ÉTUDE — Elle a toujours existé, la Bible en parle déjà comme la « lèpre des maisons ». La mérule, le vorace champignon qui s’attaque aux bois des constructions, connaît aujourd’hui une expansion. Parce que nos logements sont de plus en plus hermétiques et que les travaux de rénovation ne sont pas toujours réalisés comme il le faudrait… Plus aucune région ne semble épargnée
Dans la grande famille des champignons, on en compte de toute sorte. Mais la mérule est de loin le plus redoutable pour le bâtiment. À en croire les experts, elle serait capable de mettre à terre une maison en moins de deux ans lorsqu’elle bénéficie de conditions propices. Patrick Laurent, mycologue et expert judiciaire, résume ces conditions : « de l’humidité, de l’obscurité pour permettre aux spores de germer et surtout, le confinement ». Trois ingrédients, ni plus, ni moins, mais le mélange est détonnant. Car une fois apparue, la mérule va grignoter méthodiquement tous les bois du bâtiment en se nourrissant de leur cellulose. Installé, le champignon reste difficile à déloger : même lorsque la fuite ou la malfaçon sont réparées, le privant d’apport en eau, sa croissance est ralentie, mais il ne disparaît pas pour autant.
Un fléau qui gagne du terrain
Si la Serpula lacrymans ou mérule pleureuse a toujours existé, elle connaît un regain d’activité depuis deux décennies. En 2019, en se basant sur les chantiers de traitement réalisés en France, le FCBA, Institut technologique du bois, recensait près de 2 300 communes infestées, avec des régions, la Bretagne en tête, plus durement touchées. Pour Patrick Laurent, ces chiffres restent cependant très en dessous de la réalité. La SEMHV (Station d’études mycologiques des Hautes-Vosges), son laboratoire, a vu la demande d’analyses littéralement exploser en l’espace de quelques années. « Depuis 15 ans, les infestations de mérule augmentent de façon exponentielle. » Et contrairement à une croyance largement répandue, le champignon ne se rencontre pas seulement dans le quart nord-ouest de l’hexagone. Bien sûr, la façade ouest « de Bordeaux à Dunkerque » reste plus exposée en raison de son climat, mais aucun territoire ne semble épargné. Dans son agenda pour les semaines à venir, Patrick Laurent évoque des expertises judiciaires au Puyen-Velay, en Savoie, en Lorraine… Et parfois encore dans des endroits plus inattendus que l’on pensait épargnés, comme la Corse ou Monaco.
Un fléau qui profite de la rénovation
Pourquoi cette mérule, connue depuis des siècles, prospère aujourd’hui ? Pour Patrick Laurent, l’explication est à rechercher dans les normes de construction qui ont considérablement évolué au cours des dernières années. Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Plus on isole, plus le bâtiment est confiné, plus on favorise la condensation, plus les conditions deviennent propices au développement du champignon. Et cela vaut dans le neuf comme dans l’ancien. « Les normes sur l’isolation ont fait beaucoup de mal, d’autant que la RT 2012 a souvent été mal appliquée. » L’expert en mycologie évoque par exemple des maisons cubiques construites avec une ventilation insuffisante ou un défaut d’étanchéité dans la toiture plate. Parfois, il n’en faut pas davantage à la mérule pour germer et se développer. Cela vaut aussi pour l’ancien, où la rénovation énergétique peut parfois faire plus de mal que de bien. Exemple ? Le mur en briques ou en pierres isolé avec un placage en polystyrène, sans aucune lame d’air. Un cas d’école pratiquement. « Nos matériaux modernes ne sont pas forcément adaptés au bâti ancien, poursuit Patrick Laurent qui rappelle une règle toute simple : Lorsqu’on concentre la chaleur dans un bâtiment, on concentre aussi l’humidité. » Et si la maison est dépourvue de ventilation ou même si la VMC sous-dimensionnée — ce qui arrive fréquemment — ne permet pas de renouveler l’air correctement, il existe un risque. « Un humain dégage en moyenne trois litres d’eau par jour », rappelle volontiers notre expert. Pour une famille, en ajoutant la vapeur dégagée par les autres activités humaines, on arrive très vite à 15-20 litres. « Si on ne permet pas à l’eau de sortir, à un moment ou un autre, on aura forcément des problèmes, des moisissures ou des champignons, sans qu’il s’agisse forcément d’une mérule. »
Un fléau qui laisse les propriétaires désemparés
Malheureusement, la mérule reste souvent invisible aux yeux d’un profane. On l’a dit, le vorace champignon n’apprécie guère la lumière et affectionne tout particulièrement les endroits confinés et non ventilés comme les doublages d’un mur, les caves, les vides sanitaires… Regrettablement, lorsque l’infestation apparaît aux yeux du propriétaire, les dégâts sont déjà considérables et la facture peut très vite atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros. Car le traitement pour éradiquer la mérule est lourd, extrêmement lourd : il faudra vider la maison, mettre à nu la maçonnerie, traiter les murs par injection, éventuellement remplacer les bois trop endommagés… L’infestation est souvent vécue comme un drame. « Depuis 12 ans, j’ai souvent fait l’assistant social. Des gens s’effondrent parfois. » Les propriétaires sont d’autant plus désemparés que les assurances ne veulent pas en entendre parler. Lorsque le champignon est le résultat d’un défaut de conception, dans une rénovation ou une construction neuve, le propriétaire a bien sûr la possibilité de faire jouer la garantie décennale de l’entreprise qui est intervenue. Mais si la mérule est née à la suite d’une fuite, l’indemnisation se révèle plus compliquée : les assureurs refusent souvent leur prise en charge, estimant que le parasite est d’abord le résultat d’un mauvais entretien ou d’une négligence. Un sinistre peut en cacher un autre, les propriétaires victimes d’infestation se retrouvent alors à batailler, parfois durant des années, afin d’être indemnisés.
LÉGISLATION
La réglementation existante
C’est presque un no man’s land. Pas de normes, pas de certification obligatoire pour les professionnels qui interviennent… En 2014, la loi Alur a instauré une information mérule obligatoire en cas de vente. Si le bien se trouve dans une zone d’infestation définie par arrêté préfectoral, le vendeur doit communiquer l’information au moment de signer l’acte de vente. En pratique, bientôt dix ans après la loi, cette information peut paraître désuète. On recense à peine quelques dizaines de communes en France placées en zone d’infestation mérule. Et encore, le plus souvent, la zone définie par arrêté se cantonne à quelques parcelles cadastrales, alors que la mérule et ses spores n’ont que faire de telles limites. Seul le Finistère fait aujourd’hui exception. Le préfet du département a imposé une information mérule à l’ensemble des communes.