PERSPECTIVES — Vénérée dans le monde entier pour ses vins, la préfecture de la Gironde, en grande partie classée par l’Unesco au patrimoine mondial, bénéficie d’un pouvoir de séduction justifié, tant sa qualité de vie, son dynamisme économique et la qualité de son urbanisme sont exemplaires. Après une folle hausse des prix de son immobilier en 20 ans, son marché semble parvenu à maturité.
Par Laurent Caillaud, Savana Media
Le 28 juin 2007 est l’une des dates les plus importantes de l'histoire contemporaine de Bordeaux. A Christchurch (Nouvelle-Zélande), l’Unesco a en effet inscrit « Bordeaux, Port de la Lune » sur la liste du patrimoine mondial. Ce surnom de Port de la Lune date du Moyen-Âge, il provient de la forme de croissant que décrit la Garonne lorsqu’elle traverse la ville et que l’on retrouve sur son blason. Les 1 810 hectares – soit 40 % de la superficie de Bordeaux intra-muros – ainsi classés comprennent le fleuve, les façades historiques de ses quais et un secteur sauvegardé comptant plus de 350 monuments historiques. À l’époque, jamais la commission du patrimoine mondial n’avait encore distingué un ensemble urbain de cette ampleur. Mais en une génération, notamment sous l’impulsion d’Alain Juppé qui en fut maire de 1995 à 2019, Bordeaux venait de passer du statut de belle endormie de province à celui de métropole moderne, dynamique, au patrimoine architectural sublimé.
Subitement placée sous le feu des projecteurs, l’ancienne capitale de la Gaule aquitaine rappela soudain au monde entier qu’elle méritait l’attention pour autre chose que son vin ! Résultat, les Français, (re)découvrirent ses charmes, son art de vivre… et son marché immobilier à prix d’ami ! Une passion bordelaise qui eut un effet radical, la flambée du mètre carré. « Avant 2005, en plein centre de Bordeaux, vous trouviez pléthore de petits logements à 1 000 €/m², là où aujourd’hui ces mêmes logements se vendent entre 5 000 et 7 000 €/m², explique Denis Jacques, président de l’UNPI Bordeaux, Gironde et Dordogne et président de la commission UNPI France Baux d’Habitation. L’augmentation des vingt dernières années est en fait multifactorielle. Les très importants travaux de rénovation et d’infrastructure entrepris en 25 ans ont donné de nombreux atouts à la ville. À commencer par le ravalement des façades des immeubles en pierre, la création du tramway, les plans de circulation, la rocade à 2x3 voies, l’extension de l’aéroport, la fin du tracé de la LGV entre Tours et Bordeaux en 2017 et les grands chantiers urbains comme Bordeaux Lac ou Bacalan, dont certains sont toujours en cours. » Les prix ont commencé à augmenter dès 2003, du fait d’une très forte demande et d’une offre qui peinait à se développer. Les débuts de la hausse ont attiré l’attention sur la ville, amenant une nouvelle clientèle d’investisseurs à la recherche de biens patrimoniaux de qualité promis à une cote solide. Ce qui n’a fait qu’accélérer la fièvre acheteuse, entraînant une spirale de montée des prix au mètre carré.
Une différence de prix notable selon les quartiers
Comment se présente le marché immobilier résidentiel bordelais en cette fin 2024 ? « Le marché se montre actif, poursuit Denis Jacques, même s’il se caractérise par une offre de logements à vendre assez abondante. » Alors que le marché national est atone, avec une chute de 20 % du volume de ventes en un an selon les Notaires de France (à fin août 2024), Bordeaux semble résister grâce à son attractivité. L’agence Lalanne Immobilier annonçait ainsi des ventes en baisse de 6,7 % au premier semestre, ce que nombre de professionnels envieraient dans d’autres départements ! Côté prix, il semble que la course au toujours plus cher se soit arrêtée net entre 2023 et 2024, avec une quasi-stabilité affichée, même s’il faudra attendre le printemps 2025 pour bénéficier de statistiques annuelles fiables sur l’année en cours. Il va de soi que la différence est notable entre les quartiers, de 3 009 à 5 963 €/m² en moyenne selon SeLoger. Avec en tête de liste les stars que sont le triangle d’or autour de l’église Notre-Dame, l’Hôtel de Ville, le Jardin Public, les Chartrons, Pey-Berland, la place des Quinconces, Nansouty, le Parc Bordelais et Caudéran, dont les prix peuvent grimper autour de 7 000 €/m² pour les biens d’exception. À noter, Bacalan, dont la renaissance est le fruit des grands travaux entrepris sous les mandatures d’Alain Juppé, a rejoint le rang des valeurs sûres, à 4 965 €/m² en moyenne en novembre 2024 selon MeilleursAgents.
La vigilance est de mise avant un investissement locatif
L’activité locative résidentielle paraît en revanche freinée depuis le 15 juillet 2022 par l’entrée en vigueur de l’encadrement des loyers, selon un mécanisme adopté par d’autres grandes villes françaises comme Paris, Lyon ou Montpellier, qui appliquent elles aussi un plafond par mètre carré. Selon le site Pap.fr, pour un logement de 5 pièces de 120 m² construit avant 1946 situé rue Dublan (quartier Capucins/Victoire), le loyer ne doit pas dépasser 1 584 €/mois s’il s’agit d’un appartement vide, 1 788 €/mois s’il s’agit d’un appartement meublé, 1 776 €/mois s’il s’agit d’une maison louée vide et 2 004 €/mois s’il s’agit d’une maison louée meublée (plus d’infos sur Simulateur-loyer.bordeaux-metropole.fr). Des loyers certes assez élevés mais qui butent contre les prix de vente, désormais classés parmi les plus élevés de France. Cette mesure dont la portée sociale n’échappe à personne demande aux investisseurs locatifs de bien calculer la rentabilité supposée d’un bien avant un potentiel achat. Un léger bémol qui ne suffira pas à entamer sur le long terme l’insolente vigueur d’un marché ancré dans ce que – depuis le XVIIIe siècle – l’on appelle la pierre de Bordeaux !
« Mieux vaut investir dans la métropole bordelaise »
ÉCLAIRAGE — Il peut être hasardeux d’envisager un investissement locatif dans une ville dont les loyers sont plafonnés. Les explications de Denis Jacques, président de l’UNPI Bordeaux, Gironde et Dordogne et président de la commission UNPI France Baux d’Habitation.
Quelles sont les premiers sujets que vous font remonter vos adhérents ? Leurs principales questions ?
Denis Jacques : L’encadrement des loyers, qui est un sujet de préoccupation important. En particulier pour les logements de petites surfaces, essentiellement les studios et les T2, dont le loyer devrait baisser de façon importante, rendant la location impossible ! Il faudrait en effet baisser le loyer d’un studio de 15 m² à moins de 350 € hors charges par mois, ce qui ne permet pas d’entretenir le bien.
La métropole bordelaise n’est-elle pas, ou plus, une destination à suivre pour l’investissement immobilier résidentiel ?
Bordeaux est caractérisée par un marché de la location omniprésent, avec une part de 60 % de logements locatifs. Mais la ville intra-muros est aujourd’hui trop chère pour un nouvel investissement immobilier, d’autant plus que la probabilité de hausse des prix de vente devient très faible et que les loyers baissent en euros constants depuis plus de 10 ans du fait de la réglementation et de la mise en place de l’encadrement des loyers.
Quel est le meilleur secteur de la région, hors Bordeaux même, où réaliser un investissement locatif dans une petite surface ?
Le reste de la métropole bordelaise paraît bien plus intéressant, avec des prix d’achat plus bas, des services de même niveau, un marché locatif aussi dynamique et des loyers très proches. Il faut avoir présent à l’esprit que Bordeaux est une petite ville comparée à son agglomération. Il y a 255 000 habitants à Bordeaux ville, soit un tiers de l’agglomération qui compte plus de 750 000 habitants. Des chiffres que l’on peut comparer à ceux de Nantes, dont la population représente la moitié de celle de l’agglomération. D’autres villes de l’agglomération bordelaise sont donc plus attractives pour l’investissement locatif, en particulier à l’ouest. Il s’agit notamment de Pessac, Gradignan, Talence et Mérignac, avec une très forte concentration d’étudiants et d’entreprises.
La pandémie de COVID-19 avait entraîné un afflux d’habitants de la région parisienne – et plus généralement du nord de la France – vers Bordeaux. Cela a-t-il eu un impact sur le marché immobilier ? Existe-t-il toujours aujourd’hui une demande de la part de familles venant d’autres villes ou régions ?
Il y a eu un léger afflux de Parisiens aisés, mais finalement limité en nombre car ils ne sont pas si nombreux à pouvoir faire la navette toutes les semaines, ou à pratiquer uniquement le travail à distance. Cela a tiré les prix des biens haut de gamme vers le haut mais a peu affecté les prix du marché plus courant.
La généralisation du télétravail depuis 2020 a-t-elle amené certains Bordelais à quitter le centre-ville et la première couronne pour aller s’installer en périphérie, notamment sur le Bassin d’Arcachon ?
Le développement du télétravail a probablement amené les personnes qui le pouvaient à passer plus de temps dans leur résidence secondaire sur le Bassin voire à y déménager, mais il n’y a pas eu de réelle migration car les prix y sont très élevés.
« Le marché du haut de gamme a de beaux jours devant lui »
ANALYSE — Si l’immobilier bordelais a marqué un temps d’arrêt en 2024, le segment du prestige a parfaitement tiré son épingle du jeu. L’analyse d’Aymeric Sabatié-Garat, directeur associé de BARNES (1) Bordeaux.
Comment se présente le marché haut de gamme bordelais en cette fin 2024 ?
Aymeric Sabatié-Garat : On considère que depuis 2010, Bordeaux a accueilli environ 50 000 nouveaux habitants, ce qui a entraîné une hausse soutenue des prix de l’immobilier jusqu’en 2018. Une tendance qui s’est relancée en 2021-2022, lorsque nous avons connu un afflux de familles parisiennes désireuses de bénéficier d’une réelle qualité de vie en mode post Covid-19. En 2023, les prix de l’ancien se sont toutefois régulés, en 2024 ils ont même légèrement reculé, en réponse à des taux d’intérêts élevés et une demande en baisse.
Quels sont les types de biens les plus recherchés dans le segment haut de gamme ?
Bordeaux est un manifeste architectural à ciel ouvert. Des hôtels particuliers du XVIIIe siècle aux immeubles Art nouveau du début du XXe, la pierre blonde bordelaise donne à la ville une étonnante unité. Les appartements XVIIIe, les échoppes, les maisons de plain-pied et les lofts sur les quais proposent une offre d’une variété difficile à égaler. Sans compter les villas contemporaines des communes limitrophes.
Quels prix faut-il compter dans le bel ancien ?
Plus que sa taille ou son prix, la qualité d’un bien vient de son emplacement. Un appartement rénové de 35 m², avec ascenseur et terrasse, dans le triangle d’or, proposé autour de 300 000 €, sera à juste titre qualifié de bel ancien ! Quelle que soit la surface, comptons à partir de 6 500 €/m² près du Parc bordelais, 6 800 €/m² pour le Jardin public et 7 300 €/m² dans le triangle d’or. Dans le quartier des Grands Hommes et du Jardin Public, les biens d’exception, s’ils sont situés à une adresse prestigieuse, avec ascenseur, terrasse ou vue sur un monument remarquable, peuvent se vendre entre 8 000 et 10 000 €/m². Des prix qui sont aujourd’hui stabilisés, sur un marché mûr et régulé.
En quoi la métropole de Bordeaux est-elle un bon choix pour un investissement dans l’immobilier ancien haut de gamme ?
Avec des appartements dont le prix au m² est 50 à 70 % moins élevé que celui de Paris, de nombreux Franciliens cherchent encore à louer ou investir à Bordeaux. Le marché immobilier bordelais a donc de beaux jours devant lui ! Bordeaux continuera en effet d’attirer grâce à sa qualité de vie et aux projets urbains en développement. Même si la mise en place récente de l’encadrement des loyers a – pour un temps – freiné l’investissement locatif. Nous avons par ailleurs remarqué en 2024 que de nombreux Français expatriés, préparant leur retour en France, s’intéressent à Bordeaux. Tout comme nous notons qu’il y a de plus en plus de clients étrangers qui se positionnent à l’achat de pied-à-terre. Les indicateurs sont donc positifs à moyen ou long terme.
« Bordeaux, un excellent choix d’avenir dans le neuf »
OPPORTUNITÉ — L’immobilier neuf répond à une demande qui ne cesse de se développer. L’avis de Gonzague Douniau, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) Nouvelle-Aquitaine.
En quoi la métropole bordelaise est-elle une option intéressante sur le plan de l’immobilier neuf ?
Gonzague Douniau : Bordeaux est une ville dynamique, agréable à vivre dans une région réputée pour son climat, pour la proximité de l’océan et de la montagne, à deux heures de Paris en train. La métropole cumule les atouts qui en font un excellent choix pour un investissement immobilier. A fortiori dans le neuf, gage de qualité et de bonne tenue à long terme.
Qu’en est-il de l’investissement locatif ?
Là encore, Bordeaux est un excellent choix d’avenir dans le neuf. Prenons l’exemple d’un quinquagénaire qui envisage d’acheter dans la région bordelaise pour y passer sa retraite dans une quinzaine d’années. Ce type de profil cherchera un bien, appartement ou maison, facilement louable et capable d’accueillir à terme sa famille selon sa taille. Or, Bordeaux propose une offre particulièrement diversifiée dans le neuf, qu’il s’agisse du centre ou de la périphérie. Autre cas de figure récurrent, celui de l’investisseur qui cherche avant tout à se constituer un patrimoine, pour sa retraite ou dans une optique de transmission. Les biens ciblés seront plutôt des petites surfaces, pour les louer à un étudiant, à des jeunes professionnels ou à un ménage sans enfant. Une démarche d’autant plus avisée que les nombreuses universités et écoles bordelaises stimulent la demande locative portant sur ces biens.
L’encadrement des loyers n’agit-il pas comme un frein dans le neuf ?
Il est évident qu’il constitue un frein au positionnement de certains investisseurs mais en achetant de façon avisée, on peut tabler sur une rentabilité comprise entre 3,5 et 4 %, ce qui est dans la moyenne française, avec un potentiel de revente assuré sur le long terme.
Les chiffres communiqués en novembre par la FPI (1) montrent un rebond de l’activité dans le neuf bordelais en 2024, après une année 2023 morose. Comment s’annonce 2025 ?
Plus que les prix, il convient de s’intéresser au volume de mises en vente, qui est encore trop faible par rapport à la dernière année de référence que fut 2019. Le marché sort en effet de quatre années désorganisées depuis la pandémie de COVID-19. L’immobilier neuf de la métropole bordelaise a été touché comme le reste du pays. Reste maintenant à repenser le modèle pour loger tous ceux qui en ont besoin dans leur parcours résidentiel, c’est-à-dire des étudiants, des jeunes actifs, des seniors et des familles avec enfants. Sans parler de la masse de logements sociaux qu’il est nécessaire de créer. La demande est donc présente à Bordeaux !