C’est la question que la Cour de cassation a posée à la Cour de justice de l’Union européenne à la suite du pourvoi d’une SCI condamnée pour avoir loué un meublé touristique à Paris sans autorisation (C.Cass., 3ème civ., 15 novembre 2018, n°17-26.156).
Dans certains territoires, « le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage » (article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation). Une autorisation préalable est requise, sauf si le local constitue la résidence principale du propriétaire.
Or, désormais, de nombreuses villes (Paris, mais également Bordeaux, Lyon, Nice, etc.) n’accordent une autorisation de changement d’usage qu’à la condition que le propriétaire « offre » un autre logement en compensation. L’objectif poursuivi par ces villes est en effet de maintenir le nombre de logements offerts à la location à l’année.
Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision commentée, une SCI ayant effectué des locations touristiques sans aucune autorisation a été condamnée par la Cour d’appel de Paris à payer une amende de 15.000 € et à rétablir l’usage d’habitation de son studio. Cependant, dans le cadre de son pourvoi en cassation, elle a fait valoir que la réglementation sur les changements d’usage est contraire à la directive « Services » du 12 décembre 2006 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne. Ses arguments ont convaincu la Cour de cassation de poser une question « préjudicielle » à la Cour de justice de l’Union européenne et d’ordonner le sursis à statuer sur le pourvoi dans l’intervalle.
En effet, la Cour de cassation admet que la directive pourrait s’appliquer, puisque celle-ci vise « toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération » (art.4). Or, à partir du moment où un service entre dans le champ d’application de la directive, aucune entrave ne peut être instaurée par un Etat membre à moins de respecter certaines conditions. Notamment, la nécessité d'un régime d'autorisation ne peut être justifiée que par « une raison impérieuse d'intérêt général » (art.9). La Cour de cassation pose donc à la CJUE la question de savoir si, dans l’hypothèse où l’on serait bien en présence d’un régime d’autorisation encadré par la directive, « l’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue une raison impérieuse d’intérêt général permettant de justifier une mesure nationale soumettant à autorisation » les locations touristiques.
La CJUE est également interrogée sur le caractère proportionné de la réglementation française. La SCI condamnée fait en effet valoir que « des mesures moins contraignantes auraient pu être mises en place pour lutter contre la pénurie de logements destinés à la location, par exemple en limitant les nuitées disponibles à la location de courte durée ou en prévoyant une imposition spécifique ».
Enfin, la Cour cassation interroge la CJUE sur la compatibilité avec la directive du fait que les régimes d’autorisation sont déterminés, non pas par la loi pour tout le territoire, mais au niveau de chaque municipalité en fonction du contexte local. De manière très intéressante, le pourvoi a en effet souligné que cette mosaïque de règlementations locales ne satisfait pas « aux exigences de publicité, de transparence et d’accessibilité prévues par l’article 10 » de la directive.
La Cour de cassation n’a pas lésiné sur les motifs de sa décision. Elle a consacré plusieurs pages à bien cerner les termes de la problématique. Il faut dire que l’enjeu est de taille. En fonction de la réponse que la Cour de justice de l’Union européenne donnera, c’est peut-être tout l’arsenal « anti-airbnb » qui pourrait être remis en question. Il n’est donc pas étonnant qu’il faille attendre entre un an et un an et demi pour découvrir la réponse du juge européen.
Frédéric Zumbiehl • Juriste UNPI