Contester un permis de construire

Le dynamisme lié à la réalisation de projets immobiliers est souvent la marque d’une bonne santé de l’économie mais lorsque l’on est directement concerné par un projet dont on vient de voir en passant l’affichage du permis juste à côté de chez soi, le ressenti peut être sensiblement différent. Détails.

Dans un tel cas de figure, le législateur a permis depuis longtemps aux tiers, c’est-à-dire aux voisins, d’exercer un recours. Le souci du législateur est de concilier la nécessité d'assurer la stabilité de l'ordre juridique et notamment celui de la sécurité juridique qui a pour objet de garantir les situations acquises des administrés avec la possibilité, pour tout intéressé, de faire contrôler la validité des actes qui lui sont opposés.

Cependant, les très nombreux recours engagés devant les tribunaux à l’encontre des autorisations d’urbanisme tels que le permis de construire, de démolir, le permis d’aménager ou la déclaration préalable de travaux, ont permis au juge administratif d’étoffer sa jurisprudence en la matière.

De plus, le législateur exprime, depuis l'ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, clairement l’objectif de restreindre ce droit à recours mais aussi de prévenir les recours abusifs et malveillants. Il faut rappeler en effet que la loi ALUR du 24 mars 2014 avait fixé un objectif de production de logements très ambitieux qui n’a certes pas été tenu mais la nécessité de produire des logements et notamment sociaux est toujours bien présente dans l’esprit des pouvoirs publics.

Les recours contentieux formés par les tiers contre les permis de construire constituent un frein à cet objectif puisque la procédure contentieuse peut avoir un effet paralysant sur les projets immobiliers.

Avant de s’engager sur cette voie, il convient d’être prudent et d’évaluer les éventuels risques inhérents à toute procédure et ce d’autant plus que le juge administratif veille strictement sur la mise en œuvre de ces recours.

Quels sont les points essentiels d’un recours contentieux ?

Intérêt à agir :

Il faut en premier lieu se demander si en tant que tiers, on dispose d’un intérêt à agir. En effet, pas d’intérêt, pas d’action, dit l’adage !

L'article L. 601-1-2 du Code de l’urbanisme modifié ensuite par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (loi ELAN), pose en effet que : “Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation. Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire”.

Par une importante décision Gino et Brodelle, le Conseil d'État avait déjà précisé la méthode à appliquer pour mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme.

Il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir (c’est le terme consacré en contentieux administratif) tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il s’agit de prouver par exemple que le projet créera des troubles de voisinage liés à la vue, l’ensoleillement et le bruit.

Le requérant peut produire devant le juge saisi un constat d’huissier ou des attestations de témoins pour établir l’existence de nuisances (cf. CAA Nancy, 9 mars 2017, n°16NC00139 : une activité artisanale de réparation mécanique est une source notamment de nuisances sonores (bruits métalliques et de moteurs).

Ou encore si le permis litigieux apporte « des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l'apparence de la construction », les requérants peuvent établir « être propriétaires dune maison () située à proximité immédiate de la parcelle dassiette du projet », puis produire « divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant dune vue directe sur la construction projetée » pour justifier d’un intérêt à agir (cf. CE, 17 mars 2017, n° 396362).  

Il appartient, ensuite, au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.

Il appartient, enfin, au juge d’apprécier la recevabilité de la requête au vu des éléments versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci (CE, 10 juin 2015, n° 386121, Brodelle et Gino : JurisData n° 2015-013930 ; Lebon, p. 191)

Le Conseil d'État a ensuite assoupli l'application stricte de ces dispositions (CE, 10 févr. 2016, Peyret, préc. n° 278) et a adouci sa jurisprudence en reconnaissant aux « voisins immédiats » une sorte de présomption d'intérêt à agir.

Délai de recours :

En second lieu, il faut impérativement agir dans « le délai de recours contentieux », sous peine sinon de voir juger son recours irrecevable. Le délai de recours contentieux est le délai de droit commun de 2 mois. Il court pour les tiers, en application de l'article R. 600-2 du Code de l'urbanisme, « à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ».

Néanmoins, un permis n’est pas contestable « ad vitam aeternam ». en effet, l’article R.600-3 du Code de l’urbanisme rappelle que 6 mois après l’achèvement de la construction ou de l’aménagement, aucun recours n’est plus possible (même en cas de défaut d’affichage sur le terrain). Par achèvement,  on entend la réception de la déclaration d'achèvement mentionnée à l'article R. 462-1 du même code.

Il s’agit d'éviter la remise en cause d'autorisations d'urbanisme parfois très longtemps après la réalisation de la construction,  alors que le propriétaire, qui a pu changer, n'est pas ou plus en mesure d'établir l’accomplissement des formalités d'affichage applicables à la date de la délivrance de l'autorisation, sur le terrain.

L’affichage sur le terrain :

Le panneau rectangulaire est en général le « premier signal d’alerte » pour le tiers. On vient de préciser que le délai de recours court à compter de l’affichage sur le terrain, visible depuis la voie publique. Cet affichage revêt donc une importance certaine.

Si le texte prévoit que l'affichage doit être effectué dès la délivrance de l'autorisation et se prolonger pendant toute la durée du chantier, ces exigences sont indifférentes du point de vue contentieux. Le délai court si l'affichage sur le terrain a duré 2 mois, sans interruption, à compter de la date où il a commencé. Peu importe que l'affichage ait commencé plusieurs jours, voire plusieurs semaines après la délivrance du permis, peu importe qu'il n'ait pas été maintenu jusqu'à la fin du chantier.

De plus l’affichage ne doit pas être tronqué de manière volontaire ou involontaire. Le juge peut être amené à vérifier que le panneau était visible d'au moins un point de la voie publique. Si l'affichage n'est pas visible de la voie ou s'il l'est dans des conditions insuffisantes (affichage au fond d'une impasse constituant un accès secondaire par exemple), le délai ne courra pas vis-à-vis des tiers.

La preuve de l'affichage sur le terrain et de son caractère continu pendant 2 mois, essentielle en cas de contestation sur le caractère tardif ou non du recours, peut être apportée par tous moyens. Elle incombe au bénéficiaire de l'autorisation d'occupation des sols. Les promoteurs ou aménageurs diligents procèdent par constat d’huissier.

Bien entendu, les tiers peuvent apporter eux aussi la preuve du caractère inexistant ou défectueux de l'affichage par constat d'huissier ou par tout autre témoignage. En cas de contradictions entre les éléments apportés par l'une ou l'autre des parties, le juge tranchera.

Le code précise en outre la taille du panneau : rectangulaire d'au moins 80 centimètres de dimension.

Il doit comporter un certain nombre de mentions précises : nom du demandeur, raison sociale du bénéficiaire, nom de l’architecte auteur du projet, date et numéro du permis, superficie du terrain, surface du plancher autorisé, hauteur du projet, date d’affichage en mairie du permis, nature du projet, adresse de la mairie où le dossier peut être consulté (articles R. 424-15 et A. 424-1 du Code de l'urbanisme).

Néanmoins, le juge est pragmatique. Si les indications sur le panneau sont erronées mais suffisantes pour caractériser le permis et le consulter ensuite en mairie, elles n'ont pas d'incidence. Soulignons tout de même que par une décision no 416610 du 25 février 2019, le Conseil d’État a rappelé que l’absence de mention de la hauteur d’une construction sur le panneau d’affichage du permis de construire empêche le délai de recours contentieux de démarrer, l’affichage n’étant pas considéré comme complet au sens du Code de l’urbanisme.

Une mention est importante pour les tiers : celle relative au droit de recours prévue à l'article A. 424-17 du Code de l'urbanisme : il est obligatoire d'indiquer sur le panneau d'affichage que tout recours administratif ou contentieux doit être notifié à l'auteur de l'acte et au bénéficiaire du permis (voir la dernière partie : « le recours contentieux »).

L’autorisation est-elle contestable ? quels sont les risques pour le tiers ?

Préalablement au dépôt d’un recours contentieux, il convient de s’interroger sérieusement sur la légalité du permis que l’on souhaite attaquer. En effet, si aucun moyen d’illégalité (terme juridique consacré) ne peut valablement être mis en exergue, il faut s’abstenir de saisir un juge administratif, sous peine de s’exposer à une demande de dommages et intérêts de la part du bénéficiaire du permis.

En effet, depuis l’ordonnance du 18 juillet 2013 pour faire face à une explosion de recours abusifs à l’encontre d’autorisations d’urbanisme, un décret du 18 juillet 2018 et la loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ont durci la possibilité d’exercer un recours.   Cette loi  modifie les qualificatifs pour considérer certains recours comme la manifestation de comportements abusifs. Initialement, pour saisir les tribunaux, les entreprises de promotion immobilière devaient prouver qu’elles subissaient un « préjudice excessif » suite à ces recours. L’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, issu de la loi ELAN, a été réécrit de manière à faciliter les demandes de sanction des recours abusifs en supprimant la condition  de démontrer « un préjudice excessif ».

Enfin, aux termes de l'article L. 421-6 du Code de l'urbanisme : “Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords. »

Sur ce point, seul un professionnel de la matière, avocat spécialisé, peut préalablement réaliser un audit du permis, c’est-à-dire examiner tout le dossier de demande de permis déposé et l’analyser à la lumière des règles d’urbanisme issues du règlement du Plan Local d’Urbanisme (PLU), ainsi que du code de l’urbanisme.  Si un ou plusieurs moyens d’illégalité tant sur la forme que sur le fond peuvent être mis en évidence, le dépôt d’un recours peut être envisagé.

Le recours contentieux :

Le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 a totalement modifié l'article R. 600-4 du Code de l'urbanisme qui prévoit désormais que : “Les requêtes dirigées contre une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d'irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation, du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l'occupation ou de la détention de son bien par le requérant… »

Donc désormais au recours doit être annexée la preuve de l’occupation régulière (propriétaire, locataire…) du bien affecté par le projet.

Par ailleurs, la recevabilité du recours est subordonnée à une règle propre à ce contentieux de l’urbanisme : la preuve de la notification du recours (article R. 600-1 du Code de l'urbanisme).

La notification du recours complet incombe au requérant (c'est-à-dire celui qui engage l’action). Elle doit être faite à l'auteur de la décision (maire ou préfet lorsque le permis est délivré par le maire au nom de l’Etat) mais aussi au bénéficiaire du permis, et ce dans un délai de 15 jours à compter du dépôt du recours auprès du tribunal administratif.

La notification a lieu selon le texte par lettre recommandée ou sinon dans des conditions équivalentes à un envoi recommandé (la notification par Chronopost ou par voie d'huissier est équivalente à un envoi par lettre recommandée).

A défaut, la sanction est sans appel : c’est l’irrecevabilité du recours contentieux.

Cette notification dans les mêmes conditions doit être réalisée dans le cas d’un recours gracieux préalable auprès de l’auteur de la décision (le maire).

En outre, en cas d’appel d’un jugement rejetant le recours contentieux, la notification de l'appel doit être faite de nouveau au bénéficiaire de la décision et à l’auteur de cette même décision.

Enfin, le recours peut être une étape vers une négociation, voire même une médiation avec le promoteur. La médiation fait en effet partie des modes alternatifs de règlement amiable des litiges ayant vocation à s’appliquer devant les juridictions administratives.

Conséquences des mesures prises pendant l’état d’urgence sanitaire sur les recours contre les permis de construire

Les ordonnances publiées par le gouvernement, dans le cadre de la loi d’urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, ont de fortes conséquences pour les permis de construire non purgés de recours au 12 mars 2020.

La période d’état d’urgence sanitaire a démarré le 24 mars 2020 à 0h00 et prendra fin le 24 mai 2020 à 0h00 (sauf report). Toutefois, les ordonnances concernent rétroactivement les délais qui devaient arriver à échéance entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus (date d’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence).

L’article 15 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 prolonge ainsi le délai de recours des tiers contre les permis affichés avant le 12 mars 2020 et qui pouvaient encore faire l’objet d’un recours à cette date. Pour ces permis, la date limite de recours est reportée à 2 mois après l’expiration de la date de cessation de l’état d’urgence, augmentée d’un mois (24 mai + 1 mois + 2 mois = 24 août 2020). 

Cependant une ordonnance du 15 avril 2020 portant dispositions en matière de délais modifie les règles posées par l’ordonnance du 25 mars 2020.

Désormais, les délais pour faire un recours à l’encontre de l’une de ces autorisations sont suspendus pour faciliter la reprise de la vie économique et donc pour accélérer la reprise des travaux de construction.

L’ordonnance n°2020-427 du 15 avril 2020 APPORTE UNE PRECISION CONCERNANT LES DELAIS DE RECOURS dirigés contre une autorisation d’urbanisme qui n’étaient pas expirés à la date du 12 mars 2020 : ceux-ci sont suspendus depuis le 12 mars 2020 et reprendront leur cours dès la fin de l’état d’urgence sanitaire mais pour une durée qui ne pourra être inférieure à sept jours.

Par exemple, un recours dont le délai expirait normalement le 12 avril 2020 (soit un mois après le début de l’état d’urgence), pourra être exercé pendant un mois à compter de la fin de l’état d’urgence. Mais si ce délai AVAIT dû expirer le 16 mars 2020 (soit 4 jours APRES LE DEBUT de l’état d’urgence), il pourra être exercé pendant les sept jours suivant la fin de l’état d’urgence. Et si le délai de recours AVAIT dû commencer à courir après le 12 mars 2020, son point de départ sera fixé au jour de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Nathalie Thibaud  • Avocat au Barreau de Toulouse, consultant UNPI 31-09

Source : 25 millions de propriétaires • N°mai 2019


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