Covid-19 • Les mesures juridiques

La crise sanitaire que traverse notre pays a des incidences importantes en matière juridique. Propriétaires, copropriétaires, locataires, vendeurs, acquéreurs sont tous concernés. Voici les premiers éléments de réponse aux multiples questions qui se posent.

Le législateur est intervenu pour voter en urgence plusieurs textes de loi. Une loi de finances rectificative a été publiée dès le 24 mars pour mettre en place une garantie de l'Etat sur les prêts aux entreprises et un fonds d'indemnisation pour les petites entreprises. Une loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, publiée le même jour, comporte une série d'habilitations à légiférer par ordonnances. En application de ce texte, un ensemble d'ordonnances a été publié au Journal officiel à partir du 26 mars. Certaines concernent les propriétaires.

Locations commerciales et professionnelles

En raison du confinement résultant de l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 (art. 4), de nombreux commerces ont dû fermer leurs portes. Les commerçants subissent donc une chute de recettes qui rend le paiement des loyers difficile. L'ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 prévoit donc une mesure concernant les loyers et charges de la période comprise entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (c'est-à-dire pour l'instant jusqu'au 24 juillet 2020)[1]. Pour ces loyers, le bailleur ne peut réclamer de pénalité financière (ou intérêts de retard, dommages-intérêts, astreinte) ni mettre en jeu une clause résolutoire, une clause pénale ou activer garantie ou caution. Le texte ne prévoit donc pas explicitement de report de loyer, mais il interdit d'appliquer des pénalités de tout ordre en cas de retard de paiement de loyer.

L'article 4 ne prévoit pas les modalités de paiement de l'arriéré qui pourrait se constituer. Les modalités d'étalement de la dette sont laissées à la négociation des parties. Il est donc conseillé au bailleur de prendre contact avec son locataire qui serait en difficulté pour déterminer avec lui comment aménager la dette (délais de paiement par exemple).

Les parties peuvent s'inspirer de l'article 3 de la même ordonnance qui prévoit pour les factures d'eau, de gaz et d'électricité, un report des échéances de factures entre le 12 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence avec un étalement de la dette par fraction égales sur une durée minimale de 6 mois.

Les bénéficiaires de ces mesures sont les personnes physiques et morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique qui sont susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité, c'est-à-dire les personnes qui remplissent l'ensemble des conditions suivantes :

  • 1° elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ;
  • 2° leur effectif est inférieur ou égal à dix salariés. Ce seuil est calculé selon les modalités prévues par le I de l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale ;
  • 3° le montant de leur chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d'euros. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos d'exercice, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ;
  • 4° leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l'activité exercée, n'excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d'exploitation et ramené sur douze mois[2] ;
  • 5° les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d'un contrat de travail à temps complet ou d'une pension de vieillesse et n'ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d'indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant supérieur à 800 euros ;
  • 6° elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ;
  • 7° lorsqu'elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d'affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils fixés aux 2°, 3° et 4°[3] ;
  • 8° elles ont fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou elles ont subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020,
    - par rapport à la même période de l'année précédente ;
    - ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 ;
    - ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié d'un congé pour maladie, accident du travail ou maternité durant la période comprise entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes morales dont le dirigeant a bénéficié d'un tel congé pendant cette période, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 février 2020 (décrets n° 2020-371 du 30 mars 2020, n° 2020-378 du 31 mars 2020 et n° 2020-394 du 2 avril 2020).

L'ordonnance ne prévoit pas de changement pour les modalités de paiement des loyers. Toutefois, l'UNPI recommande aux bailleurs qui le peuvent de proposer aux locataires d'appeler le loyer de façon mensuelle et non plus trimestrielle.

Locations d'habitation

Si l'ordonnance n° 2020-316 prévoit des mesures pour les entreprises, elle ne traite pas des logements. Les locataires d'habitation sont donc tenus de poursuivre le paiement de leurs loyers dans les conditions habituelles. Toutefois, le législateur est intervenu sur la phase aval du contentieux locatif en prolongeant la trêve hivernale. C'est l'objet de l'ordonnance n° 220-331 du 25 mars 2020. La fin de la période hivernale est ordinairement fixée au 31 mars. Elle est reportée cette année au 31 mai.

Cette trêve joue aussi pour interdire les interruptions de livraison d'eau, de gaz, de chaleur et d'électricité des résidences principales. Cette année, le report est également appliqué pour ces fournitures jusqu'au 31 mai.

Copropriétés

Le confinement interdit en pratique la tenue des assemblées générales de copropriétaires dans la plupart des immeubles. Or les mandats de syndics peuvent parvenir à l'échéance du contrat et la copropriété risquait de se trouver dépourvue de syndic. L'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020  (modifiée par l'ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020) a donc prévu (art. 22) une prorogation de plein droit du mandat du syndic. Cette prorogation vise les mandats qui sont venus à expiration entre le 12 mars 2020 et le délai de deux mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit jusqu'au 24 juillet 2020). Le mandat se trouve alors renouvelé dans les mêmes termes que le contrat expiré[4], jusqu'à la prise d'effet du nouveau contrat de syndic désigné par la prochaine assemblée. Elle devra intervenir au plus tard 8 mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire (soit jusqu'au 24 janvier 2021). Ce renouvellement du contrat de syndic est par contre exclu lorsque l'assemblée générale des copropriétaires a désigné, avant le 26 mars 2020, un syndic dont le contrat prend effet à compter du 12 mars 2020.

Ce renouvellement temporaire est de droit et il vise à assurer une pérennité dans la gestion des copropriétés et la continuité des services essentiels à leur fonctionnement normal. Il déroge donc à la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété et aux règles ordinaires (liberté contractuelle et durée du contrat, art. 1102 et 1214 du code civil).

Par ailleurs, le mandat confié par décision de l'assemblée générale aux membres du conseil syndical, qui expire entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date de la cessation de l'état d'urgence sanitaire, est renouvelé jusqu'à la tenue de la prochaine assemblée générale (art. 22-1 de l'ordonnance du 25 mars)[5] .

Signature des contrats

En raison du confinement, il est difficile de prévoir une signature d'acte authentique dans une étude notariale. Toutefois, les études s'organisent pour vous proposer, selon leur équipement, soit la signature au moyen d'une procuration, soit d'assister à la signature par visio-conférence. Toutefois, le Conseil supérieur du notariat invite les parties à reporter les actes qui ne présentent pas de degré d'urgence. De plus, un décret du 3 avril 2020 autorise l’acte notarié à distance pendant la période d’urgence sanitaire.

Paiements

En raison de la suspension de la livraison quotidienne du courrier annoncée par La Poste, la distribution est limitée aux mercredi, jeudi et vendredi, à compter du 27 mars. De ce fait, l'acheminement des plis risque d'être perturbé. Il est donc conseillé d'éviter les paiements par chèque et de privilégier les paiements par virement.

Contrats de construction ou de marchés privés

Certains contrats ont été signés avant l'intervention de l'épidémie de covid-19 et comportaient des délais pour leur réalisation. Or l'obligation de confinement ou des gestes barrières imposés notamment aux entreprises ainsi que la fermeture des commerces jugés non essentiels peut rendre difficile voire impossible la poursuite des travaux. Le contractant peut donc se demander si les pénalités prévues aux contrats sont applicables et si l'entreprise peut invoquer un cas de force majeure pour les éviter. La force majeure doit résulter d'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités et qui empêche l'exécution de son obligation par le débiteur (art. 1218 du code civil). La jurisprudence a pu être réticente à admettre la force majeure dans des précédents cas d'épidémie, par exemple pour l'épidémie Ebola ou de Dengue. Mais les conditions actuelles sont sans doute différentes et il reviendra aux tribunaux de trancher pour savoir si l'épidémie actuelle est un cas de force majeure. Il ne s'agit ici que des contrats conclus avant l'apparition de l'épidémie car pour les contrats postérieurs, les conséquences sont désormais davantage prévisibles.

Le débiteur pourrait aussi invoquer l'imprévision. Le code civil admet (art. 1195) que lorsque des circonstances imprévisibles rendent l'exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie, elle peut demander une renégociation à son cocontractant. En cas d'échec de la négociation, il est possible d'obtenir du juge qu'il révise le contrat. Mais la procédure risque d'être longue et elle n'est possible que si elle n'a pas été écartée par le contrat.[6]

Modèles de courrier & d'Attestation sur l'honneur à adresser à votre locataire

 Si votre locataire vous contacte pour un report de loyer (local professionnel ou commercial), voici le type de courrier que vous pouvez lui adresser :

 Madame, Monsieur,

Je fais suite à votre demande de report de loyer pour le local commercial (ou professionnel) que je vous loue depuis le …........................... Au regard de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et de l'ordonnance  n° 2020-316 du 25 mars 2020, seules les personnes physiques et morales de droit privé éligibles au fonds de solidarité, peuvent bénéficier de ce report si leur activité est affectée par la propagation de l’épidémie Covid 19. Cette mesure s'applique aux loyers et aux charges locatives dont l'échéance de paiement intervient entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai de deux mois après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire (c'est-à-dire pour l'instant jusqu'au 24 juillet 2020). Si votre entreprise respecte ces conditions, je vous prie de remplir et de m'adresser l'attestation sur l'honneur ci-jointe, comme le permet l'article 2 du décret n° 2020-378 du 31 mars 2020, afin de vous faire bénéficier de ce report (il s'agit d'un report et en aucun cas d'une annulation) ; à défaut, je considérerai que vous ne remplissez pas ces conditions et donc vous devrez acquitter les loyers et charges aux échéances prévues contractuellement. Je reste à votre disposition et ne manquerai pas de vous recontacter afin que nous fixions les modalités de ce report.

Fait à……… le ………………..  Signature du propriétaire

Attestation sur l'honneur

Je soussigné(e) (prénom et nom à préciser), demeurant (adresse complète à préciser), atteste sur l’honneur que la société (nom de la société), locataire en vertu d’un bail qui a pris effet le (date de prise d’effet du bail), est éligible au fonds de solidarité[7] et que son activité est affectée par la propagation de l’épidémie Covid 19.  Je m’engage à fournir à la demande de mon propriétaire les pièces et éléments justifiant cet état de fait.  Je sais que cette attestation pourra être produite en justice et que toute fausse déclaration de ma part m'expose à des sanctions pénales.  Fait pour servir et valoir ce que de droit. 

Fait à……… le ……………….. 

Signature du locataire


[1] Selon l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, l'état d'urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi (soit jusqu'au 24 mai 2020), sachant que cette durée pourra être prolongée par une loi ou réduite par un décret en conseil des ministres.

[2] Le décret n° 2020-433 du 16 avril 2020 modifie le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité. Si on applique stricto sensu le décret n° 2020-378 du 31 mars 2020 qui nous intéresse, les conditions 4°, 5° et 7° visées ici ne devraient plus s'appliquer mais en raisonnant logiquement, nous pensons qu'elles continuent à l'être et qu'il s'agit donc d'un oubli de coordination des textes.

[3] Concernant ces points 6° et 7° : Il ressort de l'article L. 233-3 du code de commerce qu'une personne morale ou physique en contrôle une autre lorsqu'elle dispose de la majorité des droits de vote dans cette société ou lorsqu'elle détermine en fait les décisions prises en assemblée générale ou lorsqu'elle dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société. Exemple : une société A dispose de la majorité des droits de vote dans les sociétés B, C et D. Pour bénéficier du fonds de solidarité, il faut prendre en compte l'ensemble des sociétés pour vérifier les seuils fixés aux 2°, 3° et 4° (nombre de salariés, chiffre d'affaires, bénéfice), et non les sociétés B, C et D prises individuellement.

[4] La rémunération forfaitaire du syndic est ainsi déterminée selon les termes de son dernier contrat, au prorata de la durée de son renouvellement.

[5] Cette mesure n'est toutefois pas applicable lorsque l'assemblée générale a désigné les membres du conseil syndical avant le 26 mars 2020.

[6] Il faut aussi mentionner l’ordonnance n° 2020-306. Son article 4 écarte l’application des clauses pénales pendant la période d’urgence sanitaire, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation pendant un délai déterminé.

[7] Ce fonds bénéficie aux personnes physiques et morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique remplissant les conditions suivantes : 1° elles ont débuté leur activité avant le 1er février 2020 ; 2° leur effectif est inférieur ou égal à dix salariés. Ce seuil est calculé selon les modalités prévues par le I de l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale ; 3° le montant de leur chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à un million d'euros. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos d'exercice, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 doit être inférieur à 83 333 euros ; 4° leur bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant, au titre de l'activité exercée, n'excède pas 60 000 euros au titre du dernier exercice clos. Pour les entreprises n'ayant pas encore clos un exercice, le bénéfice imposable augmenté le cas échéant des sommes versées au dirigeant est établi, sous leur responsabilité, à la date du 29 février 2020, sur leur durée d'exploitation et ramené sur douze mois ; 5° les personnes physiques ou, pour les personnes morales, leur dirigeant majoritaire ne sont pas titulaires, au 1er mars 2020, d'un contrat de travail à temps complet ou d'une pension de vieillesse et n'ont pas bénéficié, au cours de la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, d'indemnités journalières de sécurité sociale d'un montant supérieur à 800 euros ; 6° elles ne sont pas contrôlées par une société commerciale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ; 7° lorsqu'elles contrôlent une ou plusieurs sociétés commerciales au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, la somme des salariés, des chiffres d'affaires et des bénéfices des entités liées respectent les seuils fixés aux 2°, 3° et 4° ; 8° elles ont fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public intervenue entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020 ou elles ont subi une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er mars 2020 et le 31 mars 2020, - par rapport à la même période de l'année précédente ; - ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 ; - ou, pour les personnes physiques ayant bénéficié d'un congé pour maladie, accident du travail ou maternité durant la période comprise entre le 1er mars 2019 et le 31 mars 2019, ou pour les personnes morales dont le dirigeant a bénéficié d'un tel congé pendant cette période, par rapport au chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre le 1er avril 2019 et le 29 février 2020. 

Arnaud Couvelard & Bertrand Desjuzeur

Source : 25 millions de propriétaires • N°mai 2019


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