Par jugement du 28 novembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a accédé à la demande de l’UNPI Paris d’annuler les arrêtés préfectoraux fixant des loyers plafonds de 2015, 2016 et 2017. Ce jugement a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris le 26 juin 2018 (arrêt accessible à l’adresse https://bit.ly/2ClAvTL ).
On s’est interrogé sur les impacts concrets de cette annulation rétroactive.
Tout d’abord, les arrêtes de fixation des loyers plafonds étant censés n’avoir jamais existé, un bailleur ayant loué en 2016 ou 2017 peut-il désormais imposer à son locataire le loyer qu’il entendait au départ appliquer à défaut d’encadrement des loyers ? Le contrat constituant par principe « la loi des parties », cela paraît inenvisageable. Le loyer inscrit au bail a beau avoir été adopté sous la contrainte, il s’applique pendant toute la durée du bail. Le propriétaire peut seulement tenter d’appliquer une augmentation lors du renouvellement du bail à condition de justifier que le loyer actuel est « manifestement sous-évalué » (voir article 17-2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989).
Reste à savoir si la responsabilité de l’Etat ne pourrait pas être engagée, puisqu’un manque à gagner résulte d’arrêtés illégaux.
En second lieu, qu’en est-il du propriétaire qui n’a pas respecté les loyers plafonds, ou qui, tout en respectant ces derniers, a appliqué un complément de loyer exorbitant ?
C’est sur ce point que la Cour d’appel a apporté un premier élément de réponse très instructif.
Il s’agissait en l’espèce d’un propriétaire ayant loué un studio dans le 13ème arrondissement de Paris pour 423 €, conformément aux arrêtés préfectoraux. Cependant, le bail prévoyait un complément de loyer du même montant, justifié expressément dans le bail par le fait que le logement avait été « rénové intégralement ». Les travaux réalisés étaient détaillés dans le bail et leur montant total indiqué (plus de 24.500 €).
Néanmoins, après son entrée dans les lieux, le locataire a saisi la commission départementale de conciliation, laquelle, à défaut de conciliation, a conclu au caractère injustifié du complément de loyer. Fin 2016, il a obtenu un jugement du Tribunal d’instance du 13ème arrondissement concluant au caractère injustifié de ce complément, et condamnant le propriétaire à restituer les sommes perçues à ce titre depuis le début du bail.
Le propriétaire a fait appel, et s’est prévalu de l’annulation des arrêtés préfectoraux de fixation des loyers plafonds.
Le locataire a conclu au fait que cette annulation ne concernait que la fixation de loyers plafonds et ne pouvait rejaillir sur la question du complément de loyer.
C’est pourtant l’analyse du propriétaire que la Cour d’appel consacre : il résulte du dispositif d’encadrement des loyers « loi ALUR » que « contrairement à ce que soutient le locataire, le complément de loyer qui y est prévu ne trouve sa raison d'être que dans le cadre de ce dispositif d'encadrement des loyers, que sa mise en œuvre dépend de la fixation des montants des loyers réglementés et qu'il ne peut donc être considéré indépendamment du loyer réglementé ».
D’ailleurs, comme le rappelle la Cour, dans sa version issue de la loi ALUR, l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989 prévoyait expressément qu’un complément de loyer ne peut être appliqué que si le loyal de base atteint déjà le loyer de plafond et que « le loyer s'entend comme la somme du loyer de base et de ce complément ».
Or, en l'absence d'arrêtés fixant le prix du loyer de référence, « c'est la convention des parties qui doit trouver application ».
La Cour d’appel de Paris infirme donc le jugement du Tribunal d’instance du 13ème arrondissement de Paris. Le locataire est condamné à rembourser presque 5.000 € au propriétaire (correspondant aux compléments de loyer restitués au locataire en exécution du jugement de première instance) et à payer presque 9.000 € de compléments de loyers impayés pour la période postérieure au jugement du tribunal de 2016 (Cour d'appel de Paris, Pôl 4, ch. 4, 27 nov. 2018, n°16/25873).
Cette décision de la Cour d’appel est cruciale pour les propriétaires. Si elle fait l’objet d’un pourvoi en cassation, on espère qu’elle sera validée.
Elle est parfaitement légitime : l’encadrement des loyers étant annulé, il serait incompréhensible de censurer un complément de loyer qui n’a été prévu que pour compenser le plafonnement injustifié du loyer de base.
Par analogie, on peut penser qu’un propriétaire qui aurait appliqué un loyer supérieur au loyer plafond est désormais à l’abri de contestations. Comme l’indique la Cour d’appel de Paris dans l’arrêt du 27 novembre 2018, à défaut d’encadrement des loyers*, « c'est la convention des parties qui doit trouver application ».
Cependant, les questions de fond relatives au complément de loyer (est-ce que, comme en l’espèce, des travaux de rénovation peuvent justifier un complément de loyer ; ce complément est-il plafonné à un montant maximal, etc.) ne tarderont pas doute pas à revenir sur la table. En effet, la possibilité de prévoir un complément de loyer est maintenue dans le nouveau dispositif expérimental d’encadrement des loyers, issu de la loi ELAN du 23 novembre 2018 (voir son article 140). Si ce dispositif est mobilisé par Paris ou d’autres villes, nul doute que la justice devra se prononcer sur ces points …
* Attention : rappelons que le blocage des loyers de relocation et de renouvellement reste applicable.