La procédure d'injonction : une simplicité trompeuse

En marge des procédures de droit commun mises en œuvre par assignation ou requête, qui supposent dès leur introduction le strict respect du principe du contradictoire, les procédures d’injonction de payer ou de faire, prévues par les articles 1405 et suivants du code de procédure civile permettent de saisir unilatéralement le juge d’une demande sans en avoir au préalable informé la partie adverse. Sous une apparente facilité, les procédures d’injonction se révèlent en réalité plus complexes et peuvent parfois entraîner des délais de procédure beaucoup plus longs qu’une action de droit commun.

Quel juge saisir, pour quels types de litiges, comment s’y prendre ... autant de questions auxquelles il faudra répondre avant de se lancer.

Devant quel juge ?

Jusqu’au 1er janvier 2020, ces procédures relevaient du Président du tribunal d'instance lorsqu’elles portaient sur des sommes inférieures à 10 000 € et du Président du tribunal de grande instance lorsqu’elles étaient supérieures à ce montant, pour les créances de nature civile. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, les tribunaux d’instance ont disparu et fusionné avec les tribunaux de grande instance en une seule et unique juridiction : le tribunal judiciaire. C’est donc désormais le seul Président du tribunal judiciaire qui a compétence pour statuer sur les procédures d’injonctions, à moins que celles-ci ne relèvent de la compétence du juge des contentieux de la protection. La simplification est donc toute relative….

Pour les créances de nature mixte ou commerciale, c’est toujours le Président du tribunal de commerce qui doit être saisi.

La demande d’injonction de payer est portée devant la juridiction du lieu où demeure le défendeur et la demande d’injonction de faire est portée devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation.

La procédure est gratuite devant le tribunal judiciaire mais payante devant le tribunal de commerce.

Pour quel type de litiges ?

Les dispositions de l’article 1415 du code de procédure civile réservent la procédure d’injonction de payer au recouvrement des créances ayant une cause contractuelle ou résultant d’une obligation à caractère statutaire dont le montant est déterminé. Elle peut aussi être mise en œuvre lorsque l’engagement résulte de l’acceptation ou du tirage d’effets de commerce ou de l’acceptation de cessions de créances relevant de la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises.

La procédure d’injonction peut donc être intéressante pour poursuivre le recouvrement de créances issues d’un contrat de location ou d’un contrat d’entreprise conclu pour l’exécution de travaux, ou bien pour le recouvrement de charges de copropriété. Elle ne peut donc être utilisée que pour réclamer les sommes issues d’un contrat et les éventuels dommages et intérêts résultant de son inexécution.

Quant à l’injonction de faire, les dispositions de l’article 1425-1 du code de procédure civile précisent désormais que l’exécution en nature d’une obligation née d’un contrat conclu entre des personnes n’ayant pas toutes la qualité de commerçant, peut être demandée au juge des contentieux de la protection ou au tribunal judiciaire dans les matières relevant de sa compétence, notamment les baux à usage d’habitation. Ces procédures trouveront à s’appliquer aux demandes de travaux ou de restitution auxquelles le contrat de bail peut donner lieu.

Les procédures d’injonction de payer et de faire n’ont donc pas leur place dans les conflits de voisinage et notamment dans tous ceux qui concernent la hauteur et la distance des plantations et les obligations issues du titre IV de livre II du Code Civil ni être utilisées pour demander des dommages et intérêts.

Une distinction doit également être faite en raison des matières considérées et de la compétence spécifique du juge des contentieux de la protection créé par la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2020 : ainsi, si la requête à déposer concerne un contrat de bail relatif à des locaux d’habitation, elle devra être présentée au juge des contentieux de la protection ; si elle concerne le paiement de charges de copropriété, elle le sera devant le tribunal judiciaire ; si elle concerne l’exécution d’un contrat d’entreprise, elle pourra l’être selon le cas devant le Président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce.

Comment faire ?

La procédure d’injonction de payer ou de faire débute par le dépôt d’une requête au greffe de la juridiction compétente qui devra comporter à peine de nullité les mentions suivantes : l’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée, l’objet de la demande, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs s’il s’agit de personnes physiques ; la forme, dénomination, siège social et l’organe qui les représente légalement s’il s’agit de personnes morales. La requête doit également préciser les nom, prénom et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s’il s’agit d’une personne morale de sa dénomination et de son siège social. Dans tous les cas, la requête devra être datée et signée, indiquer les pièces sur lesquelles la demande est fondée.

Ces pièces devront être jointes.

Dans le cas d’une ordonnance d’injonction de payer, il sera nécessaire de joindre les éléments permettant au juge d’apprécier le bien-fondé de la demande qui doit être obligatoirement chiffrée dans la requête (contrat, décompte, quittance, copie de relevés...) ; dans le cas d’une injonction de faire, il faudra démontrer que la partie qui s’était engagée à effectuer la prestation objet du contrat ne l’a pas réalisée en produisant par exemple les mises en demeure qui lui ont été adressées, le cas échéant des constats d’huissier ou des attestations et bien évidemment le contrat liant les parties.

Cette requête peut être présentée sur papier libre, à condition que toutes les mentions sus visées y figurent. Toutefois, l’administration propose sur le site service-public.fr des formulaires préétablis qu’il est possible de remplir en ligne (Cerfa n° 12948*06 pour la demande en injonction de payer devant le Président du tribunal judiciaire, Cerfa n° 11723*11 pour la demande en injonction de faire au tribunal judiciaire ou au tribunal de proximité). L’utilisation d’un de ces formulaires, qui évitera certainement l’oubli d’une des mentions obligatoires prévues à peine de nullité, est vivement recommandée.

La décision du juge en cas d’ordonnance d’injonction de payer

L’article 1409 du code de procédure civile ouvre au juge saisi d’une requête en injonction de payer trois possibilités : la requête peut être admise, rejetée ou admise en partie.

En cas de rejet, il n’y a pas de recours possible contre la décision, mais le demandeur peut toujours saisir la juridiction compétente selon les voies de droit commun, par assignation ou par requête. Si le juge fait droit à la requête, il rend une ordonnance portant injonction de payer pour la somme qu'il retient. Une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance doit être signifiée par le créancier à chacun des débiteurs dans un délai de 6 mois de sa date, à défaut, l’ordonnance d’injonction est nulle et non avenue. La signification de l’ordonnance d’injonction aux débiteurs se fait par acte d’huissier qui contient sommation d’avoir soit à payer au créancier le montant de la somme fixée par l’ordonnance soit, si le débiteur a des moyens de défense à faire valoir, à former une opposition qui saisira le tribunal de la demande initiale du créancier et de l’ensemble du litige.

A partir du moment où l’ordonnance est portée à la connaissance du débiteur, celui-ci dispose d’un délai d’un mois pour former opposition directement ou par tout mandataire justifiant d’un pouvoir spécial s’il n’est avocat, soit par déclaration au greffe de la juridiction dont le juge ou le président a rendu l’ordonnance, contre récépissé ou par lettre recommandée, soit par lettre recommandée avec avis de réception (sous réserve des dispositions spécifiques de l’article 1416 du code de procédure civile en fonction des modalités de signification de l’ordonnance).

En l’absence d’opposition ou dans les cas où le débiteur se désiste de l’opposition qu’il a formée, le créancier peut demander au greffe dans le délai d’un mois l’apposition sur l’ordonnance de la formule exécutoire, à défaut elle est non avenue. L’ordonnance revêtue de la formule exécutoire produit tous les effets d’un jugement contradictoire. Cependant, elle n’est plus susceptible d’aucun recours. Le greffe restituera les documents annexés à la requête qu’il avait provisoirement conservés, dès que le créancier aura déposé sa demande tendant à l’apposition de la formule exécutoire.

La décision du juge en cas d’ordonnance d’injonction de faire

Si la demande lui parait fondée, le juge rend une ordonnance portant injonction de faire, non susceptible de recours. Il fixe alors l’obligation, ainsi que le délai et les conditions dans lesquelles celle-ci doit être exécutée. Son ordonnance mentionne en outre les lieu, jour et heure de l’audience à laquelle l’affaire sera examinée, à moins que le demandeur n’ait fait connaître dans l’intervalle que l’injonction a été exécutée. Elle est notifiée à la diligence du greffe aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

A la date fixée par ordonnance, le juge statue sur la demande présentée par le requérant en cas d’inexécution totale ou partielle de l’injonction qu’il a délivrée.

Il doit toutefois au préalable avoir tenté de concilier les parties.

Si le juge rejette la requête, la décision est sans recours pour le requérant, mais celui-ci dispose toujours de la possibilité de saisir la juridiction compétente selon les voies de droit commun.

En cas d’opposition du défendeur

Commence alors la phase contradictoire de la procédure d’injonction (de payer ou de faire), puisque l’affaire est alors renvoyée devant le tribunal ou le juge qui a rendu l’ordonnance. Le juge est saisi par l’opposition des demandes initiales du créancier, mais également des demandes présentées en défense par le débiteur qui entrent dans les limites de sa compétence. Le procès suivra alors son cours selon la procédure ordinaire, avec le cas échéant constitution d’avocat obligatoire, conformément aux dispositions issues de la réforme entrée en vigueur le 1er janvier dernier. La décision qui sera rendue par le tribunal se substituera alors à l’ordonnance portant injonction. Ce jugement sera éventuellement susceptible d'appel.

A partir du 1er janvier 2021

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a institué une juridiction nationale spécialisée pour les injonctions de payer qui entrera en fonction à compter du 1er janvier 2021. L’objectif est de permettre une efficacité accrue de ces procédures en matière civile, les dispositions actuelles ne subissant pas de modification en ce qui concerne les injonctions relevant de la compétence du tribunal de commerce. Ainsi, un seul tribunal judiciaire sur le territoire national sera spécialement désigné par décret pour connaître des procédures d’injonction de payer, qui seront alors désormais formées par voie dématérialisée exclusivement. Seules les personnes physiques n’agissant pas à titre professionnel et non représentées par un mandataire, ainsi que les demandes d’injonction de payer européennes, pourront encore être adressées au greffe sur support papier. Ce tribunal spécialement désigné sera également seul compétent pour recevoir les oppositions. C’est alors le greffe de ce tribunal qui transmettra aux tribunaux judiciaires territorialement compétents pour connaître du litige, la gestion des oppositions et la procédure contradictoire qui s’en suit.

Ce qu’il faut retenir

La procédure d’injonction de payer ou de faire qui est souvent présentée comme une procédure simple et facile, recèle en réalité de nombreux pièges pour celui qui s’y risque seul. Cette procédure, qui apparaît aujourd’hui relativement rapide dans sa phase non contradictoire, s’avère malheureusement plus longue qu’une instance engagée selon les voies de droit commun, lorsque le débiteur forme opposition, car s’ajoute alors à la durée de cette partie de la procédure celle qui l’a précédée. En outre, si à ce jour chaque juridiction maîtrise ses propres flux et assure la gestion des requêtes qui lui sont présentées, ce qui conduit toutefois à des durées de traitement différentes selon les tribunaux, à compter du 1er janvier 2021, c’est une seule et unique juridiction qui sera chargée de toutes les procédures d’injonction de payer pour tout le territoire national. Les délais de procédure pourraient donc, pour certains, s’en trouver rallongés. Dans tous les cas il sera prudent de faire appel à un professionnel, huissier ou avocat, qui vous délivrera les conseils adéquats et vous assistera.

Me Stéphanie Macé • Avocat et consultant UNPI 31-09

Source : 25 millions de propriétaires • N°mai 2019


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