Le crowdfunding immobilier

Depuis 2012 en France, le crowdfunding, littéralement le « financement par la foule », connaît un engouement important. Ce mode de financement, dit participatif, repose sur la mise en relation directe, sans intermédiation bancaire ou boursière, d’entreprises en recherche de capitaux de lancement, et d’investisseurs particuliers en recherche d’investissements de proximité. Sur le web, les plates-formes de crowdfunding fleurissent, proposant aux internautes d’investir des sommes relativement modestes (à partir de 100 €), soit sous la forme d’un prêt rémunéré par un taux d’intérêt (crowd lending), soit sous la forme d’une entrée dans le capital de la société (equity crowdfunding). Dans le secteur immobilier, le crowdfunding se développe fortement et de manière inattendue.

Origines, variété et succès du crowdfunding

Même si le crowdfunding semble intimement lié à l’Internet, les spécialistes datent la naissance du phénomène du financement de la statue de la liberté à New-York par le peuple français en 1875. Une souscription publique aurait été lancée à cette époque pour financer le projet coûteux et plus de 100 000 personnes y auraient ainsi participé.

Plus proche de nous, le crowdfunding a été utilisé à partir des années 1960 pour du mécénat artistique, essentiellement pour le lancement de musiciens ou le financement de films.

Mais c’est très clairement le développement de l’Internet qui a contribué à l’explosion du crowdfunding dans le monde.

Le crowdfunding participe du mouvement contemporain de désintermédiation. Cela signifie que le financement n’est plus accessible uniquement par le biais de professionnels (banques, investisseurs institutionnels…) mais également par des particuliers qui investissent ou prêtent pour des projets montés par d’autres particuliers.

On recense globalement cinq formules de crowdfunding :

  • Don - le crowdfunding « don » ou « gift » qui correspond à des plateformes collectant des fonds pour financer des projets souvent humanitaires ou sociaux, sans contrepartie pour le contributeur. Exemple – ulule.com.
  • Récompense - le crowdfunding « récompense » ou « reward » qui est une formule dérivée du don, où le contributeur reçoit, en contrepartie de sa participation, un objet ou un service offert par le projet soutenu (disque, place de spectacle… Exemple – kisskissbankbank.com).
  • Capital - le crowdfunding « capital » ou «equity based» où le contributeur souscrit des parts ou actions de la société financée et en devient associé. Exemple - wiseed.com.
  • Prêt - le crowdfunding « prêt » également appelé « crowdlending » où le contributeur prête une somme d’argent à l’entreprise financée contre remboursement avec ou sans intérêts. Exemple : unilend.com. Ce prêt peut également prendre la forme de souscription d’obligations ou de « minibons » (titres de créance).
  • Royalties - le crowdfunding « royalties » où le contributeur apporte une somme d’argent, en contrepartie de quoi il est rémunéré par une partie du chiffre d’affaires de manière convenue à l’avance. Exemple : wedogood.com.

Ce mode de financement rencontre aujourd’hui un succès important, même si les sommes levées restent relativement modestes (entre 10 000 et 150 000 € par projet). Mais les startups ou promoteurs immobiliers bénéficient d’un effet de levier lié à ce mode de financement. En effet, s’il n’est pas toujours facile d’accéder au crédit sans apport initial, le recours au crowdfunding va permettre de lever les fonds permettant ensuite l’éligibilité à des modes de financement plus classiques et plus puissants (crédit, capital-risque…).

En France, les chiffres récents (2019) font ressortir :

  • une collecte de fonds se montant globalement à 630 M€, dont 373 M€ pour le seul crowdfunding immobilier…
  • plus de 33 000 projets financés,
  • 4 millions de contributeurs,
  • une collecte moyenne par projet de 620 000 € pour des opérations de crowd lending (prêt) et de 360 000 € pour des opérations d’equity (investissement en capital).

L’essor du crowdfunding immobilier

Le crowdfunding immobilier est apparu récemment (2014 en France) et peut schématiquement prendre 2 formes très différentes :

            - soit l’investissement locatif à plusieurs (ex. dividom.com) qui permet d’abaisser le ticket d’entrée dans l’immobilier ; de manière simplifiée, la plateforme internet permet ici de regrouper des investisseurs au sein d’une même société (SCI le plus souvent), laquelle achètera un bien pour le louer. Par exemple, Jacques apporte 30 000 € sur la plateforme, Paul 50 000 € et Marie 80 000 €. Ils achèteront ensemble une petite surface locative à 160 000 € et s’en partageront ensuite les charges et les revenus. La plateforme joue ici pleinement le rôle de mise en relation d’investisseurs dans l’immobilier. La plateforme pourra ensuite s’impliquer dans la gestion.

Ce type de crowdfunding ne sera pas directement abordé dans cet article.

            - soit le particulier va participer au financement d’une opération immobilière (promotion ou marchand de biens) en prêtant des fonds au professionnel, ou plus rarement en entrant au capital de ce dernier. Cette formule rencontre un succès grandissant et va permettre ainsi au promoteur de disposer de fonds propres afin d’emprunter auprès des banques à de meilleures conditions.

Concrètement, imaginons une petite opération de promotion immobilière d’un coût global de 5 M€. Dès le lancement de l’opération (permis de construire obtenu), le promoteur va lever 750 000 € sur une plateforme de crowdfunding ; il empruntera le reste de la somme auprès d’une banque, et remboursera les particuliers ayant abondé la plateforme à l’achèvement de la construction, soit entre 18 et 24 mois après le début de l’opération.

Concrètement, l’investissement pourra prendre 3 formes :

  • un prêt fait au promoteur avec taux d’intérêt et échéance de remboursement ;
  • la souscription d’obligations ou de minibons (assimilables à des obligations où le paiement des intérêts attachés se fait en une seule fois à l’échéance) émis par le promoteur, ce qui revient à un mécanisme de prêt, avec là aussi, versement d’un intérêt et remboursement à l’échéance ; ce mécanisme représente plus de 95 % des opérations de crowdfunding immobilier.
  • la souscription de parts ou d’actions de la société de promotion immobilière, mécanisme très minoritaire et présentant des risques importants puisque le souscripteur est tenu de contribuer au pertes potentielles du promoteur.

Ces dernières années, les sites Internet dédiés au crowdfunding immobilier se sont multipliés (une trentaine en tout : wiseed, fundimmo, lymo, homunity…) et proposent à peu près tous les mêmes formules de placement, la différence se faisant suivant le ticket minimum exigé (entre 100 et 1000 € suivant les sites).

Certaines formules (prêt) voient s’appliquer un plafonnement légal de l’investissement par projet (2 000 à 5 000 € suivant si le prêt est avec intérêt ou sans), alors que la souscription d’obligations, minibons ou parts/actions n’est pas plafonnée pour l’investisseur.

Les durées de placement sont en général très brèves, entre quelques mois et 2 à 3 ans. La durée correspond le plus souvent à la période de construction / commercialisation du programme. Le remboursement intervient donc théoriquement à l’échéance.

La question principale est la rémunération de l’investisseur, et c’est elle qui explique largement le succès des levées de fonds. On constate ici des taux de rémunération pour les formules prêt, obligations ou minibons qui oscillaient entre 8 et 12 % en 2019 (taux moyen 9,2 %[1]). Ces taux sont extrêmement élevés et ne s’expliquent que parce que la collecte par crowdfunding ne représente qu’une faible part du coût de l’opération. Ainsi si l’on reprend l’exemple ci-dessus, la collecte de 750 000 € rémunérés à 9 % va permettre d’emprunter 4 250 000 € à moins de 2 %.

Ces taux de rémunération sont à comparer à ceux du Livret A (0,5 %) ou encore des placements immobiliers locatifs moyens (4 à 5 %). Nous reparlerons plus bas des risques encourus par les investisseurs en crowdfunding.

Le régime juridique et fiscal du crowdfunding immobilier

Dès son apparition, le crowdfunding a soulevé deux problèmes juridiques. Le premier problème était lié au procédé utilisé, à savoir l’Internet. Utiliser un site web pour rendre publique une offre de souscription de titres était assimilé à ce que l’on appelle en droit une « offre au public ». Faire une offre au public revient à être traité comme une société cotée et déclenche juridiquement l’application d’une réglementation lourde et stricte qui n’était pas du tout adaptée au crowdfunding. Cela conduisait à un paradoxe criant : les TPE et PME ayant recours au crowdfunding souhaitant se placer en marge des modes de financement traditionnels en privilégiant la proximité avec l’investisseur et l’éthique, se retrouvaient soumises à la réglementation des multinationales cotées…

Le second problème provient de ce que le crowdfunding dans sa version « prêt » est venu porter atteinte au monopole bancaire. Tout d’abord, l’activité bancaire est fortement règlementée ; ensuite, en France, seuls les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent effectuer des opérations de crédit à titre habituel.

Pour ces raisons, le crowdfunding ne pouvait pas s’épanouir sans création d’un cadre juridique propre. Les pouvoirs publics ont bien compris l’intérêt que représentait ce mode de financement pour la création d’entreprises innovantes et donc la création d’emplois ; un cadre juridique propre au crowdfunding et dérogeant aux modes de financement traditionnels a donc été mis en place dès 2014.

Le crowdfunding a été pour la première fois reconnu juridiquement par une ordonnance du 30 mai 2014 qui a doté la finance participative d’un cadre juridique adapté.

Cette ordonnance fondatrice a par la suite été modifiée à deux reprises : par l’ordonnance du 28 avril 2016 et par les décret du 28 octobre 2016 et du 28 octobre 2019 qui rehaussent les plafonds originaux.

L’essentiel de ces textes est aujourd’hui intégré dans le Code monétaire et financier.

Les opérations de crowdfunding sont aujourd’hui encadrées comme suit :

  • les émission de titres (actions, obligations, minibons…) sont plafonnées à 8 M€ sur 12 mois. Ce plafond laisse, en matière immobilière, une marge d’action considérable aux promoteurs immobiliers puisque les opérations de crowdfunding immobilier portent en moyenne sur 600 000 € et excèdent rarement aujourd’hui 1,5 M€.
  • les formules de prêt sont plus strictement plafonnées : le prêt avec intérêts est limité à 2 000 € par prêteur, et le prêt sans intérêt à 5 000 € par prêteur. Mais il est possible de réaliser différents prêts de 2 000 € par exemple à plusieurs promoteurs pour des opérations différentes. Enfin la loi prévoit que la durée maximale du prêt est de 7 ans.
  • autre pan de la réglementation, les plateformes de financement participatif par souscription de titres financiers doivent être immatriculées auprès de l’ORIAS (association créée sous tutelle de la Direction du Trésor et qui assure l’enregistrement des intermédiaires assurance banque et finance) en tant que conseillers en investissement participatif (CIP). Elle peut également opter pour le statut de prestataire en services d’investissement (PSI)  et être, dans ce cas, agréée par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (Banque de France).

Les plateformes de financement participatif par  prêt avec ou sans intérêt doivent également être immatriculées auprès du registre de l’ORIAS en tant qu’intermédiaires en financement participatif (IFP).

Ces différentes habilitations et immatriculations sont autant de gages de sécurité pour les investisseurs et leurs conditions sont fixées par le Code monétaire et financier.

Au plan fiscal, le régime du crowdfunding n’est pas dérogatoire aux principes de taxation communs.

  • les intérêts touchés par les investisseurs sont imposés au prélèvement forfaitaire unifié (PFU) à 30 %. Cela concerne les intérêts des prêts, les revenus d’obligations et de minibons. Ce taux de 30 % comprend 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de contributions sociales.
  • les dividendes perçus par les associés (cas minoritaire de la souscription d’actions) sont également imposés au prélèvement forfaitaire unifié (PFU) à 30 %. Sous certaines conditions, ces investissement peuvent être éligibles à des réductions d’impôt (investissement dans des PME / dispositif PEA-PME).

Crowdfunding immobilier : quels risques pour le souscripteur ?

Dans le domaine de l’analyse des risques, il faut demeurer prudent car l’on a que peu de recul sur les opérations réalisées. Si l’on considère le cas du crowdfunding immobilier par prêt fait à une société de promotion immobilière (nous englobons ici le prêt stricto-sensu et les émissions d’obligations et minibons qui, rappelons-le, sont également des modalités de prêt) :

  • les défauts restent rares ; on entend ici par défaut la faillite de la société emprunteuse sans remboursement des investisseurs de la plateforme de crowdfunding.
  • les retards de paiement (intérêts, remboursement du nominal) sont en revanche fréquents, et sont le plus souvent liés à des retards de commercialisation du programme.
  • il peut également se produire que le promoteur ne puisse par verser la rémunération prévue et la révise… à la baisse.

En ce domaine, la meilleure sécurité reste l’anticipation et on peut donc se demander quelles sont les garanties juridiques offertes aux investisseurs.

  • même si cela est théoriquement possible, on constate très peu de garanties bancaires offertes aux prêteurs,
  • les plateformes rassurent leurs investisseurs en leur vantant une sélection sérieuse des projets et le fait que les emprunts obligataires sont émis par la maison mère du promoteur (réputée financièrement plus solide que les sociétés créées pour chaque programme).

En tout état de cause les établissements bancaires qui prêtent les fonds principaux de l’opération au promoteur bénéficient, eux, de garanties plus solides, et sont remboursés avant les « crowdfunders » en cas de faillite du promoteur.

Ce qu’il faut retenir

Pas de rémunération sans risque pourrait être la conclusion de cette courte étude. L’investissement en crowdfunding immobilier est très rémunérateur mais doit conduire à un choix éclairé des projets financés. Il faut donc conseiller ce type d’investissement dans une période de relative solidité du marché immobilier. La crise actuelle du COVID-19 aura sans nul doute des répercussions importantes sur le marché immobilier en général et sur la promotion immobilière en particulier. Les (quelques) belles années du crowdfunding immobilier sont peut-être déjà derrière nous.

[1]   Pourcentage incluant les divers frais (ex : frais de gestion) 

Laurent Grosclaude • Maître de conférences UT1 Toulouse Capitole

Source : 25 millions de propriétaires • N°mai 2019


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