, l’opération se caractérise par des prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l'hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle.
S’agissant des revenus encaissés par le bailleur, ils recevront la qualification de revenus fonciers en cas de location nue et sans services associés (colocation classique) ; dans tous les autres cas, il s’agira de bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Suivant les caractéristiques de l’opération réalisée, le bailleur pourra bénéficier du régime de loueur en meublé non professionnel (dit LMNP) qui permet de déduire des revenus locatifs toutes les charges afférentes au bien immobilier y compris son amortissement. Le régime LMNP est assujetti à des plafonds de revenus locatifs. En revanche le bailleur / investisseur n’est pas éligible à des dispositifs de défiscalisation comme cela a pu être le cas pour certaines résidences de tourisme.
La déductibilité des sommes payées par l’usager ne sera possible que si les biens ont un usage professionnel, ce qui sera notamment le cas si une partie des espaces loués correspondent à du co-working. Dans le cas de locaux mixtes (co-living ; co-working), il pourra être intéressant de demander au gestionnaire ou au bailleur une ventilation de la facturation afin de faciliter l’identification des sommes déductibles.
La taxe d’habitation est un impôt en sursis puisqu’il est prévu de la supprimer pour la plus grande partie des contribuables à compter de 2020. En matière de co-living, deux cas de figure sont envisageables :
Dans les deux cas ci-dessus, la répartition équitable de la taxe d’habitation peut être rendue très complexe par les situations différentes des occupants, certains étant légalement assujettis alors que d’autres peuvent être exonérés.
Ce modèle et ces opportunités seront analysés du point de vue de l’usager comme du point de vue de l’investisseur.
Il n’est pas toujours facile d’obtenir les tarifs des opérations immobilières de co-living. La plupart des sites web vendent une image idyllique de ce mode d’habitat mais restent très discrets sur les prix pratiqués.
Voici quelques repères :
Voici un tableau permettant de comparer les tarifs d’une offre de petite surface destinée à des étudiants, en province et à Paris :
| Studio indépendant sans services toutes charges et taxe d’hab. incl. | Colocation 3 étudiants dans T4 toutes charges et taxe d’hab. incl. | Studio dans résidence étudiante avec services minimum | Co-living avec espaces communs de belle taille et bouquet de services important |
Région parisienne (94) | 680 € /mois | 550 € /mois/pers. | 750 € /mois | 900 € /mois/pers. |
Bordeaux ou Toulouse | 580 € /mois | 420 € /mois/pers. | 600 € /mois | 750 € / mois/pers. |
Ce qui précède, même s’il s’agit de prix moyens constatés sur un échantillon de petite taille, positionne le co-living comme un produit haut de gamme réservé à une clientèle privilégiée. On constate ainsi que le co-living est proposé à des tarifs d’environ 70 % supérieurs à ceux d’une colocation autogérée. Les prestations sont évidemment d’un standing supérieur.
Des formules de co-living « low-cost » restent à inventer pour satisfaire une demande d’usagers moins aisés. Le véritable marché se situe probablement là.
Sans entrer dans des calculs détaillés on peut avancer :
Laurent Grosclaude, maître de conférences UT1 Toulouse Capitole
Source : 25 millions de propriétaires • N°juillet-août 2019
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