Investir à plusieurs dans l'immobilier : quelle société choisir ?

Lorsque plusieurs personnes souhaitent réaliser en commun un projet dans le secteur de l’immobilier, qu’elles soient ou non de la même famille, la constitution d’une société est la seule alternative réelle au régime de l’indivision.

Constituer une société oui, mais laquelle ? Le droit français offre en effet plusieurs modèles de sociétés commerciales (SARL, SAS, SA, SNC…) et une société civile ; dès lors comment choisir la forme la plus adaptée à l’investissement envisagé ?

Quelques précisions

Afin de bien comprendre les enjeux et les contraintes, plusieurs points doivent préalablement être précisés.

Différence entre société civile et société commerciale

Le droit français connaît deux familles de sociétés, les sociétés commerciales et les sociétés civiles. Au premier abord, on pourrait penser que les premières sont réservées aux activités commerciales (commerce, services…), tandis que les secondes ne peuvent convenir qu’aux activités civiles. La réalité juridique est plus contrastée et fait apparaître une asymétrie. En effet, les SARL, les SA, les SAS et autres sociétés commerciales sont « tout-terrain » au sens où elles peuvent exercer des activités civiles comme commerciales. En revanche les sociétés civiles sont cantonnées dans la sphère des activités civiles et ne peuvent en sortir sous peine de conséquences, notamment fiscales, préjudiciables. Dit autrement, une activité commerciale ne peut être exploitée que sous la forme d’une société commerciale, alors qu’une activité civile peut l’être indifféremment par une société civile ou par une société commerciale.

Qualification des activités immobilière

L’immobilier est-il une activité civile ou une activité commerciale ? Là aussi les choses sont moins simples qu’il n’y paraît. Le secteur immobilier est rattaché aux activités civiles ou aux activités commerciales suivant une casuistique peu logique mais bien réelle…

  • la gestion d’un patrimoine immobilier pour son propre usage par une famille (résidence principale et résidences d’agrément) est évidemment une activité civile par nature ;
  • la location immobilière est également une activité civile, quelle que soit d’ailleurs la nature des locaux loués, et même s’il s’agit de locaux dits commerciaux loués en vertu d’un bail commercial ;
  • la location en meublé est d’une nature un peu particulière : elle est juridiquement civile, le droit considérant que la location des meubles (qui est normalement commerciale) est accessoire à la location des murs (qui, elle, est civile) ; par contre le droit fiscal la considère comme commerciale c’est-à-dire qu’elle relève des BIC (bénéfices industriels et commerciaux) et qu’elle engendre une imposition à l’impôt sur les sociétés pour les SCI.
  • l’activité de promotion immobilière consistant normalement à acheter un terrain en vue de le bâtir et de revendre ensuite les appartements ou logements par lots est une activité qualifiée de civile par le Code de commerce. Lorsque le promoteur part d’un immeuble ancien, le rénove puis le revend par lot, la qualification civile de l’opération dépendra essentiellement de l’importance des travaux réalisés. Si les travaux sont légers, il s’agira plus sûrement d’une opération de type marchand de biens et donc commerciale ; si les travaux sont importants, la qualification civile l’emportera.
  • l’achat d’un immeuble pour revente, avec ou sans travaux légers de rénovation est susceptible d’être qualifiée de commerciale si elle est répétée dans le temps ; il s’agira alors d’une activité de marchand de biens. Tout dépendra donc du caractère répété de l’opération ou de son importance (une seule opération peut suffire à qualifier l’activité de commerciale si elle porte sur un immeuble comportant un nombre important de logements).
  • de la même manière, l’achat d’un terrain, sa division et la revente par lots est une opération de lotissement qualifiée de commerciale si elle est répétée ou importante.
  • enfin, toutes les activités d’intermédiaire et notamment la mise en relation d’un acheteur avec un vendeur (activité d’agent immobilier), sont des activités commerciales.

Quel régime fiscal : IR ou IS ?

Les sociétés commerciales relèvent en principe de l’impôt sur les sociétés (IS) alors que les sociétés civiles relèvent plutôt de l’impôt sur le revenu (IR) ; mais des passerelles sont possibles d’un régime vers l’autre. L’imposition des revenus est évidemment très différente d’un système à l’autre, de même que l’imposition des plus-values. Du seul point de vue de l’imposition des revenus :

  • l’impôt sur les sociétés frappe la personne morale directement qui sera imposée à un taux spécifique à raison de ses bénéfices imposables (BIC). Pour les sociétés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 M€, le taux d’IS s’établit comme suit :
    • 15 % pour la partie du bénéfice comprise entre 0 et 38 120 €,
    • 28 % pour la partie du bénéfice comprise entre 38 120 € et 500 000 €,
    • 31 % au-delà de 500 000 €. Ce taux sera réduit à 28 %, puis 26,5 % et enfin 25 % d’ici à 2022.

Lorsque la société distribue des dividendes à ses associés, ceux-ci sont taxés au prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax) au taux de 30 % (12,8 % d’IR et 17,2 % de prélèvements sociaux).

L’éventuel déficit réalisé par la société pourra être imputé sur les bénéfices des exercices ultérieurs, mais ne viendra en aucun cas en déduction des revenus des associés.

  • l’impôt sur le revenu frappe les associés et non pas la société elle-même ; les associés sont imposés à raison de la part des bénéfices sociaux leurs revenant. Ainsi un associé possédant 20 % des parts ou actions d’une société à l’IR, déclarera 20 % des bénéfices de cette société dans la catégorie pertinente (revenus fonciers, BNC…), lesquels viendront s’ajouter aux autres revenus de son foyer fiscal, et seront soumis au barème de l’IR (5 tranches de 0 à 45 %).

Le déficit généré par la société s’imputera, en proportion du pourcentage de parts ou actions qu’ils détiennent, sur le revenu global des associés, leur permettant alors de réduire leur imposition à l’IR. C’est là tout l’intérêt de l’IR par rapport à l’IS. Cette imputation des déficits sur le revenu global est toutefois plafonnée à 10 700 € pour les revenus fonciers et avec des règles spéciales pour la partie du déficit excédant ce montant.

Quelles sociétés peuvent être créées pour un investissement immobilier ?

Comme cela a été vu plus haut, la société civile immobilière ou SCI ne convient que si l’activité est purement civile c’est-à-dire :

  • détention et gestion de tous immeubles,
  • location de tous immeubles, y compris en meublé (mais elle sera dans ce dernier cas imposée à l’IS),
  • promotion immobilière.

La SCI ne pourra donc pas exercer une activité de marchand de biens, de lotisseur ou d’intermédiaire.

Les sociétés commerciales (SARL, SA, SAS, SNC) pourront en revanche s’adapter à toutes les activités immobilières qu’elles soient civiles ou commerciales. Toutefois, le fait qu’une société commerciale ait une activité immobilière prépondérante peut fiscalement la priver de certains dispositifs (par exemple le pacte Dutreil sur la transmission d’entreprise).

Nous limiterons notre étude aux SCI, SARL et SAS.

Nous passerons donc en revue les principaux avantages et inconvénients des SARL, SAS et SCI du point de vue de l’investissement immobilier. Voir le tableau ci-joint.

Conclusion et recommandations

La SCI convient parfaitement à l’immense majorité des activités immobilières et a largement fait ses preuves en ce domaine. La plupart d’entre elles restent soumises à l’IR car l’option IS présente l’inconvénient d’être définitive. Elle peut se révéler en revanche peu adaptée à la location en meublé.

La SARL n’a pas été conçue pour la gestion et l’investissement immobiliers mais peut être précieuse afin de faire bénéficier une activité de location en meublé du régime de l’IR.

La SAS n’a pas été conçue pour la gestion et l’investissement immobiliers et n’offre pas les mêmes avantages fiscaux que la SARL (notamment le régime des SARL de famille). La rédaction des statuts nécessite en outre un savoir-faire particulier. Sauf pour gérer une activité totalement commerciale de type marchand de biens, nous ne la recommandons pas.

Société

SCI

SARL

SAS

Activités immobilières autorisées

Toutes activités qualifiées de civiles: gestion et location, promotion. Le caractère civil n’est pas remis en cause par la nature des immeubles gérés (bureaux ou commerces). La location en meublé est possible mais la SCI sera imposée à l’IS.

Toutes sans exceptions. Attention si le patrimoine de la SARL est constitué pour plus de 50% d’immeubles, elle sera considérée fiscalement comme une société à prépondérance immobilière, ce qui aura des conséquences notamment en matière de droits d’enregistrement.

Toutes sans exceptions. Attention si la patrimoine de la SAS est constitué pour plus de 50% d’immeubles, elle sera considérée fiscalement comme une société à prépondérance immobilière, ce qui aura des conséquences notamment en matière de droits d’enregistrement.

Nombre d'associés minimum deux un (EURL) un (SASU)

Capital minimum

1€

1€

1€

Type de responsabilité des associés

Responsabilité indéfinie et conjointe. L’associé est tenu des dettes sociales sur son patrimoine personnelle au prorata des parts qu’il détient dans le capital. Le créancier doit prouver qu’il a vainement poursuivi la SCI avant de saisir le patri- moine des associés.

Limitée aux apports ; pas de possibilité pour les créanciers de saisir le patrimoine personnelle des associés

Limitée aux apports (comme SARL)

Droits sociaux

Nommés parts sociales. Cession à des tiers soumise à l’agrément des autres associés.

Nommés parts sociales. Cession à des tiers soumise à l’agrément des autres associés.

Nommés actions.
La cession peut en être limitée par des

clauses statutaires.

Impact du mariage

L’apport d’un immeuble commun à une SCI requiert les consentement du conjoint ; la cession de parts sociales communes requiert le consentement du conjoint.

L’apport d’un immeuble commun à une SARL requiert le consentement du conjoint ; la cession de parts sociales communes requiert le consentement du conjoint.

L’apport d’un immeuble commun à une SAS requiert le consentement du conjoint ; la cession des actions communes peut-être faite seul sans accord du con- joint.

Droits d’enregistrement sur les cessions de parts

5% environ

Théoriquement 3% avec abattement de 23000€ / 5% si prépondérance immobilière

Droits d’enregistrement sur les cessions de parts ou actions Théoriquement 0,1 % / 5% si prépondérance immobilière

Type de direction

Gérance ou cogérance

Gérance ou cogérance

Président et parfois Directeur Général

Régime social du dirigeant

Le dirigeant s’il est rémunéré est considéré comme un travailleur indépendant, assujetti au régime social des indépendants (aujourd’hui nommé SSI)

Le dirigeant majoritaire s’il est rémunéré est considéré comme un travailleur indépendant, assujetti au régime social des indépendants (aujourd’hui nommé SSI). Le dirigeant minoritaire ou égalitaire est considéré comme un salarié au plan de son régime social.

Assimilé salarié

Commissariat aux comptes

Le commissaire aux compte n’est pas obligatoire en principe

Obligatoire si la société passe deux des trois seuils suivants : 50 salariés, 3,1 M Euros HT de chiffre d’affaires, 1,55 M Euros de total bilan. Ces seuils vont fortement augmenter en 2019 (50 salariés, 8 M Euros HT de chiffre d’affaires, 4 M euros HT de total bilan).

Obligatoire si la société passe deux des trois seuils suivants : 20 salariés, 2M Euros de chiffre d’affaires, 1 M Euros HT de total bilan. Ces seuils vont fortement augmenter en 2019 (50 salariés, 8M Euros HT de chiffre d’affaires, 4 M Euros HT de total bilan).

Régime fiscal

La SCI est par principe assujetti à l’IR ; elle peut opter pour l’IS et cette option est alors définitive. Lorsque la SCI exerce une activité commerciale (au sens fiscal du terme), elle est automatiquement assujettie à l’IS. Ce sera le cas d’une SCI pratiquant la location en meublé. Dans ce cas, les associés ne peuvent jamais déduire les déficits constatés au niveau de la société de leur revenu global. Du point de vue des plus-values, on appliquera le régime des PV immobilières si la société est à l’IR et des PV professionnelles si elle est à l’IS.

La SARL est par principe assujettie à l’IS mais peut basculer vers le régime de l’IR :

  • soit temporairement pour les 5 premières années de son existence (article 239 bis AB du Code général des impôts ;
  • soit dans le cas d’une SARL dite « de famille », formée uniquement entre personnes parentes en ligne directe ou entre frères et sœurs, ainsi que les conjoints et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité (article 239 bis AA du Code général des impôts).

Ces deux options sont en outre assujet- ties à la condition que la SARL exerce une activité commerciale, ce qui est le cas au plan fiscal de la location en meublé.

La SARL de famille va donc s’avérer très utile pour la location en meublé, permet- tant un assujettissement à l’IR et donc une imputation des déficits, alors même que l’activité est commerciale.

La SAS est par principe assujettie à l’IS mais peut basculer vers le régime de l’IR temporairement pour les 5 premières années de son existence (article 239 bis AB du Code général des impôts).

Laurent Grosclaude • Maître de conférences UT1 Capitole

Source : 25 millions de propriétaires • N°avril 2019


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