Sous réserve de modification législative, réglementaire ou jurisprudentielle.
Aujourd’hui, les sources légales et réglementaires sont constituées par le Code de l’expropriation, créé en 1977 avec une législation qui a évolué assez régulièrement et qui continue à évoluer avec les réformes notamment de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010.
L’État est la cheville ouvrière de la procédure, mais les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont souvent bénéficiaires de l’expropriation. Ils en sont à l’initiative.
Le cadre juridique du droit de l'expropriation est strictement délimité par les dispositions du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Ainsi, une procédure d'expropriation qui ne respecte pas les prescriptions de ce code doit être regardée comme constitutive d'une atteinte illégitime au droit de propriété.
La procédure d’expropriation comprend une 1ère phase administrative préparatoire au cours de laquelle la personne publique (État, collectivités…) doit démontrer l’utilité publique de son projet, et une 2ème phase judiciaire servant à transférer la propriété à la personne publique et à indemniser l’exproprié.
Pour que la procédure d'expropriation soit mise en œuvre, il est nécessaire que l'opération projetée présente un caractère d'utilité publique. Si ce n’est pas le cas, la procédure pourra être jugée illégale dans son entier. En dehors des hypothèses où le législateur admet que certains buts poursuivis par l'Administration présentent un caractère d'utilité publique (suppression de l’habitat insalubre, risque technologique, risque de glissement de terrain, d’avalanches menaçant gravement des vies humaines…), c'est au juge qu'il revient de définir cette notion.
D’un point de vue contentieux, ce point est important car la jurisprudence démontre parfois que l’utilité publique de l’expropriation est contestable.
L'absence d'utilité publique de l'opération est évidente en cas de détournement de pouvoir (dans un but d’intérêt privé : une procédure qui aurait pour but de faciliter l'accès à une propriété privée ou encore de permettre la création d'un centre hippique privé) et d'absence de nécessité de l'opération.
Elle est plus difficile à appréhender lorsque le juge utilise la théorie du bilan, au moyen de laquelle il va vérifier que les inconvénients engendrés par l'opération projetée n'excèdent pas les intérêts que celle-ci présente.
Avant de procéder au bilan coûts-avantages de l'opération, le juge doit vérifier que l'opération projetée correspond bien à un intérêt public, ce qui implique qu'il ne doit pas être entaché de détournement de pouvoir, et que l'expropriation est bien rendue nécessaire par la réalisation de cette opération.
En effet, comme l'avait déjà précisé le Conseil d'État dans un arrêt Consorts Zanatta du 5 mars 1997 : « Cette question est préalable et distincte de celle du caractère excessif, eu égard à l'intérêt que présente cette opération, des atteintes portées à la propriété privée, des inconvénients de l'opération ou de son coût financier » (CE, 5 mars 1997, n° 136687 : JurisData n° 1997-050346 ; Rec. CE 1997, p. 73 ; RD imm. 1997, p. 422, chron. C. Morel et M. Denis-Linton).
Dans un arrêt Commune de Levallois-Perret du 19 octobre 2012 (CE, 19 oct. 2012, n° 343070 : JurisData n° 2012-023337 ; Constr.-Urb. 2012, comm. 174, note Santoni ; JCP A 2012, act. 718, obs. Dubreuil), le Conseil d'État a clarifié la méthode de contrôle de la déclaration d'utilité publique.
Il rappelle que lorsqu'il est amené à se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, le juge contrôle successivement trois points :
Si le bilan de tous ces points est positif, alors l’opération sera jugée d’utilité publique.
Il est rare que la mise en œuvre de cette méthode conduise le Conseil d’Etat à annuler une déclaration d’utilité publique relative à un grand projet d’aménagement mais ce fut le cas par exemple pour la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Poitiers et Limoges (CE 15-04-2016) ou encore pour la création d’un barrage.
Si une collectivité locale est à l’initiative d’une demande de DUP, la délibération du conseil municipal est transmise au préfet accompagnée d’un dossier composé d’une notice explicative ; du plan de situation ; du plan général des travaux ; des caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; de l’appréciation sommaire des dépenses ; de l’étude d’impact (non nécessaire pour des travaux d’aménagement mineurs) et de l’estimation sommaire des acquisitions à réaliser quand cela est nécessaire.
Une fois la transmission de ce dossier réalisée, le préfet prend un arrêté par lequel il ouvre l’enquête publique. Celle-ci est conduite par un commissaire-enquêteur désigné par le président du tribunal administratif.
Son ouverture est mentionnée dans l’un des journaux diffusés par le département et fait l’objet d’un affichage en mairie au moins 8 jours avant son démarrage. Elle indique les heures et le lieu où le public peut prendre connaissance du dossier et formuler des observations.
C’est à ce moment-là, que les administrés concernés auront la possibilité d’indiquer sur le registre prévu à cet effet leurs remarques et/ou doléances qui seront étudiés ensuite par le commissaire-enquêteur avant qu’il remette ses conclusions.
Après cette phase, au vu des résultats de l’enquête du commissaire-enquêteur, si l’intérêt public du projet est déclaré, le préfet pourra prononcer l’utilité publique en prenant un acte déclaratif d’utilité publique (DUP).
L’acte de Déclaration d’utilité public doit être affiché en mairie. Le jour de l’affichage sert de point de départ aux intéressés pour contester la DUP et engager un recours éventuel en annulation devant le tribunal administratif dans un délai de 2 mois. L’utilité publique de l’opération pourra être contestée à ce stade.
L’acte déclarant l’utilité publique (DUP) a pour but de déterminer, d’une part, les parcelles à exproprier et, d’autre part, l’identité des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés.
Lorsque la commune est en mesure, avant la déclaration d’utilité publique, de déterminer les parcelles à exproprier et de dresser le plan parcellaire et la liste des propriétaires, l’enquête parcellaire peut être faite, soit en même temps que l’enquête préalable, soit postérieurement.
La procédure d’enquête parcellaire est quasiment identique en tout point à la procédure d’enquête publique.
Une différence existe malgré tout entre les deux procédures, en effet, la commune notifie individuellement aux propriétaires (sous pli recommandé AR), le dépôt du dossier en mairie.
En cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire qui en fait afficher une. La notification individuelle est une formalité substantielle, elle doit être respectée scrupuleusement sous peine de nullité de la procédure.
La deuxième partie, la phase judiciaire comporte plusieurs étapes importantes, qu’il s’agisse du transfert de propriété proprement dit et de la fixation des indemnités.
Le transfert de propriété peut se faire soit par le biais d’une cession amiable, soit par le biais d’une ordonnance d’expropriation.
Elles peuvent être :
Dans cette phase, il est possible de négocier avec l’Etat ou la collectivité locale et c’est un prix de vente qui est fixé. Cela n’a rien à voir avec des indemnités d’expropriation.
Le dossier est transmis par le préfet au juge de l’expropriation (au Tribunal de Grande Instance) du département dans lequel sont situés les biens à exproprier.
L’ordonnance doit être prononcée par le juge dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier.
Elle désigne chaque immeuble exproprié, précise l’identité des expropriés et indique le bénéficiaire de l’expropriation.
Elle ne peut être exécutée à l’encontre de chacun des intéressés que si elle lui a été préalablement notifiée par la commune.
Mais si l’absence de notification de l’ordonnance interdit l’envoi en possession, elle est sans influence, en revanche, sur le transfert de propriété.
L’ordonnance opère transfert de propriété à sa date. Elle doit donc être publiée au bureau des hypothèques.
Tous les droits réels existant sur les immeubles expropriés sont éteints par l’ordonnance d’expropriation et les inscriptions de privilèges ou d’hypothèques éteints, sont périmées à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter du jour de la publication de l’ordonnance, d’expropriation devenue irrévocable.
De plus, tous les droits personnels (location, bail) existant sur les immeubles expropriés sont éteints par l’ordonnance d’expropriation.
L’ordonnance d’expropriation peut aussi être contestée devant le juge judiciaire par le biais d’un pourvoi en cassation dans un délai de 2 mois à compter de la notification de l’ordonnance.
Contrairement au juge administratif qui a chevillé au corps la défense de l’intérêt public, le juge de l’expropriation est un juge judiciaire garant de la propriété privée.
Contrairement à la vision qu’en ont souvent les justiciables, ce magistrat est soucieux de leurs intérêts. Il se déplace, et c’est rare, sur les lieux avant de se prononcer et ce en présence des parties et notamment des expropriés qu’il interroge. Il y a un véritable échange entre le juge et les parties.
Cette procédure peut intervenir à tout moment, même dès le début, à la condition que la collectivité locale connaisse exactement les biens à exproprier et la liste des propriétaires.
La recherche d’un accord amiable est en principe un préalable à l’ouverture de l’instance en fixation des indemnités. Ce n’est qu’à défaut d’accord amiable que le juge de l’expropriation est amené à fixer les indemnités dues aux propriétaires.
Ainsi à défaut d’accord dans le délai d’1 mois à partir de la notification des offres de la collectivité, le juge de l’expropriation peut être saisi, soit par la commune, soit par l’exproprié.
Le juge fixe, par ordonnance, la date du transport sur les lieux et de l’audition des parties. La visite des lieux doit être faite par le juge dans les 2 mois à compter de son ordonnance. Elle est faite en présence du juge, de son greffier, des parties et du commissaire du gouvernement.
Ensuite, soit l’audience a lieu immédiatement le jour du transport sur les lieux, soit le juge fixe une audience postérieure au dit transport. Dans tous les cas, le juge se prononce par un jugement motivé.
Il fixe :
Les indemnités doivent permettre à l’exproprié de se replacer en même et semblable état. Les expropriés doivent donc être indemnisés de l’entier préjudice subi (mais pas au-delà) à condition qu’il soit direct et certain. Si le préjudice est indirect, il n’est pas indemnisable (ex : la gêne occasionnée par la création d’une voie à grande circulation, les intérêts d’emprunt contracté pour l’achat du bien exproprié).
Un appel du jugement par les parties ou le commissaire du gouvernement est possible dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement.
Le principe du paiement ou de la consignation de l’indemnité préalablement à la prise de possession domine le droit de l’expropriation.
En effet, la prise de possession ne peut intervenir que si : l’ordonnance d’expropriation ou la cession amiable sont intervenues et l’ordonnance notifiée ; les indemnités sont payées ou consignées ; et si un délai d’un mois s’est écoulé entre le paiement (ou la consignation) et la prise de possession.
Me Nathalie Thibaud, avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et droit public
Source : 25 millions de propriétaires • N°juillet 2018
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25 Millions de Propriétaires