BILAN - Chaque année des chambres UNPI engagent des recours contre une règlementation abusive ou une fiscalité confiscatoire. Cette fois, c’est au tour de l’UNPI-Grenoble d’emporter un succès judiciaire. Il s’agissait pour elle de défendre une vingtaine d’adhérents qui, comme de nombreux propriétaires de l’Isère, avaient vu leur taxe foncière bondir en 2019 à la suite d’une réévaluation de la valeur locative de leur logement par l’administration fiscale. Plus de quatre ans après, par une trentaine de jugements du 29 décembre 2023, le Tribunal administratif de Grenoble leur a finalement donné raison.
Par Frédéric Zumbiehl, juriste UNPI
C’est une belle opération pour l’UNPI 38 et ses adhérents. Se battre contre l’administration fiscale n’est pas chose aisée. Cette fois, la persévérance a payé.
Les revalorisations intempestives de 2019
Tout commence en 2019, lorsque de nombreux propriétaires isérois découvrent que la valeur locative de leur logement, telle que retenue pour le calcul des impôts locaux, en particulier la taxe foncière, a été réévaluée par l’administration fiscale. L’UNPI s’en émeut, la presse en parle. Au point que le Secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Action et des comptes publics, Olivier Dussopt, est obligé de réagir. Par un communiqué du 2 septembre 2019, il dément toute opération de revalorisation exceptionnelle (le fisc procédant à des revalorisations chaque année). Il n’y aurait « aucun lien avec la suppression de la taxe d’habitation ». Quelques jours plus tard, Le Parisien enfonce pourtant le clou en liant les revalorisations iséroises à la signature d’une convention d’« optimisation des bases fiscales » entre « le directeur des impôts de l'Isère (…) et le président de l'Association des maires et adjoints de l'Isère »[1]. Difficile de dire combien de propriétaires exactement se sont fait « revalorisés » en 2019. On évoque le chiffre de 12.000 propriétaires[2].
Exergue possible : « Le Parisien lie les revalorisations iséroises à la signature d’une convention d’ « optimisation des bases fiscales » entre le directeur des impôts de l'Isère et le président de l'Association des maires et adjoints de l'Isère »
Des revalorisations pour cause d’« éléments de confort » nouveaux
Certains propriétaires ont découvert qu’ils avaient été « revalorisés » en recevant leur taxe foncière. D’autres ont eu la chance de recevoir un courrier préalable de l’administration fiscale. Hélas il s’agissait d’un courrier-type laissant simplement entendre que, compte tenu de la modernisation générale des logements, des éléments de conforts aujourd’hui courants devaient être rajoutés à leur fiche cadastrale. Comme nous le relations dans ces colonnes en décembre 2019, les intéressés ont dû harceler leur centre des impôts pour en savoir un peu plus. Selon Jérôme Aubreton, président de l’UNPI 38, il semble que le fisc a « fait tourner la moulinette » avec quelques mots-clefs, le « chauffage central » en particulier. Tous ceux dont la fiche cadastrale ne mentionnait pas l’existence d’un chauffage central, alors que cet équipement est devenu courant, ont été revalorisés.
L’UNPI 38 mène la fronde
Les formulaires déclaratifs sont-ils mal faits ? Y’a-t-il eu un oubli ou une fraude de ceux qui étaient propriétaires au moment des déclarations de 1970[3] ? S’agit-il de procéder à une mise à jour qui aurait pu être faite il y a de nombreuses années ? L’installation d’un chauffage central après 1970 n’avait pas à être déclaré. C’est au fisc qu’il appartient de mettre à jour les évaluations foncières en fonction des informations en sa possession, par exemple une déclaration de revenus faisant valoir d’importantes dépenses d’améliorations. Dans l’émission « Capital » du 13 octobre 2019 (M6), le directeur départemental des Finances publiques n’a-t-il pas expliqué lui-même que si des fiches ne correspondent pas à la réalité, c’est « de la faute, reconnaissons-le, de nos bases anciennes, et qu’il fallait effectivement mettre à jour ». Cependant, quelle que soit l’origine précise du problème, des propriétaires isérois n’acceptent pas d’être mis devant le fait accompli. Certains propriétaires, qui n'ont pourtant pas de chauffage central, n’ont même pas pu combattre la présomption de nouveaux éléments de conforts du fisc. L’UNPI Grenoble réunit ses adhérents, monte un dossier, et aide les volontaires à contester formellement leur hausse d’impôt. Ces réclamations ne donnant rien, l’UNPI confie à Me Laëtitia Pignier, avocat au barreau de Grenoble, le soin de saisir le Tribunal administratif de Grenoble pour le compte d’une vingtaine d’adhérents. Pour chacun de ces derniers, il s’agit de demander la décharge du surplus de taxe foncière 2019 lié à la revalorisation opérée par l’administration fiscale.
Victoire au tribunal
Aux derniers jours de l’année 2023, le Tribunal administratif de Grenoble a donné raison aux adhérents ayant suivi l’UNPI 38 jusqu’au bout. Par une trentaine de jugements du 29 décembre 2023, le tribunal a estimé que chacun des requérants était « fondé à demander la réduction du montant de la taxe foncière 2019 correspondant à la revalorisation de la valeur locative opérée la même année par l'administration fiscale ». Après avoir fixé la bonne valeur locative à retenir en 2019 pour chaque dossier, le Tribunal a prononcé à chaque fois la décharge de la différence entre le montant de taxe foncière prélevé en 2019 et ce qu’il aurait dû être en appliquant les taux de l’année à la bonne valeur locative (voir par exemple TA Grenoble, 29 décembre 2023, n° 2106497).
Pour ce faire, le Tribunal n’est pas rentré dans le détail des « éléments de confort » ci-dessus évoqués. Il a simplement censuré la procédure d’imposition suivie. Selon un considérant général, « lorsqu'une imposition est, telle la taxe foncière sur les propriétés bâties, assise sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le redevable, l'administration fiscale ne peut établir, à la charge de celui-ci, des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir, conformément au principe général des droits de la défense, mis à même de présenter ses observations ». En l’espèce, l’administration fiscale ne pouvait prétendre qu’elle a permis aux propriétaires concernés de se défendre en adressant un courrier automatisé sans accusé de réception à chacun d’entre eux. De fait, « la requérante soutient ne pas avoir reçu de courrier d'information. La seule production par l'administration du modèle type du courrier d'information envoyé de façon automatisée et de l'extrait, concernant la requérante, du tableau comportant la liste des propriétaires destinataires du courrier, ne suffit pas, faute de production d'un accusé réception, à établir qu'elle a été mise à même de présenter ses observations ».
Quelle suite pour les propriétaires ?
Pour les propriétaires ayant tenu jusqu’au tribunal, la victoire obtenue devrait se concrétiser prochainement par un remboursement concernant l’année 2019, un remboursement partiel bien entendu, la taxe foncière sans réévaluation étant tout de même due… Mais, pour Céline Hartmann, directrice de l’UNPI 38, les jugements du 29 décembre induisent également un remboursement pour les taxes foncière des années suivantes. En effet, la réévaluation de 2019 ayant été jugée irrégulière, l’administration fiscale doit recalculer les taxes en partant de la bonne valeur locative. Cela suppose que les propriétaires concernés aient également contesté leur taxe 2020, 2021, etc.
Par ailleurs, les jugements du 29 décembre constituent une victoire pour l’ensemble des propriétaires. Le Tribunal administratif de Grenoble a en effet censuré une façon d’agir. Qu’une revalorisation soit fondée ou non, l’administration ne peut appliquer des correctifs sans prévenir dignement les concernés pour qu’ils puissent, le cas échéant, réagir.
On peut néanmoins regretter une chose. Pour parvenir à faire rappeler cette vérité, l’UNPI 38, ses adhérents et Me Pignier ont déployé une énergie phénoménale. Or, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté en bloc toutes les demandes de condamnation de l’Etat au titre des frais de procès exposés par les requérants. Croit-on qu’il est facile de se battre contre l’administration ? Que tout le monde est juriste ? Ou qu’il appartient à des avocats ou des associations de travailler gratuitement pour que chacun puisse faire valoir son droit ? C’est ici une vraie prime accordée à ceux qui ne respectent pas les règles.
Interview de Jérôme Aubreton, président de l’UNPI 38
Qu’est-ce qui a poussé l’UNPI 38 à se jeter dans la bataille ?
L’injustice ! Comment accepter une augmentation de 20 % ou 30 % parce que, en 1970, la personne qui était propriétaire de mon logement n’aurait pas déclaré le chauffage ? Si le problème vient bien de là, pour éviter de se faire « taxer » en raison d’oublis du précédent propriétaire, ne faudrait-il pas imposer la transmission de la fiche cadastrale lors de chaque vente ? Mais même, alors que la taxe foncière est un impôt déclaratif, comment peut-on être « majoré » d’office ? La méthode utilisée par le fisc en Isère était scandaleuse.
Via le Dauphiné libéré nous avons fait un appel à témoins ; pas moins de 600 lecteurs ont témoigné avoir subi la même revalorisation. L’UNPI 38 était ensuite dans son rôle en aidant les intéressés à réunir leurs forces et engager des recours.
L’administration fiscale a-t-elle cherché à vous rencontrer ?
Au début, non. Puis, la presse, aussi bien locale que nationale, s’est emparée du sujet. L’émission Capital d’M6, dans laquelle nous apparaissons, a fait grand bruit. Nous avons alors été « convoqués » par la direction fiscale iséroise. Cela a cependant tourné au dialogue de sourds. L’administration s’en est tenue à l’idée qu’il fallait mettre à jour des valeurs locatives ne correspondant plus à la réalité. Nous avons rétorqué que la méthode n’y était pas ; on ne peut pas majorer d’office plus de 10.000 propriétaires en appuyant sur un bouton.
Interview de Me Laëtitia Pignier, avocat au barreau de Grenoble (associée au cabinet Arbor, Tournoud et associés)
Quelle fut pour vous la principale difficulté dans ce dossier ?
La principale difficulté a été de récolter l’intégralité des documents et de devoir mener chaque dossier séparément puisque l’action de groupe (qui permet aux personnes victimes d'un même préjudice de la part d'un professionnel de se regrouper et d'agir en justice) n’est pas possible en matière fiscale. Le non-respect de la procédure contradictoire dans le rehaussement « automatisé » des taxes foncière par l’administration était en revanche évident et incontestable. Nous espérions d’ailleurs que le simple dépôt d’une réclamation contentieuse (qui est un recours préalable obligatoire devant le Directeur Départemental des Finances publiques avant de pouvoir saisir le Tribunal) aurait suffi pour obtenir gain de cause.
La seule défense de l’administration a été de fournir un tableau établissant la liste des propriétaires prétendument destinataires des courriers d’informations et un exemplaire type de ce courrier d’information dont le contenu était insuffisant pour permettre de comprendre l’origine et le montant des impositions supplémentaires notifiées.
D’après-vous, faut-il craindre un pourvoi en cassation de la part de l’Etat[4] ?
Je ne pense pas car il est très probable que le Conseil d’Etat confirmerait le jugement du Tribunal administratif créant par là-même un précédent encore plus préjudiciable pour l’administration fiscale.
Est-il courant que le tribunal donne raison à des contribuables sans condamner l’Etat à rembourser les honoraires d’avocat ?
Non cela n’est pas fréquent, surtout lorsque la procédure n’a été manifestement pas respectée comme cela est le cas en l’espèce. Cela est particulièrement choquant de mon point de vue car cela laisse dans l’esprit des usagers du service public de la justice, parfois modestes, l’idée que l’administration est toute puissante, et qu’il n’y a rien à gagner à contester ces décisions d’imposition, même lorsqu’elles sont manifestement irrégulières, et qu’il n’y a rien à espérer non plus du Juge, même lorsque l’administration fiscale traite les demandes précontentieuses par l’indifférence.
[1] http://www.leparisien.fr/economie/impots/hausse-de-la-taxe-fonciere-en-isere-la-discrete-convention-entre-les-maires-et-le-fisc-09-09-2019-8148252.php
[2] Le Dauphiné libéré, 23 janvier 2024
[3] Rappelons ici que, à ce jour, les valeurs locatives reposent encore sur les données recueillies en 1970.
[4] L’appel n’est pas possible contre les jugements du 29 décembre 2023