L’encadrement des loyers Pré-bilan d’un dispositif contesté

ANALYSE L’encadrement des loyers est une tentation forte de ceux qui s’imaginent pouvoir palier ainsi l’échec d’une politique du logement. Dans moins de deux ans, le gouvernement français devra présenter un bilan de l’expérimentation en cours depuis la promulgation de la loi ELAN qui l’a mis en place.

 

Le contexte actuel

Le dispositif d’encadrement des loyers a été instauré à titre expérimental, et sollicité par plusieurs villes ou communautés de communes dans lesquelles il s’applique à présent : c’est le cas de Paris, Lille, Hellemmes et Lomme dès juillet 2019, la communauté de communes d’Île-de-France « Plaine Commune » en juin 2021, puis Lyon et Villeurbanne en novembre 2021, la communauté de communes d’Île-de-France « Est Ensemble » en décembre 2021, et Montpellier et Bordeaux en juillet 2022. Enfin la loi 3DS du 21 février 2022 a ouvert une nouvelle période pendant laquelle les collectivités en charge de l’habitat pouvaient l’intégrer : c’est ainsi que la communauté d’agglomération Côte Basque Adour, soit 44 communes dont Bayonne et Biarritz, ainsi que la métropole de Grenoble ont obtenu l’accord de rejoindre l’expérimentation… mais le préfet n’a pas encore pris l’arrêté fixant les loyers de référence. Il semblerait que d’autres villes ou collectivités aient postulé, mais à moins de deux ans de faire le bilan, il ne serait pas sérieux de les y autoriser, car il serait impossible de faire un bilan sur moins de deux ans d’expérimentation : par définition, il ne s’agirait donc pas d’une expérimentation ! Il s’agirait de Marseille, Annemasse et Cergy et l’intercommunalité de Grand- Orly Seine Bièvre. De la même façon, sera-t-il possible de faire un bilan pour la côte basque et la métropole de Grenoble avec moins de deux ans d’expérimentation ? Poser la question, c’est donner la réponse.

 

La conception du dispositif

Le dispositif a été conçu dans le secret des cabinets ministériels, ou peut-être dans un cabinet secret ? Toujours est-il que les points les plus importants de l’article 140 de la loi ELAN qui instaure ce dispositif sont, à mon avis, les trois suivants dont j’ai mis en gras les mots les plus importants :

> Pour chaque territoire ainsi délimité, le représentant de l’État dans le département fixe, chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logements et par secteur géographique.

> Au plus tard six mois avant son terme, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de cette expérimentation.

> Chaque loyer de référence est égal au loyer médian calculé à partir des niveaux de loyers constatés par l’observatoire local des loyers selon les catégories de logements et les secteurs géographiques.

Pour satisfaire au premier point ci-dessus, l’arrêté pris par M. le Préfet de la Gironde fixant les loyers de référence pour la période du 15 juillet 2023 au 14 juillet 2024, pour la ville de Bordeaux, a été publié le 20 juin 2023, dont voici l’extrait pour les appartements de la zone 1 qui concerne le secteur géographique le « plus cher », celui de l’hyper centre de Bordeaux : 

Un autre tableau du même type est en annexe II de l’arrêté pour les loyers de référence des maisons. Une analyse rapide d’autres textes et des différentes valeurs permet de constater que les loyers de références des logement loués meublés correspondent à celui des logements loués non meublés majorés de 13 %, et que le même taux de majoration est appliqué pour les loyers des maisons par rapport aux appartements.

Magnifique résultat de la statistique administrative ! Mais peut-être s’agit-il simplement d’une insuffisance de données qui a conduit à calculer un coefficient pour la seule zone où leur nombre était suffisant, et à l’étendre à l’ensemble des cas ? Car il y a en tout 32 cas pour la seule ville de Bordeaux (2 types d’habitat pour « maisons » et « appartements »), 4 zones géographiques et 4 périodes de construction (avant 1946, de 1946 à 1970, de 1970 à 1990 et après 1990), et pour Paris il y a plus de 100 cas, car il y a 14 zones géographiques.

Le second point précise qu’il y aura donc « un rapport d’évaluation de cette expérimentation. » Nous ne l’attendons pas avec impatience, car les « études » que nous voyons publier de temps à autre montrent clairement l’orientation de ces évaluations, et la manière dont elles ont été élaborées. Il s’agit d’études orientées.

Le 3e point précise donc : « chaque loyer de référence est égal au loyer médian calculé à partir des niveaux de loyers constatés par l’observatoire local des loyers selon les catégories de logements et les secteurs géographiques. » Ainsi les périodes de construction ne seraient pas prises en compte ?

Et le tableau nous indique donc par exemple les valeurs suivantes pour les logements loués vides (non meublés) dans l’hyper centre de Bordeaux :

 

Tous les agents immobiliers, tous les propriétaires bailleurs, toutes les personnes qui connaissent un peu le domaine de la location des logements vous diront que ces valeurs sont aberrantes et ne correspondent pas du tout au marché locatif Bordelais : vous ne trouverez aucun studio de 10 m² loué moins de 181 € par mois à Bordeaux, or, il devrait y en avoir autant que de studios de 10 m² alloués plus de 181 € puisque 181 € représenterait le loyer médian. Médian : c’est-à-dire qu’il y a autant de studios loués moins cher que de studios loués plus cher ! En fait il n’y a aucun studio de 10 m² loué moins de 200 € par mois à Bordeaux. Et vous ne trouverez aucun studio de 40 m² loué non meublé plus de 724 €/ mois. AUCUN ! Alors que vous devriez en trouver autant que ceux loués moins de 724 €.

Et il ne s’agit pas là d’un cas isolé : les autres loyers de référence fixés par les arrêtés des préfets des départements pour les autres villes concernées font apparaître les mêmes aberrations.

De la même façon, un logement « deux pièces » étant plus confortable qu’un logement « une pièce », simplement du fait que la chambre est séparée de la partie jour, à surface égale, se louera plus cher qu’un logement « une pièce ». C’est un fait.

Nous avons donc un arrêté basé sur de fausses valeurs : il n’est donc pas étonnant que fleurissent les litiges pour des loyers dont les locataires considèrent qu’ils sont trop élevés. Les loyers médians sont faux : il ne s’agit pas de loyers médians. Il s’agit de loyers fixés sans aucune base réelle, dans la seule intention de faire baisser les loyers. Cependant, pour ceux qui douteraient encore, il est intéressant de regarder les loyers collectés.

 

La collecte des données

Les observatoires locaux des loyers sont chargés par la loi de collecter les loyers des logements privés afin de faire des statistiques. Il s’agit là d’une très bonne chose ; il est toujours bon d’avoir des chiffres incontestables qui pourront être à la base de constats partagés.

La collecte est donc réalisée auprès des administrateurs de biens, qui sont obligés par la loi de transmettre les données des logements qu’ils gèrent lorsque l’observatoire est agréé par l’État. C’est donc ainsi moins de la moitié des logements locatifs privés qui sont observés, ou peut-être seulement un tiers selon certains connaisseurs du sujet ; par contre les logements gérés directement par leurs propriétaires ne sont pas collectés, ou très partiellement via des enquêtes réalisées par téléphone auprès des locataires ou des propriétaires : ce mode de collecte n’est pas à même de garantir la qualité des données, mais il ne représente que 5 % des données collectées… alors que le nombre de logements en gestion directe est plus important que celui en gestion déléguée ! Est-ce que l’échantillon collecté est représentatif de la population observée ?

L’examen attentif de ces données permet de constater que plusieurs types de logements régis par un statut particulier sont pris en compte dans ces statistiques, parmi lesquels les logements conventionnés ANAH ou ceux faisant l’objet d’un programme de défiscalisation de type Scellier, Pinel ou autre… Or, pour ces logements, le loyer constitue bien le prix payé par le locataire, mais ce prix n’a été consenti par le bailleur qu’en contrepartie de différents avantages parmi lesquels un abattement sur le montant imposable, une réduction d’impôt, ou/et d’autres faveurs… C’est donc l’État qui paye le « complément » de loyer au bailleur via ces avantages, et ce complément, bien réel, n’est pas pris en compte dans le montant du loyer collecté. Or les caractéristiques de ces programmes font que ces logements appartiennent souvent à des bailleurs habitant loin de ceux-ci, et sont presque tous gérés par des administrateurs de biens, et donc tous pris en compte dans les statistiques des observatoires des loyers, si bien qu’ils viennent minorer fortement les loyers pris en compte dans les statistiques. Nous avons donc là un biais très important dans la collecte, qui fait que les loyers médians sont fortement sous-estimés.

Les observatoires des loyers font ensuite des statistiques sur la base de ces données : la variable prise en compte est le loyer exprimé en €/m2. Cette variable est tout à fait légitime pour décrire très sommairement une population de logement pour leur caractéristique « loyers », par exemple le loyer médian des logements « une pièce » d’une zone définie, et le comparer à celui d’une autre zone. Par contre, cette variable est tout à fait inadaptée pour prédire le loyer d’un logement : cela est dû au fait que le loyer n’est pas une fonction indépendante de la surface, car un logement comprend des équipements coûteux tels que la salle de bain et la cuisine : un studio de 12 m² avec douche, WC et coin cuisine se louera bien plus cher qu’une chambre de bonne de 12 m² dépourvue de ces éléments de confort, et pourtant le loyer de référence qui s’applique est le même !

 

Conclusion

Le dispositif d’encadrement des loyers a été conçu pour faire baisser les loyers. C’est un drame pour les locataires les plus modestes, habitant les logements les moins chers : les petits studios loués 400 €/mois. En effet, les propriétaires n’accepteront pas de baisser les loyers de plus de 150 €/mois et les vendront car ils en ont besoin de ces 400 € pour compléter une retraite trop faible.