Une décision du 17 mai 2018 de la Cour de cassation, diffusée sur tous supports par celle-ci, permet de faire le point sur la confrontation entre droit au logement et droit de propriété.
En l’espèce, un couple avait cultivé du manioc depuis de nombreuses années sur un terrain ne leur appartenant pas. Ils y avaient ensuite édifié une maison. En 2005, un acte de partage a attribué le terrain à M. X.
Les occupants ont assigné M. X en revendication du terrain. Le défendeur a rétorqué en demandé la libération des lieux et la démolition du logement des demandeurs.
La cour d’appel rejette la demande en revendication des demandeurs, au motif qu’ils n’établissent pas une possession trentenaire (sur la prescription acquisitive, autrement appelée « usucapion », voir les articles 2258 et suivants du Code civil). Notamment, elle relève que si une attestation tend à démontrer que l’un des occupants a exploité le terrain en cause dès 1971, un autre document de 1971 indique que les occupants ont fait une demande de délimitation d’un terrain auprès d’un géomètre-expert, et que ce document indique que les protagonistes souhaitaient demander l'acquisition de ce terrain pour le cultiver. La cour d’appel en a donc déduit que « que les occupants ne prescrivaient pas à titre de propriétaires, dès lors qu'ils faisaient établir ce plan dans le but de le devenir ».
Les occupants ont formé un pourvoi en cassation mais, en ce qui concerne la prescription du terrain, il est rejeté lapidairement au motif que les griefs soulevés « ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».
En revanche, la Cour de cassation prend soin de répondre de manière très motivée à une autre branche du pourvoi.
Les occupants prétendaient que l’arrêt ordonnant la démolition de leur logement et la libération des lieux constituait une atteinte disproportionnée au droit au domicile, qui est une composante du droit à la vie privée dont le respect est protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Ils soulignent que la personne menacée d’expulsion vivait sur le terrain en cause depuis de nombreuses années et que, du fait de ses 87 printemps, elle est particulièrement vulnérable.
La Cour de cassation rejette néanmoins le pourvoi, en rappelant qu’il s’agit d’empêcher qu’une atteinte grave soit portée au droit de propriété, droit fondamental garanti par plusieurs textes.
Elle juge ainsi « que les mesures d'expulsion et de démolition d'un bien construit illégalement sur le terrain d'autrui caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l'occupant, protégé par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Qu'une telle ingérence est fondée sur l'article 544 du code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l'article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;
Qu'elle vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Que, l'expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l'ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l'atteinte portée au droit de propriété » (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 17 mai 2018, 16-15.792, Publié au bulletin).