Le congé pour motif légitime et sérieux et son application aux travaux de rénovation énergétique

ANALYSE - La rénovation énergétique des bâtiments est une des solutions les plus efficaces pour réduire la consommation d’énergie, limiter les émissions de gaz à effet de serre et répondre aux enjeux climatiques.

Par Joëlle HELOU-MICHEL, Avocat au Barreau de Grasse

 

Dans le but de rendre le parc immobilier plus écologique, les dernières évolutions législatives et réglementaires contraignent, de fait, les bailleurs à la rénovation des logements donnés à bail. Pour rappel, notamment et depuis janvier 2025, les logements classés G par un diagnostic de performance énergétique ne peuvent plus être loués. 

Se pose la difficulté du congé délivré aux locataires lorsque ces travaux de rénovation énergétique sont de grande envergure et ne permettent pas leur maintien dans les lieux.

La loi du 6 juillet 1989 a posé le principe d’un droit au logement comme droit fondamental et nombre de ses dispositions ont pour objet de permettre au locataire respectant les clauses et conditions de son bail, un maintien de principe dans le logement qu’il occupe. 

Toutefois, ce droit n’est pas absolu. Le bailleur dispose, sous certaines conditions très strictement encadrées, de la faculté de délivrer congé à son locataire. 

Parmi les congés prévus par la loi, on retrouve le congé pour reprise, le congé pour vente et le congé pour motif légitime et sérieux. Le congé pour reprise permet au bailleur de récupérer le logement pour l’habiter lui-même ou pour y loger un proche. Le congé pour vente intervient lorsque le propriétaire décide de céder le bien et doit offrir un droit de préemption au locataire. Enfin, le congé pour motif légitime et sérieux, plus souple dans sa définition, peut être délivré en raison d’un comportement fautif du locataire ou d’un projet du bailleur justifiant la libération des lieux.

C’est dans le cadre du congé pour motif légitime et sérieux que la question des travaux de rénovation énergétique se pose. Si le projet de loi « climat et résilience » avait envisagé de créer un motif de congé spécifique pour rénovation énergétique, le Conseil constitutionnel a censuré cette mesure car elle avait été adoptée par amendement en première lecture sans avoir de lien suffisant avec le texte initial (décision du Conseil Constitutionnel du 13 août 2021, n° 2021-825 DC). 

Un arrêt récent de la Cour d’appel de Bordeaux du 6 janvier 2025 (22/05642) est venu reconnaître la validité d’un congé délivré par un bailleur pour réaliser de lourds travaux de rénovation énergétique, ouvrant la voie à une nouvelle approche jurisprudentielle de cette question particulière.

Cette étude propose d’examiner tout d’abord le cadre juridique du congé pour motif légitime et sérieux, avant d’analyser l’apport de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux précité et ses implications.

 

Sur le cadre juridique du congé pour motif légitime et sérieux

Un motif souple mais encadré

L’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit la possibilité pour un bailleur de donner congé pour motif légitime et sérieux. Contrairement au congé pour reprise ou pour vente, cette notion n’est pas définie de manière stricte par le texte. Elle laisse place à une appréciation souveraine des juges du fond qui examinent, au cas par cas, si le motif invoqué par le bailleur est suffisant pour justifier la rupture du bail.

La jurisprudence a ainsi dessiné les contours des éléments pouvant constituer un motif sérieux et légitime :

  • le non-respect des obligations du locataire (troubles de jouissance, impayés, usage abusif des lieux) ;
  •  un projet du bailleur impliquant des modifications majeures de l’immeuble, notamment des travaux de grande ampleur nécessitant la libération du logement.

Le bailleur doit démontrer la réalité et la nécessité du projet invoqué et le congé ne doit pas être un prétexte pour contourner le droit du locataire au maintien dans les lieux.

 

La jurisprudence en matière de travaux et le cas particulier de la rénovation énergétique

La jurisprudence admet depuis longtemps que certains travaux nécessitant la libération du logement puissent justifier un congé pour motif légitime et sérieux. 

Il en va ainsi des travaux impliquant la démolition et la reconstruction du bien, des travaux rendant les lieux temporairement inhabitables par une modification structurelle du bâti, des travaux visant à remédier à des problèmes de sécurité.

La question spécifique de la rénovation énergétique est plus récente et s’inscrit dans un contexte de transition écologique. Comme indiqué précédemment, la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 avait initialement prévu de permettre au bailleur de donner congé au locataire pour effectuer des travaux de rénovation énergétique, mais cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Dès lors, un bailleur souhaitant réaliser des travaux de rénovation énergétique majeurs ne peut pas s’appuyer sur une législation spéciale. Il lui faut se fonder sur les dispositions législatives existantes du congé pour motif légitime et sérieux, et se confier à son appréciation éventuelle par les juges si le congé est contesté par le locataire.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 6 janvier 2025, qui offre une illustration de l’appréciation par la jurisprudence du congé donné par le bailleur afin de rénover énergétiquement son bien. 

 

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 6 janvier 2025 : une reconnaissance du congé pour rénovation énergétique ?

Les faits et la décision de la Cour d’appel

Dans cette affaire, un bailleur avait délivré un congé pour motif légitime et sérieux à ses locataires afin d’engager une rénovation énergétique complète de l’immeuble. 

Les locataires ont contesté le congé, estimant que les travaux pouvaient être réalisés sans nécessiter leur départ. La Cour d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 6 janvier 2025, valide le congé, considérant que :

- la réalité du projet de rénovation ne pouvait être contestée : la Cour relève notamment une note de synthèse d’architectes, une saisine de géomètre et des devis nombreux et détaillés établis avant la délivrance du congé ;

- l’ampleur des travaux nécessitait la libération des lieux, car ils rendaient le logement inhabitable puisque cette rénovation visait l’isolation thermique complète du bâtiment impliquant le remplacement des équipements de chauffage et d’eau chaude sanitaire, la modification du système de ventilation et des installations électriques, ainsi que la dépose des faïences, des sanitaires, carrelages, parquets et revêtements de peinture ; 

- le projet répondait à une logique d’intérêt général en favorisant la performance énergétique du bâti ; 

- le bailleur agissait de bonne foi et ne cherchait pas à contourner les règles protectrices des locataires. 

Cette décision ouvre ainsi la possibilité de congédier un locataire pour des travaux de rénovation énergétique, sous réserve qu’ils soient suffisamment conséquents et justifiés.

 

Les implications juridiques de l’arrêt

L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux s’inscrit dans un mouvement plus large visant à encourager la rénovation énergétique du parc immobilier.

Cet arrêt n’ouvre pas une nouvelle voie de droit en instituant un nouveau motif de congé spécifique à la rénovation énergétique tel que le législateur l’avait envisagé en 2021, mais est une illustration moderne de l’appréciation par la jurisprudence du sérieux et de la légitimité du motif énergétique invoqué au soutien du congé donné par le bailleur. 

Des travaux aux fins de rénovation énergétique peuvent donc justifier qu’un congé pour motif légitime et sérieux soit donné au locataire.

Les critères clés sont les suivants : l’ampleur des travaux et leur incompatibilité avec le maintien du locataire dans les lieux et la bonne foi du bailleur qui ne doit pas invoquer une rénovation à titre de simple prétexte.

Cette jurisprudence constitue une avancée pour les bailleurs souhaitant améliorer la performance énergétique de leurs biens. Elle reconnait la possibilité de délivrer un congé pour motif légitime et sérieux en raison de travaux de rénovation énergétique, sous réserve qu’ils soient suffisamment importants pour rendre impossible le maintien dans les lieux et sous réserve de la bonne foi du bailleur.

Le bailleur devra à ce titre disposer des éléments de preuve nécessaires en cas de contestation du congé.

Il nous faut indiquer que l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 6 janvier 2025 pourrait faire l’objet d’un pourvoi en cassation, et qu’il sera en tout état de cause affiné par d’autres décisions à l’avenir. 

Affaire à suivre…