Les sanctions pour restitution tardive du dépôt de garantie validées

La loi ALUR du 24 mars 2014 a considérablement renforcé les sanctions en cas de restitution tardive du dépôt de garantie au locataire (baux d'habitation). Jusque-là, il était prévu que le solde dû produisait intérêt au taux légal. Compte tenu de la faiblesse de ce dernier (taux de 0,04 % en 2013 ou 2014)*, ce n’était sans doute pas très dissuasif.  Depuis la loi ALUR, « le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard » (article 22 de la loi du 6 juillet 1989 sur les locations à usage d’habitation principale). Cela n’a plus rien à voir !

Au point que la Cour de cassation, sensible aux arguments d’un propriétaire condamné à restituer 177 € de dépôt de garantie et… 1 900 € de majoration de retard, a accepté de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Elle a jugé que « la question présente un caractère sérieux en ce que, fixée indépendamment du montant du dépôt de garantie à restituer après compensation des sommes dues par le preneur et sans que le juge puisse tenir compte des circonstances à l’origine du retard de paiement ni de la bonne ou mauvaise foi du bailleur, la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 pourrait être qualifiée de sanction ayant le caractère d’une punition contraire, par son automaticité et l’absence de pouvoir de modulation accordé au juge, aux exigences de proportionnalité et d’individualisation des peines qui découlent de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (C.Cass., 3ème civ., 13 décembre 2018, n°18-17.729).

Le Conseil constitutionnel vient néanmoins de déclarer ledit article 22 conforme à la Constitution. Certes, il rappelle que les principes de proportionnalité et d’individualisation des peines « s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition ». Mais il estime que la majoration contestée « présente un caractère indemnitaire [et] ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition ». En effet, elle est directement « versée au locataire lésé ». D’autre part, il y a bien un lien entre le montant de la majoration et l’« ampleur du préjudice » comme sa « durée ». Puisque le dépôt de garantie exigible d’un locataire est plafonné à un mois de loyer (ou deux mois s’agissant des meublés), il n’est pas illogique de fixer des pénalités de 10 % du montant du loyer par mois de retard. Dans ces conditions, le Conseil juge « inopérants » les griefs tirés des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines (QPC n°2018-766 QPC, 22 février 2019).

Ce raisonnement ne convainc pas.
Pourquoi, s’il s’agit seulement d’indemniser le préjudice subi par le locataire, ne pas permettre au juge de moduler la majoration due en fonction du préjudice réellement subi par le locataire ? La Cour de cassation défend depuis longtemps le principe de réparation intégrale du préjudice, « de telle sorte qu'il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit » (C.Cass. Civ. 2e, 9 nov. 1976, n° 75-11.737). Dès lors, la « réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire » (C.cass., Civ. 2e, 20 novembre 2014, n° 13-21.250). C’est d’ailleurs ce qui explique, côté bailleur, que le juge ne peut admettre une retenue sur le dépôt de garantie qu’en présence de justificatifs précis et ne saurait fixer celle-ci « à une somme forfaitaire » (C.Cass, Civ. 3ème, 26 juin 2007, n°06-16.644). Plus largement, en matière de bail d’habitation, le législateur feule dès qu’on lui parle de clauses pénales. Il est désormais interdit de prévoir des indemnités forfaitaires et automatiques en cas, par exemple, de retard de paiement du locataire.
Certes, la loi prévoit parfois un système d’indemnisation forfaitaire de certains préjudices. C’est le cas par exemple en matière d’accidents du travail. Le conseil constitutionnel a validé cette entorse au principe de réparation intégrale au vu des objectifs d’intérêt général poursuivis, en particulier « l'automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail » (QPC n°2016-533, 14 avril 2016). En l’espèce, le Conseil constitutionnel estime que le législateur a entendu, au-delà de la réparation du préjudice lié à la restitution tardive du dépôt de garantie, « favoriser le règlement rapide des nombreux contentieux qui en découlent ». S’agit-il du motif d’intérêt général exigé pour justifier une entorse au principe de réparation intégrale ?
Pourquoi, en second lieu, le Conseil constitutionnel évoque-t-il la « durée de ce préjudice » ? Un préjudice n’a pas de durée. Un retard peut avoir une durée, de même qu’un problème de trésorerie, mais pas le préjudice, qui est la conséquence du dommage subi. Le préjudice est ce qu’il est, au moment où le juge statue. La durée du retard dans la restitution du dépôt de garantie n’a pas nécessairement de lien avec le préjudice subi. Ainsi, un retard de deux ans aura moins de conséquence pour un jeune locataire « de bonne famille » épaulé par ses parents qu’un retard d’un mois pour un locataire « sans le sou ».

En définitive, le Conseil constitutionnel ne voit pas d’inconvénient à ce qu’un propriétaire, qui a tardé à restituer 177 €, soit obligatoirement condamné à payer 1 900 € de majoration retard (sans que le juge puisse moduler à la baisse cette somme). Le lien avec le préjudice subi est pourtant bien ténu. Il est difficile d’y voir autre chose qu’une sanction. Dommage que, de notre point de vue, les sanctions se situent toujours du même côté…

Frédéric Zumbiehl • Juriste UNPI

* La méthode de calcul du taux d’intérêt légal a été modifié à compter de 2015 (ordonnance du 20 août 2014 relative au taux de l'intérêt légal). Les taux sont dorénavant plus importants. De plus, un taux majoré est désormais prévu pour les créances des particuliers n'agissant pas pour des besoins professionnels.