Il y a quelques années, l’acquisition par un investisseur chinois de 900 hectares dans l’Allier après avoir acquis l’année précédente 1700 hectares dans l’Indre avait provoqué quelque émoi.
En effet, les outils de régulation du marché du foncier s’avéraient inopérants. Les cessions de terres agricoles sont bien contrôlées par le droit de préemption de la SAFER1 et par le contrôle des structures des exploitations agricoles. Si ces mécanismes sont efficaces pour contrôler les ventes classiques de terres, ils sont impuissants à maîtriser les cessions de parts de société. Or la pratique montre que les cessions de foncier interviennent de plus en plus par des transferts de parts sociales.
A l’initiative du député des Hautes Pyrénées, Jean-Bernard Sempastous, l’Assemblée nationale a adopté le 26 mai dernier une proposition de loi pour « assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires ».
Le député a œuvré avec prudence car des dispositifs antérieurs avaient subi les foudres du Conseil constitutionnel. Le texte adopté, passablement complexe, vise donc à mettre en place un outil de contrôle proportionné aux objectifs poursuivis.
Le député présente les deux objectifs de son dispositif : lutter contre la concentration excessive des terres et faciliter l’installation des jeunes agriculteurs.
Le contrôle des cessions de parts de sociétés serait limité à un certain seuil. Il deviendrait applicable lorsque l’acquéreur est déjà titulaire ou le devient après l’acquisition, d’une surface dépassant « un seuil significatif ». Ce seuil serait fixé par le préfet de région entre une et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne.
En cas de cession de parts dépassant ce seuil, la cession devrait être soumise à une autorisation préalable. La SAFER serait chargée de l’instruction du dossier. Mais c’est au préfet que reviendrait la décision qui pourrait être soit d’autoriser la cession si elle ne porte pas atteinte à la vitalité du territoire, soit subordonner la cession à un engagement du bénéficiaire à libérer une surface compensatoire pour un agriculteur, soit enfin refuser la cession.
Le silence gardé sur la demande serait assimilé à un accord.
Le respect de ces règles serait assuré par deux sanctions ; d’une part la nullité du contrat, soulevée à l’initiative de l’administration ou de la SAFER et d’autre part une contravention pouvant atteindre 2 % du montant de la transaction.
Bien que n’en étant pas à l’initiative, le Gouvernement a soutenu l’adoption de ce texte. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a observé que ce texte complétait utilement les outils de maîtrise de l’artificialisation des sols en cours d’adoption par le biais du projet de loi climat et résilience. Il a cependant précisé que le nouveau rôle confié aux SAFER justifiait d’assurer la transparence de la procédure de contrôle sociétaire.
Le texte doit encore être adopté par le Sénat, et le cas échéant, validé par le Conseil constitutionnel. Toutefois, le Conseil d’État a estimé dans un avis préalable du 6 mai 2021 qu’il était cette fois conforme à la Constitution. L’avis reconnaît que le contrôle actuel des cessions est contourné par le biais des cessions de parts de société et il considère que les objectifs d’intérêt général poursuivis permettent de porter atteinte à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété. Il estime que ces atteintes ne sont pas disproportionnées.
Bertrand Desjuzeur, Journalise
Source : 25 millions de propriétaires • N°554 septembre 2021