Un contribuable était propriétaire d’une villa à Biarritz qu’il utilisait comme résidence secondaire. Il avait par ailleurs constitué une société civile immobilière en 1989. Avec son épouse, il détenait 90 % des parts et ses enfants détenaient le solde des parts. En 1996, il avait cédé la villa à la SCI. La société avait ensuite loué la villa au couple et effectué des travaux de rénovation. Le déficit foncier avait alors été déduit par le contribuable.
L’administration avait considéré qu’il s’agissait d’un abus de droit. En effet, elle estimait que, par ce montage, le contribuable avait entendu faire échec à l’application de l’article 15 du code général des impôts qui ne permet pas au propriétaire de déduire des charges des biens dont il se réserve la jouissance.
La cour d’appel avait validé la position de l’administration fiscale, mais sa décision a été annulée pour insuffisance de motivation.
Le Conseil d’État rappelle les conditions d’application de l’article 64 du livre des procédures fiscales (dans sa rédaction applicable au litige) et selon lequel, l’administration peut écarter les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat. Elle peut faire usage de cette faculté dans deux hypothèses :
Or dans cette affaire, la cour d’appel avait estimé que le contribuable avait commis un abus de droit car il n’était inspiré que par le motif d’atténuer les charges fiscales qu’il aurait normalement dû supporter, mais elle n’avait pas recherché en plus si la condition de recherche de bénéfice de l’application littérale du texte à l‘encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, était remplie.
L’arrêt d’appel est donc annulé pour insuffisance de motivation.
L’arrêt du Conseil d’État rappelle que l’article 15 du CGI prévoit une exonération des revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance. Ainsi, par dérogation à l’article 156 du CGI, les charges afférentes à ces logements ne peuvent pas venir en déduction pour la détermination du revenu net global imposable du propriétaire.
“En transférant à la SCI, dont ils détenaient avec leurs enfants la totalité des parts, la propriété de la villa M., qui avait appartenu pendant plusieurs années à M. B., et en concluant avec cette dernière un bail locatif, d’abord verbal puis écrit, pour en conserver la jouissance, M. et Mme B. ont créé les conditions leur permettant d’imputer sur leur revenu global, en dépit des prévisions du II de l’article 15 précité du CGI et à hauteur de leurs droits dans la société, des charges liées aux travaux engagés dans cette maison. Il résulte en outre de l’instruction que ces travaux ont été pour l’essentiel engagés après ce transfert de propriété, qu’ils ont été financés par des apports personnels de M. B. depuis son compte courant d’associé dans la SCI et que le loyer versé par les requérants, certes réévalué à compter du 1er mai 2003, correspondait aux échéances de remboursement de l’emprunt contracté pour l’acquisition de la villa. Dans ces conditions et alors même que […], la SCI avait été créée plusieurs années auparavant et exploitait par ailleurs un important patrimoine immobilier, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve que l’interposition de la société dans la gestion de la villa M. répondait à un motif exclusivement fiscal, les considérations relatives à la transmission du patrimoine avancée par M. et Mme B. étant dépourvues de toute consistance”.
Le Conseil d’État observe encore que la SCI ne n’est pas comportée avec M. et Mme B. comme avec des tiers et que M. et Mme B. ont ainsi disposé du bien comme s’ils en étaient les propriétaires occupants “s’étant ainsi placés dans une situation leur offrant des possibilités de sous-estimation des résultats fonciers que le législateur a entendu combattre” contre l’objectif des rédacteurs de l’article 15 du CGI.
Le Conseil d’État fait donc application de l’article 64 du LPF qui réprime les montages qui sont mis en place dans un but exclusivement fiscal.Rappelons que la loi a été modifiée par la loi de finances pour 2019 qui a créé un nouvel article L64 A dans le livre des procédures fiscales. Cet article permettra de remettre en cause des actes qui “ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.”
Cette réforme n’est pas entrée en vigueur : elle doit s’appliquer “aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020.”
Devant les incertitudes que suscite cet élargissement de la notion d’abus de droit, le ministère de l’action et des comptes publics a publié un communiqué le 19 janvier 2019 où il indique que la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoines et que la loi elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoines. Toutefois, il ne s’agit que d’un communiqué et il faudra attendre une instruction fiscale puis les décisions de jurisprudence pour connaître la portée exacte de cette nouvelle mesure…
Bertrand Desjuzeur • JURIShebdo Immobilier