Droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment

Droit de surplomb pour l’isolation thermique par l’extérieur d’un bâtiment

Invocation du droit de surplomb

Désormais, « I.-Le propriétaire d’un bâtiment existant qui procède à son isolation thermique par l’extérieur bénéficie d’un droit de surplomb du fonds voisin de trente-cinq centimètres au plus lorsqu’aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs. L’ouvrage d’isolation par l’extérieur ne peut être réalisé qu’à deux mètres au moins au-dessus du pied du mur, du pied de l’héberge ou du sol, sauf accord des propriétaires des deux fonds sur une hauteur inférieure. Une indemnité préalable est due au propriétaire du fonds surplombé. (…) Les modalités de mise en œuvre de ce droit sont constatées par acte authentique ou par décision de justice, publié pour l’information des tiers au fichier immobilier.

II.-Le droit de surplomb emporte le droit d’accéder temporairement à l’immeuble voisin et d’y mettre en place les installations provisoires strictement nécessaires à la réalisation des travaux. Une indemnité est due au propriétaire de l’immeuble voisin.
Une convention définit les modalités de mise en œuvre de ce droit.

III.-Avant tout commencement de travaux, le propriétaire du bâtiment à isoler notifie au propriétaire du fonds voisin son intention de réaliser un ouvrage d’isolation en surplomb de son fonds et de bénéficier du droit mentionné au II (…) » (article L.113-5-1 du Code de la construction et de l’habitation).

Le décret n° 2022-926 du 23 juin 2022 précise les modalités de cette notification. Cette dernière « est faite par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier de justice et comporte les éléments suivants :
1° Les noms, prénoms, adresses postales et électroniques et coordonnées téléphoniques du ou des propriétaires du bâtiment à isoler et, le cas échéant, ceux de son ou de ses représentants légaux ou statutaires ;
2° Un descriptif détaillé de l’ouvrage d’isolation thermique par l’extérieur, accompagné d’un plan des façades et, le cas échéant, des toitures modifiées par le projet, en faisant apparaître l’état initial et l’état futur ;
3° Les justificatifs démontrant qu’aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent ou que cette autre solution présente un coût ou une complexité excessifs ;
4° Une proposition relative au montant des indemnités préalables prévues aux I et II de l’article L. 113-5-1 ;
5° Le projet d’acte authentique prévu au I de l’article L. 113-5-1 ;
6° Le projet de la convention prévue au II de l’article L. 113-5-1 ;
7° Une reproduction des dispositions de l’article L. 113-5-1.
Cette notification précise qu’elle constitue le point de départ du délai d’opposition de six mois prévu au III de l’article L. 113-5-1 »
(nouvel article R.113-19 du CCH).

35 centimètres
C’est la largeur maximale du droit de surplomb du fonds voisin dont un propriétaire peut bénéficier
si aucune autre solution technique ne permet d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique
équivalent ou que cette solution a un coût ou une complexité excessifs.

 

Concernant la convention relative à l’accès temporaire à l’immeuble voisin, celle-ci doit notamment faire état de :
« 1° La localisation et le périmètre de l’accès au fonds à surplomber à prévoir pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur ainsi que la durée à prévoir de cet accès au fonds ;
2° La nature des installations provisoires à mettre en place pour la réalisation des travaux d’isolation thermique par l’extérieur et les conditions de cette mise en place notamment pour la protection du fonds à surplomber ;
3° L’indemnité due en contrepartie des droits d’accès et d’installation temporaires ;
4° Le cas échéant, les mesures prévisionnelles de remise en état du fonds voisin »
(nouvel article R.113-20 du CCH).

Droit d’opposition du voisin

L’article L.113-5-1 du CCH énonce que « dans un délai de six mois à compter de [la] notification [précitée], le propriétaire du fonds voisin peut s’opposer à l’exercice du droit de surplomb de son fonds pour un motif sérieux et légitime tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété ou à la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa du I. Dans ce même délai, il ne peut s’opposer au droit d’accès à son fonds et à la mise en place d’installations provisoires que si la destination, la consistance ou la jouissance de ce fonds en seraient affectées de manière durable ou excessive. Dans le même délai, il peut saisir le juge en fixation du montant de l’indemnité préalable prévue aux I ou II ».

Le décret du 23 juin 2022 précise qu’ « à défaut d’accord avec le propriétaire du bâtiment à isoler, le propriétaire du fonds à surplomber (…) saisit, dans le délai de six mois prévu au III du même article, le président du tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble à surplomber, statuant selon la procédure accélérée au fond » (nouvel article R.113-21 du CCH). Ainsi, le décret confirme que ce n’est pas au propriétaire invoquant le droit de surplomb de saisir le juge en cas de désaccord (comme c’est le cas par exemple en matière de servitude légale pour enclave) mais au propriétaire du fonds voisin de le faire s’il souhaite s’opposer au droit de surplomb réclamé à son encontre ou réclamer une indemnité plus élevée que celle proposée.

50% de la valeur vénale
En matière de servitude de passage pour enclave, parmi toutes sortes de variantes, l’indemnité est fixée en générale autour de 50% de la valeur vénale du terrain d’assiette de la servitude.

Pour autant, il ne faut pas croire que l’absence de réaction dans les six mois prévus permet la mise en œuvre du droit de surplomb. L’article L.113-5- énonce que « les modalités de mise en œuvre de ce droit sont constatées par acte authentique ou par décision de justice, publié pour l’information des tiers au fichier immobilier ». Par ailleurs, le décret précise que les travaux ne peuvent commencer qu’après signature de l’acte authentique (ou sur le fondement d’un jugement) et versement des indemnités. Il faut donc en conclure que, si le propriétaire du fonds voisin reste silencieux (il ne signe pas le projet d’acte qui lui a été notifié et ne saisit pas non plus le juge), le propriétaire du bâtiment à isoler devra lui-même saisir le juge pour voir fixer les conditions de mise en œuvre du droit de surplomb.

Comme l’indique le professeur Périnet-Marquet, « sans doute faut-il comprendre que, si le propriétaire [du fonds voisin] n’a pas saisi le juge dans le délai de six mois, il ne peut plus contester le principe du droit, ni le montant de l’indemnité proposée. Mais, s’il refuse de signer l’acte, la saisine du juge sera nécessaire et rien ne dit que ce dernier ne s’octroiera pas le pouvoir de recalculer l’indemnité » (Le Moniteur, 4 mars 2022, Rénovation : le droit de surplomb au service de l’isolation des bâtiments, par Hugues Périnet-Marquet).

Le décret n’apporte pas de précisions quant au droit pour le propriétaire sollicité de s’opposer au projet pour « un motif sérieux et légitime tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété ou à la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa du I » (article L.113-5-1). Pour le second cas, il peut s’agir par exemple de dire que l’empiètement demandé va au-delà des trente-cinq centimètres maximums, ou que le propriétaire dispose d’une solution permettant « d’atteindre un niveau d’efficacité énergétique équivalent » à un prix abordable (ce qui pose évidemment un problème de preuves).
Quant au « motif sérieux et légitime tenant à l’usage présent ou futur de sa propriété », s’agit-il par exemple de justifier d’un projet de construction en limite de propriété ? D’une servitude due à d’autres propriétaires nécessitant de disposer de l’espace litigieux dans toute sa hauteur ? D’invoquer une atteinte à l’esthétique des lieux ? Un contentieux important sur ce sujet est à craindre (pour peu que des propriétaires se saisissent du nouveau droit de surplomb), qui permettra d’en savoir plus…

On remarque que le décret ne comporte aucune indication non plus sur le montant des indemnités auxquelles peuvent prétendre les propriétaires se voyant réclamer le bénéfice du droit de surplomb. Saisis en cas de désaccord, les tribunaux calculeront-ils des indemnités de façon analogue à ce qui se pratique par exemple en matière de servitude de passage pour enclave ? On sait que, parmi toutes sortes de variantes, l’indemnité pour l’octroi de cette servitude légale est fixée en général autour de 50 % de la valeur vénale du terrain d’assiette de la servitude (lorsque le terrain en cause est constructible[1]. Ou bien seront-elles moindres, en considération du fait qu’il ne s’agit que de surplomber le terrain d’autrui (à plus de deux mètres à partir du pied du mur) et que le droit de surplomb est révocable dans certaines hypothèses (voir ci-après) ?
Si l’empiètement du terrain d’autrui mérite compensation, il est certain que des montants d’indemnité trop élevés risqueraient évidemment de décourager les plus motivés, alors qu’aucune subvention n’est ici prévue. C’est en réalité pire que cela. Par définition, le droit de surplomb peut être invoqué lorsque l’isolation thermique par l’extérieur est la seule solution viable, techniquement et financièrement, pour atteindre le niveau d’efficacité énergétique recherché. Cela signifie que, dans un certain nombre de cas, l’isolation thermique par l’extérieur et la mise en œuvre du droit de surplomb sont nécessaires pour se conformer à des obligations légales. En plus du coût des travaux, va-t-on imposer à des propriétaires de régler des indemnités importantes ? On peut ici penser que l’exigence de verser une indemnité supérieure à un certain montant (en produisant par exemple la décision du juge fixant le montant de l’indemnité) devrait constituer un cas d’exonération d’avoir à réaliser des travaux de rénovation énergétique.

Hypothèse où le voisin est constitué en copropriété

Le décret du 23 juin 2022 aborde le cas des copropriétés. Ainsi, « lorsque le fonds à surplomber est un immeuble soumis au statut de la copropriété des immeubles bâtis, le syndicat des copropriétaires peut s’opposer aux droits prévus aux I et II de l’article L. 113-5-1 par décision motivée.
Le syndic inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale des copropriétaires :

1° La question de la saisine du juge en opposition à l’exercice des droits prévus aux I et II de l’article L. 113-5-1 ;

2° La question de la saisine du juge en fixation des indemnités prévues aux I et II de l’article L. 113-5-1.

Les documents notifiés au syndicat des copropriétaires par le propriétaire du bâtiment à isoler doivent être joints à la convocation de l’assemblée générale.

L’assemblée générale appelée à se prononcer sur ces questions se tient dans un délai qui préserve la faculté du syndicat des copropriétaires de saisir le juge dans le délai de six mois prévu au III de l’article L. 113-5-1 » (nouvel R.113-22 du CCH).

Il est cependant dommage que le décret n’ait pas, à cette occasion, précisé ou rappelé la majorité applicable pour décider de saisir le juge pour s’opposer au droit de surplomb. Précisons ici que, s’agissant d’une saisine du président du tribunal judiciaire « selon la procédure accélérée au fond » (article R.113-21), le syndic ne peut pas invoquer la dispense d’avoir à recueillir une autorisation avant d’agir en référé (voir l’article 55 du décret du 17 mars 1967 sur la copropriété). C’est vraisemblablement la majorité simple qui s’impose ici, c’est-à-dire la majorité de droit commun pour habiliter le syndic à introduire une action en justice. Il est en tout cas logique de faciliter la décision de s’opposer en justice à une demande de voir bénéficier d’un droit de surplomb puisque, si on inverse les choses, la double majorité dite de l’article 26 est nécessaire chaque fois que l’assemblée décide d’aliéner une partie commune ou de consentir par exemple une servitude (l’unanimité des copropriétaires est même requise en cas d’atteinte à la destination de l’immeuble ou aux droits d’un copropriétaire)…D’ailleurs, si le décret aborde la question de l’habilitation à donner au syndic pour saisir le juge, il ne dit mot de l’habilitation du syndic à signer l’acte de mise en œuvre du droit de surplomb qui lui a été notifié. Faut-il penser que, si l’assemblée ne décide pas de saisir le juge, le syndic a les mains libres pour signer ledit projet ? Ou le syndic doit-il, en même temps qu’il interroge l’assemblée sur la question de la saisine du juge, solliciter l’autorisation de signer le projet d’acte qui lui a été notifié ? Dans ce dernier cas, s’agissant d’autoriser un empiètement sur une partie commune, la double majorité devrait s’imposer (même si cet empiètement, de nature très particulière, n’est pas définitif, voir ci-après). Les syndics risquent de s’arracher les cheveux au moment de traiter une demande de voir bénéficier du nouveau droit de surplomb…

A noter
Le décret impose au propriétaire de notifier à son voisin (par lettre recommandée avec accusé de réception) les coordonnées complètes de l’artisan retenu pour faire les travaux, le numéro de police de l’assurance constructeur et celui de l’assurance dommage-ouvrage. Cette notification peut être faite sans attendre l’écoulement des six mois donnés au voisin pour s’opposer au droit de surplomb (nouvel article R.113-24 du CCH)..

Droit de surplomb : un empiètement non définitif

Les difficultés relevées ci-dessus quant à la mise en œuvre du droit de surplomb pour isolation par l’extérieur peuvent rebuter, surtout si l’on considère que l’empiètement qu’il engendre n’est pas définitif.
L’article L.113-5-1 du CCH évoque un premier cas d’extinction : une fois mis en œuvre, le droit de surplomb « s’éteint par la destruction du bâtiment faisant l’objet de l’ouvrage d’isolation ». Cela est logique et sans gravité pour le propriétaire ayant « activé » son droit de surplomb.
Plus problématique est le second cas d’extinction évoqué par ce même article : « lorsque le propriétaire du fonds surplombé a obtenu une autorisation administrative de construire en limite séparative ou en usant de ses droits mitoyens et que sa mise en œuvre nécessite la dépose de l’ouvrage d’isolation, les frais de cette dépose incombent au propriétaire du bâtiment isolé. L’indemnité prévue au I demeure acquise ». Ainsi donc, après avoir demandé, obtenu la mise en œuvre de son droit de surplomb, puis réglé les diverses indemnités dues, le propriétaire du bâtiment isolé peut se retrouver à devoir déposer à ses frais toute l’isolation posée pour permettre au voisin de construire en limite de propriété, sans possibilité, précise le texte, d’exiger le remboursement des indemnités versées. Pour sa consolation, et à dire de non-expert, il est cependant possible de penser que, « puisque les deux bâtiments seront construits en mitoyenneté, il n’y aura plus besoin d’isolation par l’extérieur, chaque bâtiment étant isolé par le bâtiment voisin » (Le Moniteur, voir précédemment). Le propriétaire du bâtiment isolé aura donc perdu de l’argent (en travaux et en indemnités de surplomb) mais ne devrait pas perdre en performance énergétique…

Frédéric Zumbiehl, juriste

Source : 25 Millions de Propriétaires, n°565 -Septembre 2022


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[1]  Pour un panorama intéressant de la jurisprudence, voir https://www.expertise-immobiliere-aquitaine.fr/b/lindemnisation-des-servitudes-de-passage.