Bailleur : attention aux droits de préemption du locataire !

Le droit français organise un régime juridique protecteur du locataire à titre d’habitation. Parmi ce régime est prévue la faculté pour un locataire d’acquérir le logement qu’il occupe à l’occasion d’une vente envisagée par le propriétaire. Le présent article expose les droits de préemption des locataires susceptibles de s’appliquer lorsqu’un propriétaire souhaite vendre sa maison, son appartement ou son immeuble entier, dont tout ou partie fait l’objet d’un ou plusieurs baux à usage d’habitation. Ne seront pas traités les locaux commerciaux ni les droits de préemption au profit des personnes publiques et notamment des communes.

Il sera présenté successivement les trois seuls droits de préemption existant au profit d’un locataire à titre d’habitation ou mixte, savoir :

  • le droit de préemption en cas de congé pour vendre dans le cadre d’un bail de locaux nus soumis à la loi du 6 juillet 1989 relative aux baux d’habitation,
  • le droit de préemption en cas de vente d’un immeuble entier de plus de cinq logements, régi par la loi du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d’habitation,
  • le droit de préemption en cas de vente d’un immeuble par lot, également régi par la loi du 31 décembre 1975.

Une distinction fondamentale existe entre ces droits. En effet le premier met systématiquement fin au bail (que le locataire préempte ou non), alors que les deux suivants s’exercent en cours de bail et n’empêchent pas la poursuite du contrat lorsque le locataire ne préempte pas. La préemption met automatiquement fin au bail, le locataire devenant propriétaire.

Le congé pour vente

L’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 dispose que lorsque le congé du bailleur est motivé par son intention de vendre le logement, il vaut offre de vente au profit du locataire. Ce congé intervient donc nécessairement en fin de bail.

Champ d’application : Seules les locations nues soumises à la loi du 6 juillet 1989 sont soumises à ce droit de préemption. Sont donc exclues les locations meublées.

Exclusion des ventes d’immeubles occupés : Il est toujours possible de vendre l’appartement ou la maison avec le locataire en place, auquel cas aucun droit de préemption ne s’ouvre à son profit et le contrat de bail continue entre le locataire et le nouveau propriétaire. Aucune formalité n’est nécessaire, à l’exception de la notification faite par le notaire au locataire du changement de bailleur.

Exclusion des logements inhabitables : Le droit de préemption est exclu lorsque le logement n’est plus habitable, c’est-à-dire frappé d’une interdiction d’habiter, d’un arrêté de péril, déclaré insalubre ou ne présentant pas les conditions élémentaires d’habitabilité.

Exclusion des ventes à des proches parents : Les ventes consenties à des parents jusqu’au 3ème degré inclus n’ouvrent pas de droit de préemption au profit du locataire. Il s’agit des enfants, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants, des parents, des grands-parents, des arrière-grands-parents, des oncles et tantes, des frères et sœurs et des neveux et nièces. La seule condition est que l’acquéreur occupe le logement pendant une durée minimale de deux ans à compter de l’expiration du bail du locataire.

Quand délivrer le congé : Le droit de préemption ne peut être ouvert qu’à l’occasion d’un congé délivré au moins 6 mois avant la fin du bail. A défaut le congé est nul et le bail est tacitement reconduit.

Destinataire du congé : Le ou les locataire(s) partie(s) au contrat de bail, tous cotitulaires, ou les bénéficiaires d’un transfert ou d’une continuation du bail, doivent être destinataires du congé.

Attention au locataire se mariant en cours de bail : dès lors que le bailleur a eu connaissance du mariage du locataire, son conjoint est cotitulaire du bail. Egalement, sur demande conjointe des deux partenaires de PACS, celui non encore partie au bail (signataire du contrat) peut bénéficier du droit de préemption.

Contenu du congé : Outre les règles de formes communes à tous congés délivrés par le bailleur soumis à la loi du 6 juillet 1989, lorsqu’il est motivé par l’intention de vendre le logement, le congé doit également contenir le prix, les modalités de paiement du prix ainsi que toutes charges augmentatives. Le congé devra également reproduire certains alinéas de l’article 15 de la loi de 1989 et sera accompagné d’une notice d’information (nouvelle obligation depuis le 1er janvier 2018).

Attention à l’assiette du droit de préemption : Le congé et l’offre de vente doivent porter exclusivement sur ce qui est loué. Par exemple, il convient de bannir tout ajout d’un lot annexe tel qu’une cave non comprise dans le bail.

Commission d’agence : Par principe, le locataire n’ayant pas à être présenté au propriétaire, aucune commission d’agence ne peut être prévue, que celle-ci soit à la charge du vendeur ou de l’acquéreur.

Options du locataire : A réception du congé valant offre de vente, le locataire dispose des options suivantes :

  • Absence de réponse : à défaut de réponse dans les deux premiers mois du délai de préavis (à savoir les 6ème et 5ème mois précédents le terme du bail), le locataire est réputé avoir renoncé à l’offre.
  • Renonciation expresse : le locataire peut également renoncer à l’offre, mais une fois son droit né, c’est-à-dire une fois qu’il aura reçu le congé valable en la forme, et que le délai de préavis de 6 mois aura commencé à courir. Aucune renonciation avant le 6ème mois précédent le terme du bail ne peut donc intervenir.

Que ce soit en l’absence de réponse ou par une renonciation, le locataire qui n’a pas accepté l’offre de vente dans le délai est déchu de tous droits d’occupation à l’expiration du délai de préavis. 

  • Acceptation : Le locataire dispose des deux premiers mois du délai de préavis pour accepter l’offre, quelle que soit la date de délivrance du congé. En cas d’acceptation par plusieurs locataires, ces derniers seront propriétaires en indivision. La vente doit intervenir dans les 2 mois suivant l’acceptation de l’offre. Lorsque le locataire précise qu’il entend solliciter un prêt, le délai est porté à 4 mois. Le bail sera prorogé jusqu’à l’expiration de ce délai. Une fois le délai écoulé sans que l’acte de vente n’ait été signé, l’acceptation de l’offre devient nulle, le locataire devient occupant sans droit ni titre et son expulsion peut être ordonnée si nécessaire.

Attention au droit de préemption subsidiaire : si le locataire a renoncé à son droit de préemption et que le propriétaire n’a trouvé d’acquéreur qu’à un prix inférieur (ou à des conditions plus favorables telles qu’un paiement échelonné du prix), le locataire bénéficie d’un nouveau droit de préemption. Ce dernier doit être notifié à l’adresse indiquée à cet effet au bailleur. Si l’adresse n’est pas connue, la notification interviendra à l’adresse du logement antérieurement loué. L’ancien locataire bénéficiera cette fois-ci d’un délai d’un mois pour se prononcer.

Attention : la loi ne prévoyant pas de délai de vente, le locataire bénéficiera de son droit subsidiaire jusqu’à ce que le logement soit finalement vendu, même de nombreuses années plus tard.

Malgré la rigueur de la procédure, l’exercice de ce droit de préemption par le locataire n’aura d’incidence, outre le changement d’acquéreur, que sur les délais de vente ; les droits de préemption ci-dessous peuvent quant à eux mettre à mal le projet global du propriétaire.

Conseils pratiques :

  • Mandater un huissier de Justice. Même si la lettre recommandée avec demande d’avis de réception est admise, l’intervention d’un huissier garantira l’efficacité du congé et lui donnera date certaine. Lorsque le congé est notifié par courrier, seule sa réception fait preuve du respect des délais ; de sorte que le congé ne sera considéré comme délivré qu’une fois celui-ci retiré par le locataire auprès de la Poste.
  • Ne pas délivrer le congé trop en amont. Même si le congé délivré par anticipation est juridiquement valable, il met le propriétaire dans une situation peu confortable. En effet, les effets du congé, notamment le point de départ dont dispose le locataire pour préempter, sont reportés aux six derniers mois du bail. Ainsi en cas de congé délivré un an à l’avance, le locataire ne pourra se prononcer (et notamment renoncer) qu’aux 6° et 5° mois précédents le terme du bail. Le logement ne pourra pas être vendu avant, même si le locataire fait savoir qu’il n’est pas intéressé par l’acquisition.
  • Dresser un état des lieux de sortie. L’état des lieux de sortie et la remise des clés au propriétaire justifient de la fin du bail. L’état des lieux est le document où faire mentionner par le locataire l’adresse à laquelle une nouvelle notification pourra lui être adressée.

La vente d’un immeuble entier comprenant plus de cinq logements

L’article 10-1 de la loi du 31 décembre 1975 permet à des locataires d’acquérir leur logement en cours de bail lorsque le propriétaire décide de vendre l’immeuble entier.

Possibilité d’éviter ce droit de préemption. L’acquéreur peut prendre l’engagement de proroger les baux pour une durée de six ans à compter de la signature de l'acte authentique de vente. Dans ce cas, aucun droit de préemption ne s’ouvre aux locataires et occupants.

Le projet de l’acquéreur est donc très important pour le propriétaire. L’engagement de proroger les baux évitera au vendeur le parcours complexe des droits de préemption des locataires.

Exclusions tenant à la qualité de l’acquéreur. Le droit de préemption est exclu lorsque la vente intervient au profit d’un parent ou d’un allié jusqu’au 4ème degré inclus. L’assiette est ici plus large que le congé pour vente.

Sont également exclues les ventes à un organisme HLM ou pour certains immeubles à une société d’économie mixte.

Conditions tenant à l’immeuble. Ce droit de préemption ne s’applique qu’en cas de vente dans « sa totalité et en une seule fois » d’un immeuble comprenant au moins cinq logements affectés à un usage d’habitation ou mixte, professionnel et d’habitation.

Attention : la cession de la totalité des parts ou actions de sociétés portant attribution en propriété ou en jouissance à temps complet de chacun des logements est également soumise à ce droit de préemption.

Bénéficiaires du droit de préemption. Toutes personnes physiques titulaires d’un bail ou d’un droit au maintien dans les lieux sur un local à usage d’habitation ou mixte, professionnel et d’habitation, sont bénéficiaires du droit de préemption.

Procédure à suivre :

  • Notification à la commune. La loi de 1975 prévoit expressément qu’en premier lieu, il convient de communiquer au maire de la commune le prix et les conditions de la vente de l’immeuble dans sa totalité et en une seule fois. En cas d’acquisition par la commune, le locataire sera privé de sa faculté d’acquérir le logement.
  • Notification aux locataires. A défaut d’achat par la commune, il convient d’informer chacun des locataires ou occupants de la vente projetée. Cette notification vaut offre de vente à leur profit. La notification doit reproduire certains alinéas de l’article 10-1 I, A de la loi de 1975, et doit informer son destinataire du prix et des conditions de la vente non seulement du local occupé, mais également de l’immeuble dans sa totalité. La notification sera accompagnée du projet de règlement de copropriété et du diagnostic technique de l’immeuble. L’offre est valable 4 mois à compter de sa réception et ouvre au locataire les options suivantes :
    • En cas d’acceptation, le locataire dispose à compter de la date d’envoi de sa réponse d’un délai de 2 mois pour réaliser la vente. Ce délai est porté à 4 mois s’il informe le bailleur dans sa réponse de son intention de recourir à un prêt qui conditionnera son acquisition. A défaut de réalisation de la vente dans ces délais, l’acceptation est considérée comme nulle.
    • Pendant le délai de 4 mois, le locataire peut refuser l’offre ou rester taisant ce qui équivaudra à un refus. Il conserve néanmoins son titre locatif.
  • Droit de préemption subsidiaire. Si le prix ou les conditions de la vente deviennent plus avantageuses, une nouvelle offre valable un mois à compter de sa réception devra être notifiée. Le locataire bénéficie des mêmes options que lors de l’offre initiale.

Conseils pratiques :

  • Mandater un huissier. Même si le texte prévoit la lettre recommandée, l’intervention d’un huissier semble valable.
  • Connaître le projet de l’acquéreur. Un acquéreur consentant à proroger les baux est à privilégier, le droit de préemption des locataires et occupants sera ainsi exclu.
  • Organiser en amont la vente. Les délais et le nombre important de bénéficiaires à informer nécessitent une organisation préalable de la vente.

Contrairement au précédent droit, la préemption d’un seul des locataires peut contrecarrer le projet du propriétaire souhaitant vendre son immeuble en entier et en une seule fois sans tomber sous le régime de la copropriété.

La vente d’un immeuble par lot

L’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 instaure un droit de préemption au profit des locataires ou occupants lors de la première vente d’un logement occupé après la division initiale ou la subdivision de tout ou partie d’un immeuble en lots.

Ces dispositions sont complétées par les accords collectifs du 9 juin 1998 et du 16 mars 2005 lorsque le bailleur (personne morale uniquement, à l’exception des SCI familiales) souhaite vendre plus de 10 logements. Ces accords organisent une procédure particulière qui ne sera pas traitée ici.

Conditions préalables. Il doit s’agir de la première vente d’un ou plusieurs locaux à usage d’habitation ou à usage mixte d’habitation et professionnel, dépendant d’un immeuble ayant fait l’objet d’une division ou d’une subdivision par lots.

Attention : les cessions de parts ou actions de sociétés dont l’objet est la division d’un immeuble par fractions destinées à être attribués aux associés en propriété ou en jouissance à temps complet sont également concernées.

Bénéficiaires. Bénéficient du droit de préemption les personnes physiques dont le bail ou l’occupation est antérieure à la division ou à la subdivision de l’immeuble.

Exclusions :

  • lorsqu’il y a un lien de parenté ou d’alliance entre l’acquéreur et le vendeur, jusqu’au 4ème degré inclus, ou lorsque l’acquéreur est un organisme HLM,
  • lorsque la vente porte sur un immeuble entier ou sur l’ensemble des locaux à usage d’habitation ou mixte d’habitation et professionnel d’un bâtiment,
  • lorsque la vente concerne des logements conventionnés au sens de l’article L351-2 du Code de la construction et de l’habitation.

Procédure à suivre :

  • Notification aux locataires. La notification doit contenir l’indication du prix, les modalités de paiement et les conditions de la vente. Le prix ne doit pas être augmenté d’une commission d’agence. Certains alinéas de l’article 10 I de la loi du 31 décembre 1975 doivent être reproduits. La notification vaut offre de vente au profit de son destinataire. Le locataire ou occupant dispose d’un délai de 2 mois à compter de la réception de la notification pour faire connaître sa position :
    • A défaut de réponse, ou en cas de renonciation, l’offre de vente devient caduque. 
    • En cas d’acceptation, le locataire dispose d’un délai de 2 mois pour réaliser la vente. S’il notifie dans son acceptation son intention de recourir à un prêt, ce dernier conditionne la vente et le délai est porté à 4 mois.
  • Droit de préemption subsidiaire. En cas de modification des conditions de la vente dans un sens favorable au locataire, s’ouvre un droit de préemption subsidiaire. La nouvelle notification devra mentionner la date et la teneur de la première.

Conseils pratiques :

  • Mandater un huissier. Même si le texte prévoit la lettre recommandée, l’intervention d’un huissier est possible.
  • Se renseigner sur l’origine des lots. La première vente après division de l’immeuble est plus courante qu’il n’y paraît. Si le propriétaire a reçu certains lots par donation, ou qu’il provient d’un partage d’un immeuble familial, la cession ultérieure peut constituer la première vente après division.
  • Organiser en amont la vente. Les délais et le nombre de bénéficiaires à informer nécessitent une organisation préalable de la vente.

Tout comme le précédent droit, la préemption d’un seul des locataires peut contrecarrer le projet du propriétaire souhaitant vendre ses lots en une seule fois.

Ce qu’il faut retenir

Outre leur technicité, la difficulté d’appréhender les droits de préemption vient de la diversité des lois les régissant. La procédure est d’une importance capitale, tant son non-respect est lourdement sanctionné par la nullité de la vente.

Le notaire se confrontant quotidiennement à ces diverses législations est le professionnel privilégié pour informer le propriétaire des formalités auxquelles il faudra se soumettre. Un rendez-vous préalable à tout projet évitera les embuches d’une procédure complexe et non sans-risque.

Henri Chesnelong • Notaire

Source : 25 millions de propriétaires • N°février 2019


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