La publicité foncière et sa réforme du 19 juin 2024

ANALYSE — La publicité foncière est l’ensemble des règles relatives à la publicité des droits réels portant sur des immeubles. L’article 710-1 du Code civil, modifié par l’ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 et qui entrera en vigueur au plus tard le 31 décembre 2028, la définit comme « l’opération par laquelle l’état des droits réels portant sur les immeubles est rendu public, à des fins d’opposabilité aux tiers ou d’information ». Par Maître Nicolas Forest, notaire associé 1629 NOTAIRES

La publicité foncière peut être entendue large, elle désigne la publicité de la plupart des droits réels (ou de certains droits personnels) portant sur un immeuble. Dans un sens étroit, elle désigne la publicité des droits autres que ceux réels accessoires, c’est-à-dire les hypothèques qui font l’objet d’une inscription. Le but de la publicité foncière est d’assurer la sécurité du commerce immobilier. La publicité foncière apparaît d’autant plus nécessaire que notre système juridique pose en principe que le transfert de propriété s’opère par le seul échange des consentements. La convention des parties est seulement connue des contractants et par voie de conséquence les tiers l’ignorent. Or, il est indispensable que les tiers aient la possibilité de connaître le statut juridique d’un immeuble, ne serait-ce que pour sauvegarder leurs droits. D’occultes, les conventions deviennent publiques. Mais les tiers, une fois qu’ils ont été mis en mesure de connaître ces différents droits, seront aussi tenus de les respecter, car ils leur seront opposables. La publicité foncière joue un rôle important de protection. Les candidats à l’acquisition immobilière ou les futurs créanciers munis de sûretés immobilières ont intérêt à connaître l’ensemble des droits réels grevant un ou plusieurs immeubles déterminés. Par exemple, un acquéreur doit être en mesure de savoir si son vendeur est le véritable propriétaire de l’immeuble et de vérifier si ce dernier n’est pas grevé de droits réels. Elle apporte un important élément de sécurité et de rapidité dans les transactions. De même, le créancier, souhaitant se faire consentir un droit réel accessoire sur un immeuble, a besoin de savoir s’il existe des hypothèques antérieures à sa garantie, car ces dernières primeront son droit de préférence.

 

Histoire de la publicité foncière

L’existence d’une publicité foncière complète dans notre système juridique est relativement récente, puisqu’elle date seulement du décret du 4 janvier 1955. Son apparition est pourtant plus ancienne.

 

Publicité foncière en droit romain

La publicité foncière n’était pas apparue nécessaire dans les droits formalistes, comme le droit romain. Ce droit connaissait des modes spéciaux de transfert de la propriété, comme la mancipio, l’in jure cessio et la traditio. Ces modes de transfert permettaient l’organisation d’une certaine forme de publicité qui empêchait une totale clandestinité. La mancipio avait des témoins, l’in jure cessio se faisait devant un magistrat. Les tiers avaient une possibilité de connaître le transfert de la propriété immobilière. Mais peu à peu, le droit romain a admis des transferts symboliques de la possession. Cette évolution sera consacrée par les codifications de Justinien.

 

Publicité foncière dans l’ancien droit

L’ancien droit français a commencé originairement par connaître un système similaire, que ce soit dans les pays de coutumes ou dans ceux de droit écrit. Il en résultait d’importants dangers. Celui qui achetait un immeuble n’était jamais sûr d’en devenir propriétaire. Contrairement aux apparences, le système de l’ancien droit ne donnait pas de mauvais résultats. Les opérations immobilières, peu fréquentes, se passaient à l’échelon local et le plus souvent les notaires connaissaient la situation juridique de l’immeuble.

Toutes les tentatives royales pour instaurer un système général de publicité furent un échec. La noblesse s’y opposa toujours. Elle craignait que les hypothèques grevant leurs biens immobiliers soient révélées. La tentative de Colbert, par un édit de 1673 qui fut rapporté en 1674, d’instaurer la publication des hypothèques dans les présidiaux et les bailliages le démontre. Mais sur quelques points précis, certaines tentatives furent des succès. L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 réussit à imposer la publicité des donations qui prit le nom d’insinuation des donations.

 

Publicité foncière en droit révolutionnaire

La publicité foncière est véritablement apparue, du moins dans sa forme moderne, avec le droit révolutionnaire au travers de deux grandes lois relatives à la publicité foncière, celle du 9 messidor an III et celle du 11 brumaire an VII. Il existe également une loi du 21 ventôse an VII qui a organisé les conservations des hypothèques, en prévoyant par exemple la responsabilité du conservateur des hypothèques, la nécessité d’avoir un cautionnement en faveur des usagers ou leur rémunération. Avec le Code civil, on a assisté à une régression de la publicité foncière. Le principe de l’inscription des hypothèques a été maintenu. Mais le Code civil a rétabli des hypothèques légales générales dont les deux plus importantes étaient dispensées de publicité.

 

Refonte du droit de la publicité foncière issue du décret du 4 janvier 1955

Après la Seconde guerre mondiale, il fut nécessaire de refondre l’intégralité du droit de la publicité foncière, ce qui fut fait par le décret du 4 janvier 1955 qui tend à améliorer l’organisation de la publicité. Les actes à publier doivent permettre une identification précise des personnes parties à l’opération de publicité et des immeubles qui en sont l’objet. Elle a créé un fichier immobilier destiné à centraliser les renseignements. Ce fichier comporte des fiches personnelles et des fiches d’immeubles. Il est désormais possible de connaître l’ensemble des formalités qui ont été effectuées dans une conservation des hypothèques par une personne ou toutes celles qui l’ont été pour un immeuble déterminé. Le classement des documents est désormais plus sûr. On assiste alors à un développement du domaine de la publication. L’extension a été importante pour les privilèges et les hypothèques, puisque les hypothèques légales, jusque-là non soumises à publicité, y sont désormais soumises et que de nombreux privilèges immobiliers ont été transformés en hypothèque légale. En dehors de ce domaine, la liste des actes soumis à publicité a été augmentée.

 

Publicité foncière après le décret du 4 janvier 1955

Le bordereau hypothécaire normalisé est introduit dans une convention du 27 novembre 1990 signée entre la direction générale des impôts et le notariat. En contrepartie de l’informatisation des bureaux des hypothèques et d’une possibilité de télé-information, la profession notariale s’était engagée à présenter de manière normalisée les documents à publier à la conservation des hypothèques. La DGI a préparé le projet Télé@ctes dès décembre 2005, en partenariat avec le Conseil supérieur du notariat. Son objectif consistait dans une dématérialisation de tous les échanges entre les notaires et la Conservation des hypothèques. Une ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 vient enfin remettre en cause une institution séculaire du droit de la publicité foncière, à savoir les conservateurs des hypothèques.

 

La réforme de la publicité foncière par l’ordonnance du 19 juin 2024

La publicité foncière avait incontestablement vieilli. Un rapport remis au garde des Sceaux le 12 novembre 2018 intitulé « Pour une modernisation de la publicité foncière » proposait de l’adapter aux réalités contemporaines. Prenant acte de cette nécessité, la loi du 20 novembre 2023 a autorisé le Gouvernement à modifier par voie d’ordonnance le droit de la publicité foncière. Tel a été le cas avec l’ordonnance du 19 juin 2024. Le rapport au Président de la République en précise l’objectif. Il ne s’agit pas « de remettre en cause les principes fondateurs de l’actuel système de publicité foncière ou d’en bouleverser le fonctionnement. Il s’agit plutôt de lui offrir un régime modernisé, simplifié et rationnalisé, par la création d’une théorie générale de la publicité foncière, codifiée dans le code civil, afin d’améliorer son accessibilité et de renforcer son efficacité juridique ». L’ordonnance du 19 juin 2024 n’opère pas de véritable révolution : on peut plutôt parler de changement dans la continuité. L’un des objectifs consiste à simplifier et à moderniser le langage utilisé pour rendre le droit de la publicité foncière plus accessible. L’ordonnance doit être complétée par des décrets qui donneront à la matière sa véritable physionomie. L’entrée en vigueur est fixée à la date de publication de son décret d’application, et au plus tard le 31 décembre 2028. Cette ordonnance entend apporter un socle commun aux différentes règles de publicité foncière. Le livre 2 titre V du Code civil comprend un chapitre 1er intitulé « principes généraux de la publicité foncière » On y retrouve le principe de l’authenticité pour pouvoir publier et celui dit de l’effet relatif. Elle met aussi en avant le rôle informatif de la publicité foncière. L’article 710-6 du Code civil pose le principe suivant lequel toute personne peut obtenir les informations détenues par le service chargé de la publicité foncière.

 

Caractères de la publicité foncière

Caractère obligatoire

L’ordonnance du 19 juin 2024 pose le principe du caractère obligatoire de la publicité. Mais il l’assortit de plusieurs exceptions qui restent pour l’essentiel celles existant actuellement.

Sanctions du défaut de publicité

Trois catégories de sanctions sont envisageables. Il est possible en premier lieu de sanctionner financièrement la personne qui aurait dû procéder à la publication. Le décret du 4 janvier 1955 avait prévu comme l’une des sanctions du défaut de publicité obligatoire une amende civile dont le montant, cinquante francs, étaient devenu dérisoire. Comme elle n’était plus recouvrée, la loi du 6 avril 1998 l’a supprimée. La personne n’ayant pas effectué la publication pourra être sanctionnée sur le terrain de la responsabilité délictuelle pour faute. Mais cette sanction a nécessairement une portée relativement réduite, puisqu’elle nécessite qu’un tiers démontre que le défaut de publicité lui a causé un préjudice. La seconde catégorie de sanctions consiste à réduire l’efficacité de l’acte ou du jugement. Le défaut de publicité ne peut pas jouer entre les parties à l’acte qui n’a pas été publié au service de la publicité foncière. Si l’on reprend l’exemple de la vente, il est certain que l’acquéreur est devenu propriétaire par le seul échange des consentements. De ce point de vue, la publicité n’ajoute rien à son droit, puisqu’elle ne lui confère pas un titre inattaquable. En revanche, on peut réduire, par l’utilisation de l’opposabilité, le rayonnement de l’acte. Cette sanction s’harmonise en grande partie avec le fondement de la publicité foncière. Elle tend à l’information des tiers. Ces derniers, tant qu’ils n’ont pas été mis en situation de connaître une information relativement à un droit réel immobilier, ont légitimement la possibilité de l’ignorer. L’ordonnance du 19 juin 2024 adopte également le principe de l’inopposabilité des actes ou des jugements non publiés. Il est enfin possible de sanctionner indirectement le défaut de publicité par la règle de l’effet relatif de la publicité foncière. En vertu de ce principe, aucune publication ne pourra être effectuée au service de la publicité foncière par un ayant cause quelconque, si le titre de son auteur n’a pas été au préalable publié. Cette règle est assez incitative, car le défaut de publicité débouche parfois à terme sur un risque de blocage et de paralysie du bien immobilier. Par exemple un héritier a tout intérêt à publier l’attestation notariée, s’il désire aliéner un ou plusieurs immeubles dépendant de la succession.

 

Caractère public

Droit à l’information

Tout système de publicité joue nécessairement un rôle d’information. Le droit de la publicité foncière ne déroge pas à ce principe. Les tiers doivent pouvoir avoir connaissance des différents renseignements relativement à un immeuble déterminé. Toute personne a la possibilité de connaître les différentes informations qui ont été publiées dans un service de la publicité foncière. Elle n’a pas à justifier d’un intérêt particulier. Mais en pratique, les requérants ont presque toujours un intérêt à connaître la situation juridique d’un immeuble. Par exemple, le candidat à une acquisition immobilière veut savoir si l’immeuble qu’il se propose d’acheter est hypothéqué ou un créancier hypothécaire cherche à être informé du rang de sa sûreté. Cette information se conçoit de deux manières différentes : les tiers vont consulter directement les différents documents ou ils demandent des copies ou des extraits des différents actes publiés. Le droit français de la publicité foncière a choisi le second système, celui des réquisitions écrites. Le premier risquerait d’entraîner des détériorations ou des pertes de documents. La publicité est quérable.

Principe du libre accès

Ce principe du libre accès à la publicité est posé par l’article 2443 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Selon cette disposition, « les services chargés de la publicité foncière sont tenus de délivrer, à tous ceux qui le requièrent, copie ou extrait des documents, autres que les bordereaux d’inscription, qui y sont déposés dans la limite des cinquante années précédant celle de la réquisition, et copie ou extrait des inscriptions subsistantes ou certificat qu’il n’existe aucun document ou inscription entrant dans le cadre de la réquisition. Ils sont également tenus de délivrer sur réquisition, dans un délai de dix jours, des copies ou extraits du fichier immobilier ou certificat qu’il n’existe aucune fiche entrant dans le cadre de la réquisition ». Le service compétent pour recevoir les demandes sera normalement celui de la situation de l’immeuble.

Caractère civil

La réforme de la publicité foncière par l’ordonnance du 19 juin 2024 permet à la publicité foncière de faire son retour dans le Code civil. Les dispositions relatives à la publicité foncière se retrouvent à deux endroits distincts dans le Code civil.