L’immobilier à l’heure du numérique

Ce bref article vous propose un tour d’horizon non exhaustif des différentes évolutions amenées par le numérique au secteur immobilier et vise avant tout à ce que chacun puisse se faire son idée sur la plus-value réelle ou les dangers dont le numérique peut être porteur.

En 1980, celui qui voulait vendre une maison ou mettre son appartement en location publiait une annonce dans ce que l’on appelait un « gratuit », c’est-à-dire un journal à diffusion départementale, distribué à une fréquence hebdomadaire dans les boîtes aux lettres. L’annonce était succincte, quatre ou cinq lignes tout au plus, sans photo ni plan ; le téléphone —fixe— sonnait et les visites s’organisaient. C’était hier !

Internet, l’informatique, le numérique, la digitalisation, peu importent les mots, ont eu raison du papier et ont aussi simplifié la mise en relation des vendeurs et acheteurs, locataires et bailleurs… La diffusion des offres et des demandes qui ne connaît plus de frontières, peut s’accompagner de photos ou vidéos de visite virtuelle et les premiers échanges se font par courrier électronique.

Les changements affectent le secteur de l’immobilier de manière globale et depuis déjà deux décennies : transactions, locations, intermédiaires, financements, construction, confort quotidien… Il n’est pas un domaine qui ne soit touché par l’avènement des nouvelles technologies. D’un côté la machine nous relie avec une rapidité et une puissance toujours plus grandes (Internet et la désintermédiation), de l’autre la machine, dotée d’une forme d’intelligence, commence à se substituer à l’être humain (blockchain, contrats intelligents et immeubles connectés).

Cette nouvelle donne pose à chacun d’entre nous plusieurs questions importantes : faut-il craindre ce changement et le refuser en bloc ou bien au contraire en embrasser naïvement et sans recul toutes les facettes ? Quelle est la part du changement profond (ce que l’on nomme aujourd’hui une disruption) et celle du cosmétique ? Quelles vont être les conséquences à moyen et long terme de ces mutations ?

Internet et la fin des intermédiaires

Les intermédiaires ont toujours existé, particulièrement dans le domaine de l’immobilier ; la tendance actuelle est à la diminution du nombre d’intermédiaires voire à leur suppression ; ce mouvement que l’on nomme parfois « ubérisation » par référence à la plateforme de transport urbain « Uber » est particulièrement bien illustré par un site Internet comme « Le bon coin » qui permet de mettre en relation des particuliers, notamment pour des transactions immobilières.

On évoquera brièvement trois sujets :

  • La montée en puissance des sites tels que Airbnb pour les locations de courte durée illustre une tendance nouvelle, celle de particuliers utilisant le logement d’autres particuliers pour des durées allant de quelques jours à plusieurs semaines. Qu’on ne s’y trompe pas, ce phénomène n’est pas à proprement parler une désintermédiation puisque la plateforme Internet reste un intermédiaire rémunéré, mais plutôt une nouvelle forme d’hébergement concurrençant fortement l’hôtellerie traditionnelle ;
  • les agences immobilières en ligne sont apparues au cours des cinq dernières années. Ces dernières n’ont pas pignon sur rue et proposent des services dématérialisés (estimations et visites en ligne) à des prix cassés. Là aussi, plus qu’une réelle désintermédiation, on est en présence d’intermédiaires low cost offrant des services à la carte et des prix d’appel très bas (commission de vente de moins de 3 % ou fixe). C’est surtout une concurrence nouvelle pour les agences immobilières traditionnelles ;
  • le crowdfunding, abordé dans un article récent, traduit lui une véritable désintermédiation au sens où des professionnels de l’immobilier vont trouver à se financer non pas auprès de banques mais directement auprès de particuliers. Un site internet va permettre à un promoteur de lever des fonds auprès de particuliers qui cherchent à réaliser un placement de court terme bien rémunéré. Les plateformes de crowdfunding vont également permettre à des investisseurs individuels de se mettre en relation pour faire ensemble une acquisition immobilière (voir par exemple le site dividom.com).

On le voit au travers des exemples ci-dessus, Internet n’a pas mis fin aux intermédiaires mais a reconfiguré la relation commerciale entre les différents acteurs de l’immobilier et créé de nouveaux modes d’acquisition et de jouissance des biens immobiliers en rapprochant de manière rapide et efficace des personnes ayant des intérêts communs.

L’immeuble numérique et intelligent

Les innovations technologiques sont présentes aujourd’hui dans les techniques de construction, la gestion du confort intérieur et des services offerts aux occupants d’un immeuble.

Au plan des techniques de construction, les nouvelles technologies peuvent permettre aujourd’hui d’imprimer le gros œuvre d’un bâtiment. Oui vous avez bien lu : IMPRIMER un bâtiment. Explication : une imprimante classique imprime de l’encre en 2 dimensions sur du papier ; les imprimantes de nouvelle génération peuvent imprimer de la matière en 3 dimensions. Il devient ainsi possible d’imprimer des objets et même un mur avec du béton injecté par une imprimante géante. Des expériences ont déjà été menées en ce sens. A la clé, des constructions simples mais rapidement sorties de terre, et surtout un coût imbattable. Mais la mise en œuvre de ces technologies à grande échelle n’est pas encore d’actualité.

En revanche, ce que l’on nomme les objets connectés sont déjà rentrés dans notre quotidien. Des capteurs disposés à l’intérieur d’un logement et commandés par Internet sur votre smartphone peuvent déjà permettre par exemple de commander l’éclairage, de réguler la température, de vérifier la qualité de l’air ambiant, de détecter les intrusions mais également de connaître l’heure de retour de vos enfants au nid familial… Bref, votre logement entièrement géré depuis votre téléphone.

Demain c’est également votre réfrigérateur qui sera « intelligent », vous signalera qu’il faut racheter des œufs et qui ira même jusqu’à les commander lui-même ! Plus sérieusement, ces objets connectés peuvent jouer un rôle déterminant en permettant de détecter des situations d’urgence ou de détresse (personne âgée tombée à son domicile par exemple).

Dans certaines copropriétés, des sociétés créées par des promoteurs immobiliers, proposent des services de conciergerie numérique que l’on peut commander par sa tablette ou son smartphone : recevoir un colis en son absence, réserver un spectacle ou une place de parking, requérir l’aide d’un voisin ou d’une baby-sitter, surveiller ses consommations, signaler une panne ou une dégradation dans les parties communes… Tout ou presque est théoriquement possible, à condition d’en payer le prix bien entendu !

Les contrats intelligents et les baux numériques

Et si l’innovation technologique nous permettait d’automatiser un contrat, de bail par exemple, non seulement en le créant de manière entièrement numérisée, mais également en l’exécutant sans intervention humaine ?

Ici on distinguera ce qui existe déjà, ce qui existera dans un futur très proche et ce qui pourrait exister à plus long terme.

Ce qui existe déjà concerne la numérisation (comprendre la suppression du papier) d’un certain nombre de documents préalables à un bail d’habitation, comme l’état des lieux ou les diagnostics techniques. La signature des baux, cautionnements et autres actes peut également se faire de manière électronique et donc à distance. Les exigences de sécurité en matière de signature électronique ont conduit à la mise en place de protocoles d’authentification très précis qui sont considérés comme fiables par la plupart des acteurs du domaine.

Ce qui va exister à courte échéance, c’est le bail entièrement numérique. Certes, il existe déjà des prestataires qui proposent en ligne, et moyennant paiement, des baux pré-remplis qui ne constituent pas une véritable innovation ; mais la loi ELAN du 23 novembre 2018 a prévu l’instauration d’un bail numérique standardisé et généré par une plateforme habilitée par l’Etat ; l’avantage est double : côté bailleurs et preneurs, l’assurance de signer un bail conforme en tous points aux dernières exigences législatives ; côté Etat, la possibilité de faire remonter les données du bail et ainsi de surveiller de près l’évolution des loyers. Les conditions d’agrément des prestataires de ce bail numérique devaient être mises en place par une ordonnance adoptée avant avril 2020 (ce délai a finalement été prolongé de quatre mois par l'article 14 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020).

A plus long terme, on peut imaginer des contrats qui se noueraient et se dénoueraient de manière automatisée comme un code informatique. Cela est déjà expérimenté pour des contrats d’assurance relatifs à des retards d’avions : le particulier souscrit une assurance lui permettant d’être indemnisé en cas de retard de plus de 3 heures ; si le cas se produit, le contrat est automatiquement relié à la base de données de l’aéroport qui enregistre départs et arrivées. Le programme informatique vérifie alors que les conditions d’indemnisation sont réunies et verse le montant de l’indemnité sur le compte de l’assuré.

En matière immobilière, on peut imaginer un contrat de location saisonnière automatisé, jumelé avec une serrure « intelligente », s’ouvrant lorsque le contrat est signé, et se fermant soit à la fin du contrat, soit en cas de non-respect de ses conditions… Ce schéma, on s’en doute, pose plus de questions juridiques et éthiques que de véritables problèmes techniques.

La blokchain et ses applications dans le secteur immobilier

La blockchain est une technologie qui permet de sécuriser une transaction dont les caractéristiques vont être rentrées dans une base de données et partagées entre des milliers d’utilisateurs.

Prenons un exemple – un bail signé entre A et B moyennant un loyer de 1000 € mensuels. Si ce contrat est signé en un seul exemplaire et conservé par A ou B, il pourra être falsifié par celui qui le conserve. Si l’on fait deux exemplaires du contrat, l’un pour A, l’autre pour B, la falsification sera plus complexe mais demeure possible… Si l’on veut limiter au maximum le risque de falsification du contrat, l’idéal sera de le faire conserver par un « tiers de confiance », un notaire par exemple. Mais le coût de ce formalisme sera important et les délais rallongés.

La technologie blockchain répond au défi de rendre une transaction fiable, rapide et peu onéreuse. Il faut imaginer qu’une fois signé, le contrat est rentré dans une base de données et va être partagé par l’ensemble des utilisateurs (des milliers) ; chacun d’eux est donc le dépositaire du contrat, lequel devient de fait infalsifiable.

Les applications en matière immobilière pourraient être nombreuses : ventes immobilières, paiements, locations, et même le registre de propriété. De là à prédire l’extinction des notaires et du cadastre…

Ce qu’il faut retenir

Que penser de toutes ces évolutions, dont certaines relèvent de la réalité quotidienne alors que d’autres sont encore du domaine de la science-fiction ? A n’en point douter, l’innovation technologique contribue à dynamiser le marché immobilier, en créant de nouvelles opportunités et en abaissant les coûts. Mais ce mouvement, parce qu’il implique des investissements importants, favorise les concentrations et les acteurs ayant une taille critique ; il contribue aussi malheureusement à l’accroissement de la fracture numérique et à la destruction d’emplois.

Laurent Grosclaude • Maître de conférences à l’UT 1 Toulouse Capitole

Source : 25 millions de propriétaires • N°juillet/août 2020


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