Même si le crowdfunding semble intimement lié à l’Internet, les spécialistes datent la naissance du phénomène du financement de la statue de la liberté à New-York par le peuple français en 1875. Une souscription publique aurait été lancée à cette époque pour financer le projet coûteux et plus de 100 000 personnes y auraient ainsi participé.
Plus proche de nous, le crowdfunding a été utilisé à partir des années 1960 pour du mécénat artistique, essentiellement pour le lancement de musiciens ou le financement de films.
Mais c’est très clairement le développement de l’Internet qui a contribué à l’explosion du crowdfunding dans le monde.
Le crowdfunding participe du mouvement contemporain de désintermédiation. Cela signifie que le financement n’est plus accessible uniquement par le biais de professionnels (banques, investisseurs institutionnels…) mais également par des particuliers qui investissent ou prêtent pour des projets montés par d’autres particuliers.
On recense globalement cinq formules de crowdfunding :
Ce mode de financement rencontre aujourd’hui un succès important, même si les sommes levées restent relativement modestes (entre 10 000 et 150 000 € par projet). Mais les startups ou promoteurs immobiliers bénéficient d’un effet de levier lié à ce mode de financement. En effet, s’il n’est pas toujours facile d’accéder au crédit sans apport initial, le recours au crowdfunding va permettre de lever les fonds permettant ensuite l’éligibilité à des modes de financement plus classiques et plus puissants (crédit, capital-risque…).
En France, les chiffres récents (2019) font ressortir :
Le crowdfunding immobilier est apparu récemment (2014 en France) et peut schématiquement prendre 2 formes très différentes :
- soit l’investissement locatif à plusieurs (ex. dividom.com) qui permet d’abaisser le ticket d’entrée dans l’immobilier ; de manière simplifiée, la plateforme internet permet ici de regrouper des investisseurs au sein d’une même société (SCI le plus souvent), laquelle achètera un bien pour le louer. Par exemple, Jacques apporte 30 000 € sur la plateforme, Paul 50 000 € et Marie 80 000 €. Ils achèteront ensemble une petite surface locative à 160 000 € et s’en partageront ensuite les charges et les revenus. La plateforme joue ici pleinement le rôle de mise en relation d’investisseurs dans l’immobilier. La plateforme pourra ensuite s’impliquer dans la gestion.
Ce type de crowdfunding ne sera pas directement abordé dans cet article.
- soit le particulier va participer au financement d’une opération immobilière (promotion ou marchand de biens) en prêtant des fonds au professionnel, ou plus rarement en entrant au capital de ce dernier. Cette formule rencontre un succès grandissant et va permettre ainsi au promoteur de disposer de fonds propres afin d’emprunter auprès des banques à de meilleures conditions.
Concrètement, imaginons une petite opération de promotion immobilière d’un coût global de 5 M€. Dès le lancement de l’opération (permis de construire obtenu), le promoteur va lever 750 000 € sur une plateforme de crowdfunding ; il empruntera le reste de la somme auprès d’une banque, et remboursera les particuliers ayant abondé la plateforme à l’achèvement de la construction, soit entre 18 et 24 mois après le début de l’opération.
Concrètement, l’investissement pourra prendre 3 formes :
Ces dernières années, les sites Internet dédiés au crowdfunding immobilier se sont multipliés (une trentaine en tout : wiseed, fundimmo, lymo, homunity…) et proposent à peu près tous les mêmes formules de placement, la différence se faisant suivant le ticket minimum exigé (entre 100 et 1000 € suivant les sites).
Certaines formules (prêt) voient s’appliquer un plafonnement légal de l’investissement par projet (2 000 à 5 000 € suivant si le prêt est avec intérêt ou sans), alors que la souscription d’obligations, minibons ou parts/actions n’est pas plafonnée pour l’investisseur.
Les durées de placement sont en général très brèves, entre quelques mois et 2 à 3 ans. La durée correspond le plus souvent à la période de construction / commercialisation du programme. Le remboursement intervient donc théoriquement à l’échéance.
La question principale est la rémunération de l’investisseur, et c’est elle qui explique largement le succès des levées de fonds. On constate ici des taux de rémunération pour les formules prêt, obligations ou minibons qui oscillaient entre 8 et 12 % en 2019 (taux moyen 9,2 %[1]). Ces taux sont extrêmement élevés et ne s’expliquent que parce que la collecte par crowdfunding ne représente qu’une faible part du coût de l’opération. Ainsi si l’on reprend l’exemple ci-dessus, la collecte de 750 000 € rémunérés à 9 % va permettre d’emprunter 4 250 000 € à moins de 2 %.
Ces taux de rémunération sont à comparer à ceux du Livret A (0,5 %) ou encore des placements immobiliers locatifs moyens (4 à 5 %). Nous reparlerons plus bas des risques encourus par les investisseurs en crowdfunding.
Dès son apparition, le crowdfunding a soulevé deux problèmes juridiques. Le premier problème était lié au procédé utilisé, à savoir l’Internet. Utiliser un site web pour rendre publique une offre de souscription de titres était assimilé à ce que l’on appelle en droit une « offre au public ». Faire une offre au public revient à être traité comme une société cotée et déclenche juridiquement l’application d’une réglementation lourde et stricte qui n’était pas du tout adaptée au crowdfunding. Cela conduisait à un paradoxe criant : les TPE et PME ayant recours au crowdfunding souhaitant se placer en marge des modes de financement traditionnels en privilégiant la proximité avec l’investisseur et l’éthique, se retrouvaient soumises à la réglementation des multinationales cotées…
Le second problème provient de ce que le crowdfunding dans sa version « prêt » est venu porter atteinte au monopole bancaire. Tout d’abord, l’activité bancaire est fortement règlementée ; ensuite, en France, seuls les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent effectuer des opérations de crédit à titre habituel.
Pour ces raisons, le crowdfunding ne pouvait pas s’épanouir sans création d’un cadre juridique propre. Les pouvoirs publics ont bien compris l’intérêt que représentait ce mode de financement pour la création d’entreprises innovantes et donc la création d’emplois ; un cadre juridique propre au crowdfunding et dérogeant aux modes de financement traditionnels a donc été mis en place dès 2014.
Le crowdfunding a été pour la première fois reconnu juridiquement par une ordonnance du 30 mai 2014 qui a doté la finance participative d’un cadre juridique adapté.
Cette ordonnance fondatrice a par la suite été modifiée à deux reprises : par l’ordonnance du 28 avril 2016 et par les décret du 28 octobre 2016 et du 28 octobre 2019 qui rehaussent les plafonds originaux.
L’essentiel de ces textes est aujourd’hui intégré dans le Code monétaire et financier.
Les opérations de crowdfunding sont aujourd’hui encadrées comme suit :
Les plateformes de financement participatif par prêt avec ou sans intérêt doivent également être immatriculées auprès du registre de l’ORIAS en tant qu’intermédiaires en financement participatif (IFP).
Ces différentes habilitations et immatriculations sont autant de gages de sécurité pour les investisseurs et leurs conditions sont fixées par le Code monétaire et financier.
Au plan fiscal, le régime du crowdfunding n’est pas dérogatoire aux principes de taxation communs.
Dans le domaine de l’analyse des risques, il faut demeurer prudent car l’on a que peu de recul sur les opérations réalisées. Si l’on considère le cas du crowdfunding immobilier par prêt fait à une société de promotion immobilière (nous englobons ici le prêt stricto-sensu et les émissions d’obligations et minibons qui, rappelons-le, sont également des modalités de prêt) :
En ce domaine, la meilleure sécurité reste l’anticipation et on peut donc se demander quelles sont les garanties juridiques offertes aux investisseurs.
En tout état de cause les établissements bancaires qui prêtent les fonds principaux de l’opération au promoteur bénéficient, eux, de garanties plus solides, et sont remboursés avant les « crowdfunders » en cas de faillite du promoteur.
[1] Pourcentage incluant les divers frais (ex : frais de gestion)
Laurent Grosclaude • Maître de conférences UT1 Toulouse Capitole
Source : 25 millions de propriétaires • N°mai 2019
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