Les textes de la loi et du décret sont insérés dans le code de la construction et de l'habilitation (art. L 111-10-3 et R 131-38 et suivants), ceux de l'arrêté ne sont pas codifiés.
Les propriétaires concernés sont nombreux car le cadre de l'obligation vise tous les bâtiments tertiaires de plus de 1000 m² : bureaux, commerces, établissement d'enseignement…. Les logements ou des bâtiments industriels en revanche ne sont pas visés.
L'ampleur de la tâche est immense. Le législateur a fixé un objectif ambitieux : il faut viser, à terme, une réduction de 60 % de la consommation d'énergie pour l'ensemble du bâtiment par rapport à la consommation de 2010. L'échéance est 2050, mais des étapes intermédiaires sont prévues par décennies, pour 2030 (-40 %) et 2040 (-50%). A échéance de la fin de la décennie en cours, c'est donc déjà plus d'un tiers d'efficacité qu'il faut gagner.
La question se pose au propriétaire de savoir s'il peut lui-même mettre en place son programme de travaux pour atteindre les objectifs légaux. La réponse de principe est positive puisqu'il n'y a pas d'exigence réglementaire à faire appel à un professionnel pour valider la réalisation des objectifs.
Mais deux arguments militent en faveur de l'appel à un spécialiste. D'une part les textes réglementaires sont très techniques. D'autre part la réglementation fixe un objectif de principe mais admet qu'il peut faire l'objet de modulations par exemple en raison de contraintes architecturales. Or pour bénéficier de la modulation, il faut le justifier par la production d'un dossier technique… lequel est nécessairement établi par un professionnel (l'arrêté décrit les compétences requises pour pouvoir établir le dossier).
Les premiers textes en matière énergétique étaient incitatifs, les textes actuels sont contraignants. Ses objectifs sont obligatoires et assortis de sanctions. L'article R 131-44 du CCH prévoit une amende administrative pour les propriétaires personnes physiques (1500 €) et personnes morales (7500 €) en cas de non-dépôt d'un programme d'action auprès du préfet, après mise en demeure.
Il faut aussi transmettre des informations via une plateforme internet, dénommée Opérat et gérée par l'Ademe. Le même article R 131-44 prévoit un système de délation (« nommer et dénigrer ») en édictant qu'il sera procédé à la publication, sur un site internet des services de l'Etat, d'un document retraçant les mises en demeure de respecter les obligations de transmissions de données ou de respect d'un programme de travaux qui n'auront pas été suivies d'effet.
La consommation d'énergie résulte d'un ensemble de facteurs liés au climat, au bâtiment et à son usage. Sa maîtrise ne dépend donc pas que du propriétaire, mais aussi du preneur et, en cas de copropriété, du syndicat. Pour mener à bien la baisse de consommation, une action concertée des acteurs s'impose. Le bail commercial doit notamment préciser à qui incombent les actions permettant de réduire la consommation.
Pour vous éclairer sur les enjeux de cette réglementation, nous avons sollicité l'analyse d'un spécialiste de génie climatique chez Accéo, Mickaël Terrom.
Un arrêté du 10 avril 2020 complète le dispositif réglementaire issu de la loi Elan concernant les obligations de rénovation énergétique du parc tertiaire. Mickaël Terrom présente aux propriétaires le cadre général de ces obligations et ce qu'apporte le nouveau texte.
Quels sont les bâtiments concernés par l'obligation ?
Sont assujettis les bâtiments tertiaires de plus de 1000 m²[1], ce qui écarte les bâtiments du secteur primaire (bâtiments agricoles) et du secteur secondaire (usines, bâtiments industriels) ainsi que les bâtiments de logements. Les lieux de cultes, bâtiments de l’armée et bâtiments provisoires sont également exclus du dispositif.
Sont donc visés les bureaux, les centres commerciaux, les écoles, les bâtiments administratifs publics ou privés, les hôtels, etc. Cela représente environ 315 000 bâtiments. L'obligation étant liée à l'immeuble, elle embarque dans une responsabilité commune non seulement le propriétaire ou le syndicat des copropriétaires, mais également les preneurs à bail (locataires).
Quelles informations doivent être publiées sur la plateforme OPERAT ?A compter du 1er janvier 2020, il est obligatoire de remonter chaque année les données de consommations des bâtiments assujettis sur la plateforme OPERAT (Observatoire de la Performance Energétique, de la Rénovation et des Actions du Tertiaire) gérée par l'Ademe (Agence de la transition écologique).
Les assujettis ont jusqu’au 30 septembre 2021 pour remonter les consommations énergétiques de l’année 2020 puis jusqu’au 30 septembre 2022 pour celles de 2021, et ainsi de suite.
Dans les copropriétés, c'est le syndicat qui doit transmettre les données communes et chaque copropriétaire doit le faire pour les consommations de son propre lot. Le preneur à bail peut déléguer au bailleur la tâche de transmission de ses informations propres.
Comment mesurer la performance ?
Il est important de noter qu'il s'agit de données mesurées en « énergie finale » et non en « énergie primaire ». Les assujettis devront atteindre les objectifs de réduction en fonction de la consommation réellement mesurée par leur compteur d’énergie et qui leur est facturée. C'est une belle évolution par rapport au mode de calcul du DPE ou des Réglementations Thermiques (RT2005 et 2012) qui se fondent sur l'énergie primaire. Le passage de l'énergie primaire (celle puisée dans la nature) à l’énergie finalement consommée est déterminé par un coefficient. Par exemple pour l'électricité ce coefficient est actuellement de 2,58.
Quels sont les objectifs de réduction des consommations d’énergie ?
La loi a fixé trois objectifs : la consommation d'énergie du bâtiment doit être réduite de 40 % en 2030, de 50 % en 2040 et de 60 % en 2050. La réduction est mesurée par rapport à une année de référence choisie par le propriétaire ou syndicat des copropriétaires entre 2010 et 2018. Il a donc intérêt à choisir une année de référence correspondant à celle où le bâtiment a le plus consommé pour ajuster ses objectifs de gains. Cependant, le choix de cette année de référence doit être indépendante des conditions climatiques qui sont plus ou moins contraignantes d’une année sur l’autre. Ce n’est pas aussi simple que de retrouver ses factures, car les consommations réelles de 2010 à 2018 devront être pondérées pour tenir compte de ces variations climatiques.
Par ailleurs, pour les immeubles récents ou déjà réhabilités, un arrêté complémentaire qui s’appelle « arrêté seuil » devra fixer des gardes fous, c'est-à-dire un seuil appelé « Cabs », déterminé par secteur d'activité, à partir duquel le bâtiment est considéré comme devenu très performant. Il est en effet difficile, voire impossible, de réduire de 40 % à 60 % la consommation énergétique d’un bâtiment déjà très performant.
Mais il ne suffira pas que le bâtiment ait été construit en respectant la RT 2012 pour être considéré comme performant. Ainsi, ces bâtiments récents seront également soumis à ces obligations de diminuer leurs consommations d'énergie si leurs niveaux de consommations facturées par m² dépassent le seuil Cabs.
La loi Elan prévoit actuellement que les bâtiments mis en exploitation après le 23 novembre 2018 ne sont pas concernés par l'obligation. Mais il s'agit d'une coquille du législateur et le texte de loi devrait prochainement être modifié via un amendement pour intégrer les bâtiments plus récents dans l'obligation.
Les bâtiments en copropriétés sont-ils concernés ?
Trois types de bâtiments sont soumis à l'obligation : tout bâtiment, toutes parties d’un bâtiment à usage mixte et tout ensemble de bâtiments. Ce troisième cas vise par exemple les copropriétés tertiaires horizontales. Trois bâtiments sur une même unité foncière de chacun 400 m² seront concernés, car l'ensemble dépasse 1000 m².
Dans une copropriété mixte, avec des bureaux et des logements par exemple, si le seuil de 1000 m² de locaux tertiaires est dépassé, les copropriétaires concernés devront faire des travaux. Mais ils ne pourront pas se prévaloir d'un refus de l'assemblée générale de voter par exemple des travaux d'isolation par l'extérieur, pour échapper à leur obligation ou réduire leurs objectifs.
La loi impose l'obligation au propriétaire et le cas échéant au preneur à bail « pour les actions qui relèvent de leurs responsabilités respectives en raison des dispositions contractuelles régissant leurs relations ». Il faut donc organiser les responsabilités. Il revient par exemple au locataire d'améliorer la performance des équipements consommateurs d’énergie liés à son activité ou des équipements de chauffage et climatisation qui lui sont dédiés, et au bailleur ou aux copropriétaires d’améliorer l’isolation du bâti, la chaufferie commune ou le traitement collectif de l'air.
La loi prévoit la possibilité de moduler les objectifs. De quoi s'agit-il ?
La modulation des objectifs, c'est la clé du dispositif. En effet, entre l'année de référence et l’année 2030, l'usage du bâtiment aura évolué. La modulation permet d’adapter les objectifs de gains énergétiques à la réalité de la situation du bâtiment et des usages qu’il héberge.
Il sera possible de moduler les objectifs de gains à partir de trois leviers :
1. Les indicateurs d'intensité d'usage regroupent deux types de données. Il vise la « densité spatiale », par exemple lorsqu’un bâtiment voit son nombre d'occupants augmenter ou que le taux de vacance évolue. Si le nombre de salariés croît, la consommation d'énergie pour la climatisation et les équipements informatiques augmente aussi. Il vise également la « densité temporelle », qui est liée au temps d'utilisation du bâtiment. Ainsi un centre commercial désormais ouvert le dimanche matin pourra justifier une hausse de consommation d'énergie par rapport à la période où l'ouverture dominicale était proscrite.
2. Les contraintes techniques et architecturales permettent de tenir compte de l'impossibilité de réaliser certains travaux. Par exemple, pour respecter les abords d'un monument historique ou la façade d'un immeuble haussmannien ou remarquable, il sera exclu de réaliser une isolation par l'extérieur ou mettre en place des panneaux solaires photovoltaïques en toiture. Il en est de même en limite de propriété, pour une isolation d’une façade qui empiéterait chez le voisin ou la voie publique.
La réalisation de certains travaux énergétiques peut être aussi écartée si elle risque de provoquer une pathologie dans le bâtiment par exemple l’apparition d’humidité.
3. La disproportion manifeste entre le coût des travaux et le gain d'énergie attendu est justifiée par un temps de retour sur investissement excessif. L'arrêté précise le calcul de la disproportion. Elle est établie si le temps de retour sur investissement dépasse 30 ans pour les actions sur l'enveloppe du bâtiment, 15 ans pour les dépenses d'équipements énergétiques et 6 ans pour les outils d'optimisation des systèmes et équipements.
L'arrêté prévoit un dossier technique. A quoi sert-il ?
Ce dossier technique n'est pas en soi obligatoire. Si le propriétaire engage de lui-même son programme de rénovation et transmet ses données à OPERAT en pensant atteindre l'objectif, il peut se passer du dossier technique.
Mais s'il entend recourir à l'un des leviers de modulation pour baisser ses objectifs, il doit le justifier par le dossier technique et le déposer sur OPERAT. Selon l'étude d'impact de la loi Elan, les actions d'économie d'énergie à mettre en œuvre pour réussir les objectifs sont estimées en moyenne à 180 € par m². Or, nous constatons que la Loi de Pareto s’applique dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments : 80 % du potentiel de gains énergétiques d’un bâtiment peut être réalisé avec 20 % des investissements, mais les 20 % d’économies restantes coûteront 80 % de plus. Il est donc particulièrement intéressant pour le propriétaire ou les copropriétaires d'abaisser les seuils à atteindre. Réduire de 1% les objectifs de gains décennaux via la modulation, c’est plusieurs dizaines d’euros d’investissement par m² en moins !
Que contient le dossier technique ?
Il comporte quatre éléments : une étude énergétique, un programme d'action visant à atteindre les objectifs, une note technique de modulation et une note technique de calcul du temps de retour sur investissement.
Si un propriétaire dispose de bâtiments homogènes, tant en terme de zone climatique que d'activité, il peut demander une étude énergétique limitée à un échantillon de son parc et en extrapoler les résultats sur l'ensemble.
Un dossier technique complet comprenant l’étude énergétique coûte de 1 à 5 € le m² en fonction de la taille du bâtiment, un montant à comparer au coût moyen des travaux de 180 €/m².
Y a-t-il une garantie sur les résultats de l'étude pour le propriétaire ?
Un bureau d'études ou un architecte a une obligation de moyens, et non une obligation de résultats. Cela signifie qu’après travaux, si les gains énergétiques ne sont pas atteints alors que les investissements ont été réalisés, il n’est pas possible pour le propriétaire d’aller rechercher juridiquement la responsabilité du prestataire qui l’a accompagné.
Au regard des enjeux d’image, financiers et de valorisation patrimoniale pour les assujettis, je conseille aux propriétaires de transférer la réussite des objectifs de gains énergétiques au prestataire qui les accompagne.
Pour cela, il est possible, et c'est le choix d’ACCEO, de prévoir contractuellement une obligation de résultats énergétiques réels. Nous proposons ce type de contrat ; si la performance n'est pas atteinte, le contrat prévoit une indemnisation du propriétaire. Mais attention, le prestataire doit avoir une police d’assurance particulière pour pouvoir garantir ses résultats.
A quoi sert l'attestation annuelle de performance énergétique ?
En application de la loi Elan, OPERAT doit générer chaque année une attestation. Ce document doit être affiché à l'entrée des établissements et de chaque entreprise afin d'être visible des salariés et des clients.
Cela permettra de mesurer chaque année la baisse de consommation d'énergie. Sur l'attestation figure un QR code permettant d'accéder à de nombreuses informations complémentaires. L'attestation est illustrée d'éco-énergies tertiaires, via 5 niveaux, symbolisée par des feuilles d'arbres, du gris au vert, mesurant le rythme suivi par le bâtiment pour atteindre l'objectif.
Insérer l’image des feuilles prises sur le document « arrêté » en page 12
La loi Elan impose aussi d'annexer l'attestation à toute promesse de vente, acte de vente et bail de location. Il en résulte que la valeur du patrimoine va être impactée par la performance énergétique du bâtiment. L'acquéreur va ainsi pouvoir vérifier si le vendeur a engagé des actions d'amélioration de cette performance et à défaut, réviser à la baisse le prix proposé. Il en est de même pour un candidat locataire qui réalise qu'il va être pénalisé parce que le bailleur n'a pas engagé de travaux. La loi a donc organisé une sanction par le marché : la pénalité viendra du marché.
D'autres sanctions sont prévues ?
Avec un mécanisme comparable à l'agenda d'accessibilité programmée pour l’accessibilité, la loi a prévu une sorte d'Ad'AP de l'énergie. En 2030, si le propriétaire n'a pas atteint l'objectif, il devra déposer un programme d'actions avec un plan de financement.
Des sanctions financières sont aussi prévues ; 7500 € d'amende par établissement en cas de non-réalisation de l'objectif, à chaque décennie, et 7500 € d'amende par établissement si l'Ad'AP n'est pas déposé à la préfecture dans les 6 mois.
Enfin la loi prévoit la mise en place du « Name & Shame » : le nom des entreprises n'ayant pas atteint l'objectif sera publié sur un site internet d’Etat. C’est l’image des entreprises qui sera impactée.
Les autres conseils de Mickaël Terrom
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[1] Le seuil de 1000 m² est fixé en surface de plancher, au sens de la circulaire du 3 février 2012, qui à titre d’exemple ne tient pas compte de l'épaisseur des murs afin de ne pas pénaliser les constructions bien isolées.
Bertrand Desjuzeur