Donner congé est un droit réglementé par les articles 15 (location nue) et 25-8 (location meublée) de la loi du 6 juillet 1989 sans comparaison possible sur son étendue selon qu’il émane du bailleur ou du locataire : le congé est très conditionné pour le bailleur et très libre pour le locataire.
Confortant ce déséquilibre législatif, la réforme de la loi ALUR (1) a quelque peu été retouchée par la loi Macron (2) qui a, par ailleurs, levé le doute juridique sur l’application dans le temps de la réforme. Il n’est plus question de traiter les baux « pré-ALUR » et « post- ALUR », le régime juridique a été uniformisé, les nouvelle règles s’appliquent à tous les baux en cours à compter de la publication de la loi Macron soit le 7 août 2015, sans tenir compte de leur date de signature.
Etat des lieux des règles de congés dans le bail d’habitation.
Un bailleur ne peut donner congé que pour un motif précis limitativement énuméré par la loi : congé pour reprise, congé pour vente ou congé pour motif légitime et sérieux. Certaines de leurs conditions ont été durcies par la loi ALUR.
Les bénéficiaires de la reprise restent inchangés. Le congé ne peut être donné qu’au bénéfice du « bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire ».
Le bailleur doit donc être une personne physique.
Dans des cas particuliers, cela pose question :
il faudra justifier qu’il s’agit d’une SCI familiale éligible à ce congé afin que le locataire n’ait aucun doute sur la régularité du congé.
À peine de nullité, la lettre de congé doit être claire et précise et contenir l’identification du bénéficiaire (nom, prénom et adresse) à laquelle la loi ALUR a ajouté la nature du lien avec le bailleur (dans le respect de la liste précitée) si la reprise ne bénéficie pas directement à celui-ci et le « caractère réel et sérieux de la reprise ».
La loi ne précise pas que ce congé doit se justifier par un besoin de logement, le congé pour reprise est admis alors que le bailleur dispose d’autres possibilités de logement dans un secteur proche (3). Cependant, la reprise doit être réelle et à titre de résidence principale (4). Les critères en sont le délai raisonnable et la durée sérieuse. Il n’y a pas de délai légal dans lequel il faut habiter les lieux. En cas de contestation du locataire, le juge apprécie au cas par cas en fonction des éléments soumis à son appréciation (travaux de rénovation, date de retraite, rentrée scolaire, raison professionnelle... peuvent retarder l’entrée dans les lieux), l’immédiateté de la reprise n’est pas un critère de fonds de ce congé.
De même, la durée d’occupation après reprise n’est pas précisée, une période de 5 mois ayant été validée par des juges d’appel (ex. : CA Toulouse, 23 juin 1998 et CA Nîmes, 3 février 2009).
La jurisprudence admet le défaut d’occupation par le bénéficiaire de la reprise en cas de force majeure comme l’état de santé du bailleur faisant obstacle au changement de domicile (5) ou encore le maintien du locataire dans les locaux plusieurs mois après le terme du préavis imposant au bailleur de se reloger ailleurs (CA Toulouse, 23 septembre 2008).
Par contre, le congé pour reprise sera fraudu- leux si les locaux sont remis en location (Pau, 9 juin 1997 : relocation 3 semaines après le départ du locataire) ou mis en vente(6).
La loi ALUR ayant renforcé le rôle du juge dans le sens d’un contrôle d’opportunité, son appréciation du caractère réel et sérieux de la reprise pourrait poser question, et potentielle- ment modifier les contours de la jurisprudence.
Ce congé n’étant pas précisé par la loi, ce sont les juges qui en ont dessiné, au fil des décisions, les contours. La jurisprudence a réparti ce motif en deux grandes catégories, mais l’appréciation souveraine des juges du fond reste la règle en cas de contestation du congé par le locataire.
Il s’agit de l’inexécution de l’une ou plusieurs de ses obligations liées au bail. De manière récurrente, les motifs relatifs aux impayés de loyer répétés et ce même si les impayés ont cessé au moment de la délivrance du congé (7) sont retenus. Attention à conserver des preuves des impayés (lettres de mise en demeure avec AR, commandements de payer récurrents...).
D’autres fautes du locataire ont été validées comme motif légitime et sérieux de congé :
Le motif légitime et sérieux du congé est ici non imputable au locataire. Ce motif est souvent lié à des travaux exigeant le départ du locataire. Quelques exemples de jurisprudence :
En cas de contestation du locataire, le juge appréciera la réalité et l’importance des travaux (autorisation d’urbanisme, contrat avec entreprise du bâtiment...) justifiant le motif du congé.
Dans un cas de figure totalement différent, la Cour d’appel de Paris a retenu le motif légitime et sérieux du congé par la nécessité de loger dans l’appartement loué, se situant à proximité du logement du bailleur, une aide à domicile exigée par l’état de santé du bailleur (CA Paris, 23 février 1994).
Rappelons qu’il s’agit d’exemples tirés de la jurisprudence qui n’ont pas vocation à application systématique, tout dossier étant particulier.
En ligne directe | 1 degré = 1 génération |
En ligne directe | 1 degré = 1 génération + le parent commun |
Le locataire est prioritaire pour acquérir le bien qu’il occupe et le congé vaut offre de vente à son profit sous peine de nullité. Un formalisme très strict s’impose, le droit de préemption du locataire doit figurer dans la lettre de congé avec la reproduction des 5 alinéas concernant ce droit (art. 15 II).
En cas de colocation, le congé doit être adressé individuellement à chaque colocataire. Pour le jeu du droit de préemption, le plus diligent à répondre en sera théoriquement le bénéficiaire. La multiplicité du droit de préemption ne s’est pas encore posée devant les juges car la colocation concerne en majorité les étudiants et les jeunes salariés, sans volonté d’acquérir le bien loué ou ce dernier ne répondant pas à leurs besoins de futurs propriétaires.
Le droit de préemption est valable pendant les 2 premiers mois du délai de préavis. L’offre de vente doit porter sur le logement et ses accessoires (jardin, cave, garage...) compris dans le bail et indiquer le prix et les conditions de la vente. La description ne doit laisser aucun doute sur l’identification du bien (adresse exacte avec numéro d’étage, d’appartement, de bâtiment...) et elle doit correspondre en tous points à la chose louée.
Le locataire qui accepte l’offre dispose de 2 mois pour réaliser la vente, ce délai étant prolongé à 4 mois s’il déclare qu’il va contracter un prêt. Le contrat de location est prorogé jusqu’à l’expiration du délai de réalisation de la vente.
En cas de modification des conditions de la vente et notamment si le prix venait à être révisé à la baisse, il sera nécessaire d’en informer le locataire qui disposera alors d’un « second droit de préemption » sous peine de nullité de la vente. Cette nouvelle offre est valable un mois.
À défaut d’acceptation de la vente dans les délais impartis, l’offre de vente est nulle de plein droit.
Le congé pourrait être jugé frauduleux si le prix de vente est prohibitif afin de faire obstacle au droit de préemption du locataire (8). L’appréciation du prix a donné lieu à de nombreuses jurisprudences, le principe reste cependant que le bailleur demeure libre de fixer le prix de vente, il incombera au locataire de prouver le caractère abusif du prix de vente figurant dans le congé afin de faire obstacle à son droit de préemption. Le juge apprécie le caractère excessif du prix de vente (9).
Ce droit de préemption n’est pas absolu, il comporte deux exceptions.
Le locataire perd son droit de préemption en cas de vente à un parent avec 2 conditions cumulatives. L’acquéreur doit être un parent jusqu’au 3ème degré (4ème degré avant la loi ALUR) et devra occuper le logement pendant 2 ans à compter de l’expiration du délai de préavis du locataire. Les degrés de parenté se calculent selon l’article 743 du Code civil. En ligne directe (verticale), on compte autant de degrés qu’il y a de générations entre les personnes, en ligne collatérale (horizontale), les degrés se comptent par génération, et en remontant à l’auteur commun, et depuis celui- ci jusqu’à l’autre parent.
Le locataire n’a pas de droit de préemption lorsque le logement est vendu loué. Le bailleur n’a pas à lui délivrer de congé et le bail se poursuit selon ses termes. Le bailleur vendeur doit signaler la vente au locataire afin que les visites puissent avoir lieu selon les conditions définies dans le bail. L’acquéreur devra, pour sa part, se signaler au locataire, notamment pour le paiement des loyers et des charges. La loi n’impose aucun formalisme, mais il est conseillé d’informer le locataire par lettre recommandée avec avis de réception.
En cas de contestation du congé par le locataire devant le juge, c’est l’intention de vendre qui sera vérifiée. Il faudra attester de toutes les démarches réalisées en faveur de la vente : dossier de diagnostics, mandat de vente auprès de professionnels, annonce de vente dans la presse, sur internet, panneau d’affichage sur le bien...
Il n’y a pas une obligation de résultat géné- ralisée, la validité du congé ne dépend pas de la réalisation matérielle de la vente. Les juges tiennent compte de l’état du marché de l’immobilier et notamment des délais de vente qui se sont allongés.
En cas de relocation ultérieure, le juge appré- ciera la bonne foi du bailleur et les conditions ayant justifiées la remise en location du bien (10).
Plusieurs dispositifs, créés par la loi ALUR puis modifiés par la loi Macron, conditionnent le congé après acquisition à différents délais selon l’intervalle entre l’échéance du bail et la date d’acquisition du bien. C’est un nouveau degré de blocage de la liberté contractuelle, déjà toute relative, du bailleur.
Deux situations sont prévues par le texte :
Ex : date d’acquisition 15/10/2015 ; échéance du bail 31/12/2017 : le bailleur ne pourra donner congé pour vente que pour le 31/12/2020.
Interview de Me Agnès Butin, avocat au Barreau de Toulouse
La loi ALUR a élargi le pouvoir du juge en lui permettant de « vérifier la réalité du motif du congé ». Que cela signifie-t-il ?
Cette notion de vérification du congé n’était pas inscrite dans la loi mais existait dans la pratique des tribunaux. En cas de contestation du congé par le locataire, par exemple sur le prix de vente qu’il juge disproportionné par rapport à la réalité du marché immobilier local, le juge se devait de vérifier la réalité du motif du congé et donc, selon l’exemple, de vérifier le prix de vente.
La loi ALUR a inscrit cette vérification de la réalité motif du congé par le juge dans le texte de l’article 15 de la loi de 1989 mais la nouveauté réside surtout dans le pouvoir de vérification d’office que lui accorde désormais la loi : « le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé ». Cela signifie, qu’en dehors de toute contestation sur le fond du motif du congé (contestation sur la forme ou tout autre point de la relation contractuelle), le juge peut, de sa propre initiative, soulever la question de la réalité du motif du congé et la vérifier.
À quel type de sanction le propriétaire bailleur s’expose-t-il en cas d’invalidation du congé par le juge ?
En matière civile, la sanction repose sur un principe indemnitaire. Classiquement, le locataire se voit attribuer des dommages et intérêts pour le préjudice matériel qu’il a subi et qu’il doit prouver (frais de déménagement, de transport du lieu de travail au nouveau domicile plus élevés, loyer plus important...). L’indemnisation d’un préjudice moral, plus difficile à prouver est rare.
Ensuite, s’agissant d’envisager la réintégration dans le logement, la théorie du texte le permet mais, dans la pratique, les jugements prononçant la réintégration sont rarissimes pour des raisons de faits, le logement pouvant être reloué et ce locataire bénéficiant d’un droit au bail.
La loi ALUR a ajouté la sanction pénale du congé frauduleux pour reprise ou pour vente (amende pénale d’un montant maximum de 6 000 € pour une personne physique et de 30 000 € pour une personne morale) à verser à l’État qui peut s’ajouter et influer sur les dommages et intérêts à verser au locataire. La fraude est constituée par l’intention de nuire au locataire. Par exemple, le locataire, apportant la preuve d’une relocation immédiate au terme de son préavis dans le cadre d’un congé pour vente, prouve la fraude et ses prétentions à dommages et intérêts en seront d’autant plus justifiées.Quelles précautions sont à prendre par un bailleur souhaitant donner congé pour motif légitime et sérieux ?
Ce motif n’étant pas défini par la loi et relevant de l’appréciation du juge en cas de contestation du locataire, il n’est pas toujours judicieux de le délivrer en cas de faute du locataire (impayés de loyers et occupation non paisible des lieux étant les plus fréquents). Il est préférable, sans attendre l’échéance du bail, soit de faire jouer la clause résolutoire du bail si elle le permet dans le cadre d’une procédure rapide
devant le juge des référés, soit de demander la résiliation judiciaire du bail devant le juge d’instance (procédure beaucoup plus longue) qui sont des procédures reposant sur le même fondement que le motif légitime et sérieux c’est-à-dire le non-respect du bail par le locataire qu’il faudra prouver à l’appui d’un dossier solide (les commandements de payer pour des impayés de loyers et de charges - pétitions, témoignages du voisinage, lettre du syndic, PV des forces de l’ordre... qui sont des éléments concordant prouvant des nuisances sonores par exemple).
Le congé pour motif légitime et sérieux est plus adapté en l’absence de faute du locataire lorsque son départ est exigé par la nécessité de gros travaux (attention à rapporter la preuve de la réalité du motif du congé par des devis de travaux par exemple).
Comment agir en cas de maintien du loca- taire dans les lieux à l’issue du préavis ?
L’article 15 de la loi de 1989 énonce « À l’expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d’occupation des locaux loués », il devient donc un occupant sans droit ni titre dont il faut demander l’expulsion. Le bailleur, à l’appui de son congé conforme sur le fond et la forme, peut intenter une action devant le juge des référés qui va constater la fin du bail, le maintien dans les lieux du locataire et donc prononcer l’expulsion mais ceci à condition qu’aucune question de fond ne soit soulevée, auquel cas il se déclarerait incompétent. Il faudra alors assigner l’occupant devant le tribunal d’instance avec des délais de procédure plus longs tout en tenant compte, dans les deux cas de la trêve hivernale, pour l’application de la décision de justice d’expulsion.
Un seul cas est envisagé ici lorsque le terme du contrat en cours intervient moins de deux ans après l’acquisition, le congé pour reprise donné par le bailleur au terme du contrat de location en cours ne prend effet qu’à l’expiration d’une durée de deux ans à compter de la date d’acquisition.
Ex : date d’acquisition 15/10/2015 ; échéance du bail 30/01/2017 : le bailleur ne pourra donner congé pour reprise que pour le 15/10/2017.
Lorsque le propriétaire d’un immeuble de cinq logements ou plus, situé dans une zone tendue (11), vend des appartements loués à plusieurs investisseurs, l’immeuble est mis en copropriété. Cela a des incidences sur les baux en cours :
La date de mise en copropriété est celle de l’acte authentique de vente du premier lot.
Quand un congé pour vente est délivré par un bailleur relevant de secteurs locatifs spécifiques(12) (bailleurs sociaux notamment) dans le cadre d’une vente par lots de plus de cinq logements dans le même immeuble, le bail peut être expressément reconduit pour une durée inférieure à trois ans. Quand ce congé pour vente intervient moins de deux ans avant le terme du bail, la reconduction du bail est de droit, à la demande du locataire, afin de lui permettre, dans tous les cas, de disposer du logement qu’il occupe pendant une durée de deux ans à compter de la notification du congé pour vente.
Le droit de donner congé pour un des trois motifs légaux est conditionné par la protection du locataire âgé.
La loi ALUR a uniformisé les critères d’âge (abaissé pour le locataire et relevé pour le bailleur) et de ressource du locataire et du bailleur.
Le bailleur ne peut donner congé à un locataire âgé si ce dernier remplit deux conditions cumulatives : il est âgé de plus de 65 ans (70 ans avant la réforme ALUR) et ses ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés contre 1,5 fois le SMIC avant la réforme.
Cette protection a été étendue par la loi Macron au locataire ayant à sa charge une personne de plus de 65 ans vivant habituellement dans le logement et lorsque le montant cumulé des ressources annuelles de l’ensemble des personnes vivant au foyer est inférieur au plafond de ressources.
Pour valider le congé auprès du locataire âgé entrant dans les conditions de protection de la loi, son bailleur devra lui rechercher un logement en s’assurant de l’aval des propriétaires. Les propositions de relogement doivent correspondre à ses besoins et à ses possibilités (superficie, accessibilité, environnement, services à proximité, montant du loyer, conformité à l’état de santé...).
S’y ajoutent les conditions géographiques :
Lorsque le locataire oppose un refus non justifié à trois propositions de logements correspondant aux critères, le bailleur a satisfait à son obligation de relogement (CA Toulouse, 31 octobre 1995), il n’y a pas d’obli- gation de résultat de relogement du locataire.
Lorsque le bailleur est une personne physique âgée de plus de 65 ans (60 ans avant la loi ALUR) ou si ses ressources annuelles sont inférieures au plafond de ressources mentionné dans le tableau p. 20, il peut donner congé. À noter, l’âge du locataire, de la personne à sa charge et celui du bailleur sont appréciés à la date d’échéance du contrat et le montant de leurs ressources est apprécié à la date de notification du congé.
CATÉGORIE DE MÉNAGES | PARIS et communes limitrophes (en euros) | ÎLE-DE-FRANCE hors Paris et communes limitrophes (en euros) | AUTRES RÉGIONS (en euros) |
1 - Une personne seule | 23 127 | 23 127 | 20 107 |
2 - Deux personnes ne comportant aucune personne à charge, à l’exclusion des jeunes ménages | 34 565 | 34 565 | 26 851 |
3 - Trois personnes ou une personne seule avec une personne à charge ou jeune ménage sans personne à charge | 45 311 | 41 550 | 32 291 |
4 - Quatre personnes ou une personne seule avec deux personnes à charge | 54 098 | 49 769 | 38 982 |
5 - Cinq personnes ou une personne seule avec trois personnes à charge | 38 982 | 58 917 | 45 858 |
6 - Six personnes ou une personne seule avec quatre personnes à charge | 72 429 | 66 300 | 51 682 |
Par personne supplémentaire | 8 070 | 7 388 | 5 765 |