Amiante : des millions de tonnes dorment encore dans les bâtiments

ENQUÊTE - Plus de 25 ans après son interdiction, l’amiante continue à empoisonner les bâtiments. Aucun risque immédiat, tant que l’on n’y touche pas et tant que cet amiante ne se dégrade pas, mais encore faut-il savoir que l’immeuble ou la maison abrite de tels matériaux. 

Par Christophe Demay

 

L’amiante est interdit en France depuis 1997. Oui, ça commence à dater, et dans l’imaginaire collectif, on a parfois le sentiment que la question de l’amiante appartient au passé. Faux. C’est oublier qu’il a été glissé partout dans les constructions, en particulier celles de la deuxième moitié du XXe siècle.  

 

Magic mineral

Bon marché, résistant au feu, imputrescible, isolant, léger, le magic mineral était doté de très nombreuses qualités. On l’a utilisé dans les revêtements de sol, dans les toitures, dans les peintures, dans les joints des chaudières, dans les colles, dans les conduits de cheminée, les canalisations, les joints de fenêtres, etc. Résultats, tout ce qui sorti de terre avant 1997 est susceptible de contenir des matériaux et produits amiantés. Et plus d’un quart de siècle après l’interdiction de l’amiante, beaucoup de ces matériaux dorment encore dans les bâtiments. En quelles quantités ? Personne ne sait vraiment. Faute d’un recensement précis, il faut se contenter d’une grossière estimation : 20 millions de tonnes toujours en place dans le bâtiment, c’est le chiffre souvent avancé. L’ordre de grandeur reste cependant crédible aux yeux d’Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva, Association nationale de défense des victimes de l’amiante. « Les chiffres correspondent aux importations et à la production d’amiante d’après-guerre. Nous savons à peu près combien de millions de tonnes ont été introduites dans la construction, cela correspond à 80 kilos par habitant. Malheureusement, nous n’avons pas de visibilité sur ce qui a été retiré, nous ne savons pas combien il en reste, mais cela se compte en millions de tonnes. » Bien sûr, l’amiante n’est dangereux que lorsqu’il se détériore ou lorsque quelqu’un y touche. Justement. Puisque ces matériaux remontent à la fin du siècle dernier pour les plus récents, le risque de dégradation ne cesse d’augmenter. Alain Bobbio cite l’exemple des tôles en amiante fibrociment que l’on peut encore apercevoir un peu partout. Sous l’effet des intempéries, sous l’action de la végétation, ces matériaux perdent de leur intégrité au fil du temps et finissent par relâcher leurs fibres toxiques. 

 

La réglementation souvent bafouée

Face au risque amiante, la France s’est pourtant dotée d’une réglementation hyper protectrice avec des obligations de diagnostics en cas de vente, des Dossiers techniques amiante (DTA) dans les bâtiments tertiaires ou collectifs d’habitation, des évaluations périodiques des produits et matériaux contenant de l’amiante et aussi des repérages plus poussés en cas de travaux ou de démolition. Dès que le bâtiment a été construit avant 1997, à un moment ou à un autre, il doit être réalisé un repérage. Principe de précaution oblige. Malheureusement, entre la théorie et la pratique, il demeure un large fossé. Les DTA ne sont pas toujours réalisés, beaucoup ne sont jamais mis à jour et, avant des travaux, la réglementation reste souvent bafouée tout particulièrement sur les petits chantiers dans le résidentiel. Combien de diagnostics sont réellement effectués avant le changement d’une fenêtre ou le remplacement d’une vieille chaudière au fioul ? Alain Bobbio sourit : les particuliers ignorent souvent la réglementation, les artisans évitent parfois d’en parler parce qu’immanquablement cela alourdirait la facture et cela ferait fuir le client. « Le chauffagiste, l’électricien, le menuisier interviennent souvent en terrain inconnu sans avoir conscience du danger. Avec l’amiante, il n’existe pas de perception du danger immédiat, puisque des personnes peuvent déclarer une maladie 20 ans, 30 ans, et parfois davantage après avoir été exposées. » Résultat, plus de 25 ans après l’interdiction d’amiante, des personnes continuent à être exposées chaque jour. Sans le savoir. « Il faut bien comprendre que les fibres d’amiante ne se voient pas à l’œil nu, poursuit Alain Bobbio. Pour se faire une idée, une fibre en suspension dans l’air au niveau des voies respiratoires, met environ six heures pour redescendre au sol. » Tellement légère, tellement invisible, tellement nocive aussi. 

 

Lourd tribut

Chaque année, la population continue à payer un lourd tribut : l’Andeva recense encore 3.000 décès dus à l’amiante. Et l’hécatombe se poursuit. En 2015, le Haut Conseil de santé publique s’était livré à des estimations : de 68.000 à 100.000 décès causés par l’amiante jusque 2050, en France. L’amiante est donc encore loin d’appartenir au passé. On parle désormais autant de contaminations professionnelles que de contaminations environnementales. « Nous voyons aujourd’hui apparaître au sein de nos associations, une nouvelle génération de victimes avec une proportion de femmes plus élevées. » Des personnes qui n’avaient pourtant rien de travailleurs de l’amiante mais qui ont été exposées dans leur logement ou au bureau. Le secrétaire national de l’Andeva est d’autant plus inquiet que les immeubles d’après-guerre, souvent considérés comme les plus énergivores, sont voués à une rénovation globale. Le risque n’est pas pris à la légère. L’Europe a déjà mis en garde en 2023 lors de la révision de sa directive sur la protection des travailleurs afin que la vague de rénovations énergétiques ne s’accompagne pas d’une recrudescence de contaminations chez les artisans comme pour les populations. Désamianter avant de rénover ? Malheureusement, la facture apparaît souvent rédhibitoire pour le particulier. Et comme il n’existe pratiquement aucune aide financière, au grand regret d’Alain Bobbio, l’amiante reste en place. La France a l’une des réglementations les plus abouties au monde pour prévenir le risque amiante, mais elle manque encore d’ambition pour désamianter son parc, y compris dans les bâtiments publics comme les écoles. 

 

Est-ce que j’ai de l’amiante dans mon logement ? 

Pour les logements avec un permis de construire délivré avant le 1er juillet 1997, la réglementation impose un diagnostic amiante lors de la vente. La loi Alur de 2014 annonçait aussi un diagnostic pour les locations, mais le décret d’application n’est jamais paru. Que le diagnostic soit négatif n’est cependant pas une garantie de l’absence d’amiante. Lors d’une vente, le repérage se cantonne à des listes de matériaux et produits (dites « listes A et B ») encadrées par le Code de Santé publique. La recherche d’amiante n’est donc pas exhaustive. De plus, dans un contexte de vente, les investigations restent nécessairement limitées. On imagine mal le diagnostiqueur réaliser un trou dans un mur pour voir ce qui se cache derrière, ou démonter le parquet pour s’assurer qu’il ne dissimule pas des dalles de sol amiantées. Le repérage reste donc essentiellement visuel. Pour cette raison, en cas de travaux -y compris des petits travaux-, la réglementation impose un repérage plus complet et appelé repérage amiante avant-travaux ou RAAT.