Nouvelle réforme judiciaire de grande ampleur

L’année 2020 voit rentrer en vigueur de nouvelles dispositions législatives et règlementaires fondamentales qui modifient en profondeur le paysage judiciaire et les pratiques quotidiennes des avocats, huissiers, magistrats et autres professionnels du droit. Certains parlent de réforme ; il s’agit manifestement d’une refonte d’une grande partie de l’organisation judiciaire voire d’un début ou de la continuité d’une révolution judiciaire.

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 dite de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est venue chambouler des pans entiers dans des matières très diverses, à savoir en matière pénale, sociale, administrative ou encore civile et procédure civile… Notre propos se cantonnera à ce qui concerne ces deux dernières matières.

Il faut savoir, d’ores et déjà, qu’une partie de ces dispositions législatives est rentrée en vigueur dès le lendemain de la promulgation de la loi, mais la majeure partie rentre en application à compter du 1er janvier 2020, voire à partir du 1er septembre 2020 pour certaines dispositions qui ont été reculées dans le temps (notamment en matière de divorce).

Nous allons donc voir que l’organisation judiciaire a commencé à être totalement refondue, que la procédure devant ces nouvelles juridictions en a subi les conséquences, qu’ont été modifiés en profondeur les modes d’accès du justiciable au Tribunal, d’assistance et de représentation devant les juridictions.

L’avènement d’une nouvelle juridiction : Le tribunal judiciaire  dit « T.J. ».

Un des objectifs du législateur a été de « repenser l’organisation des juridictions pour la rendre plus lisible pour les justiciables et plus efficace dans le traitement des contentieux.

La fusion du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance simplifiera l’organisation de la première instance pour le justiciable qui ne connaîtra plus qu’une seule juridiction, avec une seule procédure de saisine. »

A compter du 1er janvier 2020, les tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance ont fusionné en une juridiction unique : le tribunal judiciaire.

Le tribunal judicaire remplace donc le TGI et le TI. C’est une petite révolution.

Cela permet à tout un chacun de distinguer plus facilement la juridiction administrative de la juridiction judiciaire (civile ou pénale).

Le Tribunal Judiciaire devient le tribunal de droit commun à charge d’appel, c’est-à-dire qu’il a une compétence générale de principe sauf ce qui est attribué à une autre juridiction en raison de la nature de la demande.

Il a également une compétence exclusive dans les matières déterminées par les lois et règlements, au nombre desquelles figurent l’état des personnes (mariage, filiation), successions, les actions immobilières pétitoires, les baux commerciaux à l'exception des contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, baux professionnels et conventions d'occupation précaire en matière commerciale…

En matière civile, certains tribunaux judiciaires pourront avoir une compétence départementale particulière, notamment pour les actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce, les actions en contestation des décisions des assemblées générales et celles relatives aux copropriétés en difficulté relevant de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis…

Cela signifie que, quel que soit le lieu de situation du litige, pour tenir compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières, un seul tribunal pourrait devenir seul compétent dans l’ensemble du département, lorsqu'il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département … et même exceptionnellement dans l’hypothèse de tribunaux judiciaires situés dans deux départements différents lorsque leur proximité géographique et les spécificités territoriales le justifient.

La création d’un nouveau juge : le Juge des contentieux de la protection dit « JCP »

Au sein du tribunal judiciaire, un ou plusieurs juges exercent les fonctions de juge des contentieux de la protection.

Ses attributions sont celles que l’on rencontre dans les litiges relatifs aux vulnérabilités économiques et sociales (tutelle des majeurs, surendettement, contentieux des crédits à la consommation et des baux d’habitation…)

La création des Tribunaux de Proximité ou chambres détachées 

Le tribunal judiciaire peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres de proximité dénommées “ tribunaux de proximité ”, dont le siège et le ressort ainsi que les compétences matérielles sont fixées par décret.

Ainsi, les tribunaux d’instance qui étaient situés dans une commune différente du Tribunal de Grande Instance deviennent tribunaux de proximité.

Leurs attributions seront pour partie celles que connaissaient les tribunaux d’instance avec des aménagements. Il s’agit par exemple, des actions en bornage, des actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l'usage des lieux pour les plantations ou l'élagage d'arbres ou de haies, des actions personnelles ou mobilières jusqu'à la valeur de 10 000 euros et demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros, en matière civile…

Ainsi par exemple, à Toulouse il existait un Tribunal de Grande Instance et un Tribunal d'Instance qui sont regroupés en un Tribunal Judiciaire ; il est maintenu par contre les deux sites géographiques. Le Tribunal d'Instance de Muret, à côté de Toulouse est donc devenu une chambre détachée du Tribunal Judiciaire.

Cela permet de maintenir le maillage territorial, éviter des suppressions de tribunaux et « assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien ».

Création d’une juridiction nationale spécialisée pour les injonctions de payer.

Cette création tente de répondre à l’objectif de la loi de l’accroissement de l’efficacité de la justice. mais elle ne rentrera en vigueur qu’au 1er janvier 2021.

Ainsi, quel que soit le lieu de situation du litige, un seul tribunal sera compétent au niveau national pour connaître des demandes d'injonction de payer, à l'exception de celles relevant de la compétence d'attribution du tribunal de commerce, ainsi que des demandes formées en application du règlement européen instituant une procédure européenne d'injonction de payer.

Les demandes d'injonction de payer seront formées par voie dématérialisée ou adressées au greffe sur support papier (dans le cas de l’injonction de payer européenne ou lorsque la demande sera formée par les personnes physiques n'agissant pas à titre professionnel et non représentées par un mandataire).
Les oppositions éventuelles aux ordonnances d’injonctions de payer seront formées devant le tribunal judiciaire national, mais elles seront ensuite transmises aux tribunaux judiciaires territorialement compétents.

Les greffes des juridictions sont également modifiés.

Il existe un seul greffe, celui du Tribunal Judiciaire, mais avec la possibilité pour les chambres détachées d’avoir un greffe détaché qui lui est rattaché.

La loi a procédé à la suppression du greffe du Conseil des prud’hommes qui était jusque-là autonome : lorsqu'un conseil de prud'hommes a son siège dans la même commune que le siège d'un tribunal judiciaire ou de l'une de ses chambres de proximité, le greffe du tribunal judiciaire comprend, d'une part, les services de greffe de cette juridiction et, d'autre part, le service de greffe du conseil des prud'hommes, dans des conditions propres à garantir le bon fonctionnement du conseil de prud'hommes.

Le Service d’Accueil Unique du Justiciable (SAUJ)

Un service d'accueil unique du justiciable est implanté au siège de chaque tribunal judiciaire et de chaque chambre de proximité ainsi que dans certains conseils de prud'hommes et maisons de justice et du droit.

C’est un guichet d'accueil destiné à renseigner les justiciables et répondre à leurs questions, notamment en matière procédurale. Il leur fournit les informations et les formulaires nécessaires pour accomplir leurs démarches. Il permet au demandeur de saisir la justice et de faire une demande d’aide juridictionnelle. Les différents actes et demandes sont réceptionnés par le SAUJ et distribuées dans les différents services du tribunal.

Ce n’est pas une nouveauté mais ses pouvoirs et attributions sont revus et étendus afin de renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour les justiciables et d’améliorer le quotidien des professionnels du droit et de la justice.

La représentation obligatoire par avocat est étendue

L’idée du législateur est « de mieux protéger les justiciables en étendant le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par avocat est obligatoire. »

Le principe est dorénavant la représentation obligatoire par avocat des parties devant le Tribunal Judiciaire, mais aussi devant le tribunal de commerce.

Et ce n’est que par exceptions visées par la loi et les décrets que la constitution d’avocat n’est pas obligatoire, notamment :

  • dans les matières relevant de la compétence du juge des contentieux de la protection,
  • lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros ou a pour objet une demande indéterminée ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 € (à l'exclusion des matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (pour lesquelles les parties sont tenues de constituer avocat, quel que soit le montant de leur demande)).

L’élargissement du recours aux mesures alternatives de règlement amiables « MARD »

Ces dispositions répondent à l’objectif législatif de “Développer la culture du règlement alternatif des différends pour favoriser un règlement apaisé des litiges “.

Une tentative de conciliation, de médiation ou de convention de procédure participative (au choix des parties) doit être tentée avant de saisir la juridiction :

  • pour les litiges dont le montant est inférieur à 5 000€,
  • ou relative à un conflit de voisinage (certaines des compétences matérielles des chambres de proximité dont les actions en bornage, actions visées aux articles R 211-3-4 et R 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire).

Des exclusions spécifiques sont néanmoins prévues même dans ces cas-là (motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable, ou demande d’homologation d’un accord intervenu entre les parties, tentative obligatoire  de conciliation organisée par le juge dans la procédure, matière des crédits à la consommation…).

L’absence de tentative est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande en justice qui pourra être prononcée d’office par le juge.

Ainsi, cette tentative de résolution amiable est encadrée et ne concerne finalement que des cas bien spécifiques auxquels il convient de se reporter pour savoir si l’on y est soumis.

Par exemple, un propriétaire qui assigne un locataire en expulsion n’est pas visé par cette tentative préalable car il ne rentre pas dans les cas prévus par la loi ( conflit de voisinage ou litige inférieur à 5 000€)  ; par contre, il devra impérativement effectuer cette tentative avant d’engager une action en justice à l’encontre de son voisin si ce dernier ne respecte pas la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l'usage des lieux pour les plantations ou l'élagage d'arbres ou de haie par exemple…

La mise en demeure adressée à la partie adverse ou le commandement délivré par l’huissier n’est donc plus suffisant ; il faudra expliquer à la juridiction, et en justifier, ce qui a été mis en place auparavant et qui n’a pas fonctionné : par exemple saisine d’un médiateur, requête au tribunal aux fins de désignation d’un conciliateur de justice ou procédure participative entre avocats, et l’échec.

Ce n’est pas la procédure en justice qui sera rallongée puisqu’il s’agit d’une tentative préalable ; c’est la phase préparatoire qui est rallongée, mais le but est de trouver un accord et donc d’éviter le contentieux judiciaire.

On peut également préciser que la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative a également été modifiée en ce qui concerne la médiation judiciaire (organisée par le juge pendant l’instance en justice) qui est encouragée.

Des services en ligne de conciliation, de médiation ou d’arbitrage organisant les modes alternatifs de règlement amiable des conflits sont également reconnus et organisés.

La procédure judiciaire est également modifiée 

Améliorer et simplifier la procédure civile était le vœu du législateur.

  • Le principe posé est que la procédure est écrite et la représentation par avocat est obligatoire sauf dispositions particulières.
  • Il a également été prévu une unification des modes de saisine du tribunal par le biais de l’assignation ou de la requête (procédure écrite ou orale)

Le principe est que l'introduction de l'instance se fait par assignation ; ou sinon elle peut être formée par requête : pour les litiges inférieurs à 5 000€ ou lorsqu’elle est faite aux fins de tentative préalable de conciliation devant le Tribunal Judiciaire, ou bien lorsqu’elle est co-signée des parties en toute hypothèse.

  • La procédure participative de mise en état est organisée et la procédure participative aux fins de jugement est également remaniée.
  • En procédure écrite, les assignations devront être délivrée avec une date d’audience prise préalablement, une audience d’orientation va voir le jour à partir du 1er septembre prochain, les pouvoirs du juge de la mise en état sont étendus…
  • Une procédure sans audience de plaidoiries est désormais possible si les parties l’acceptent.
  • Une “procédure accélérée au fond”, la « PAF », est créée et remplace globalement l’ancienne « procédure en la forme des référés », notamment dans le décret n° 67-223 du 17 mars 1967 sur la copropriété.
  • Le traitement de l’incompétence de la juridiction saisie au sein d’un même Tribunal Judiciaire est complété avec la possibilité de renvoi à la juridiction compétente par simple mention en marge au dossier, avant la tenue de la première audience (et possibilité de contester ce transfert devant le président du tribunal dans les trois mois (JAF, JEX, JCP)).
  • Les décisions de première instance sont désormais de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement. Le principe de l'exécution provisoire de droit des décisions de justice est donc posé, avec son lot d’exceptions et d’aménagements.
  • Le montant prévu pour pouvoir relever appel est fixé à 5 000€.

Toutes ces nouvelles dispositions ne sont qu’une partie de la réforme du système judiciaire français.

En effet, les 110 articles la loi de programmation pour la justice (PLJ) nécessitaient 69 décrets d’application, sans compter les ordonnances ou arrêtés, ou encore les décrets rectifiant les précédentes erreurs et ceux à venir qui vont devoir corriger les inexactitudes ou imprécisions de précédents textes.

Ainsi, alors qu’ est déjà dénoncée l’inflation législative immaitrisable ces dernières années, le fait que les précédentes réformes n’aient pas encore été totalement absorbées, que les outils techniques mis en place précédemment pour les communications électroniques dans les procédures, etc, ne sont pas à la hauteur des précédentes ambitions législatives, cette nouvelle réforme pose de gros problèmes d’interprétation/d’application.

Les objectifs premiers de la réforme concernant la simplification de l’accès au droit et aux Tribunaux, la simplification des procédures, la modernisation de ces dernières, pourtant clairement affirmés par le législateur, ne sont manifestement pas atteints à l’examen des nouvelles dispositions règlementaires. Il est au contraire manifeste que notamment les décrets d’application et les conditions dans lesquelles ils ont été pris interrogent. C’est ainsi que par exemple, un décret majeur du 11 décembre 2019 sur la procédure civile prévoyait qu’une grande partie de ces dispositions rentrerait en vigueur au 1er janvier 2020 (ce qui est un délai extrêmement court compte tenu de la refonte de tous les textes opérés par ce décret !), mais a prévu pour certaines dispositions qu’elles ne rentreraient en vigueur qu’à compter du 1er septembre 2020 (compte tenu de l’absence de mise en place des moyens techniques pour se faire), et que ce même décret a fait l’objet de compléments et de rectifications dans un décret pris le 20 décembre 2019 !

La nouvelle réforme du divorce qui devait rentrer en application au 1er janvier a été décalée elle aussi au 1er septembre…

Il est donc attendu d’autres décrets et arrêtés pour continuer la mise en place de cette réforme… mais vraisemblablement il est fort à parier que cette loi sera ultérieurement suivie de nouvelles modifications qui transformeront encore dans les années à venir le paysage judiciaire français.

Me Isabelle Faivre avocat au barreau de Toulouse

Source : 25 millions de propriétaires • N°février 2019


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