Saison hiver 2020-2021 : légalité de la fermeture des résidences de tourisme

En ce début de saison d’hiver, un grand nombre de stations « montagne » enregistrent des réservations record. Paradoxalement, certains gestionnaires annoncent que beaucoup de leurs résidences de tourisme resteront fermées pendant cette même période. Analyse.

Tel est par exemple le cas de PIERRE & VACANCES qui n’a ouvert qu’une dizaine de résidences dans les stations ou du groupe haut-savoyard (MGM) qui a décidé de ne pas ouvrir certains de ses sites pour les vacances de fin d’année.

S’il est vrai que le gouvernement n’a pas levé les interdictions d’exploiter les remontées mécaniques, d’ouvrir bars et restaurants pour cause de pandémie COVID prolongée, il n’a pas pour autant ordonné la fermeture administrative de ces mêmes résidences au titre de cette période.

Le motif avancé selon lequel les remontées mécaniques seraient fermées constitue-t-il une raison sérieuse et légitime de cesser l’exploitation d’une résidence de tourisme ?

Il est permis d’en douter. En effet, les touristes peuvent pratiquer d’autres activités tels que le ski de fond, les ballades en montagne, ...

Dès lors se pose la question de la légitimité et au-delà de la légalité de la fermeture partielle ou totale de ces résidences de tourisme.

Et donc des préjudices directs ou indirects que la décision de ces gestionnaires va causer.

En droit, le preneur a en principe l’obligation d’exploiter son fonds de commerce, c’est-à-dire d’exploiter la résidence de tourisme.

Si le preneur n’exploite pas la résidence, le bailleur dispose de moyens de défense.

Obligation d’exploitation

Il n’est pas contesté qu’une résidence de tourisme constitue un fonds de commerce qu’exploitent les gestionnaires preneurs.

Pèse sur ceux-ci l’obligation d’exploitation personnelle et continue du fonds de commerce, à peine de résiliation du bail, notamment en cas de location-gérance irrégulière 1.

L’obligation d’exploiter est une condition d’application du statut des baux commerciaux dont l’inexécution peut constituer un motif grave entraînant la résiliation du bail aux torts du preneur si une clause impose l’exploitation effective et continue du fonds dans les lieux loués 2.

Le bailleur doit vérifier dans son bail s’il existe une clause imposant l’exploitation effective et continue du fonds dans les lieux loués.

Le défaut d’exploitation pure et simple peut être sanctionné par la perte du bail 3.

À noter que la Cour de cassation semble hésitante sur ce point : « la Cour de cassation a jugé pendant longtemps que le défaut d’exploita- tion pouvait être sanctionné par la résiliation du bail. Elle a cependant restreint cette possibilité en considérant plus récemment que l’obligation d’exploiter est une condition d’application du statut des baux commerciaux dont l’inexécution ne peut entraîner la résiliation du bail en l’absence d’une clause imposant l’exploitation effective et continue du fonds dans les lieux loués » 4.

La cessation peut être retenue même si le bail ne comporte pas de clause imposant une obligation d’exploiter puisque la disposition est d’ordre public 5.

Le propriétaire bailleur dispose de moyens juridiques pour faire respecter son bail en cas de défaut d’exploitation du fonds de commerce.

  • Le refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction

L’article L. 145-17-I, 1° du Code de commerce prévoit que la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation d’un fonds de commerce peut constituer un motif grave et légitime de refus de renouvellement 6.

Il peut paraître logique que le locataire qui n’exploite pas son fonds ne puisse avoir droit au renouvellement de son bail. Cependant, ainsi que le précise le texte, la cessation doit être sans raison sérieuse et légitime, ces circonstances étant souverainement appréciées par les juges du fond.

Les magistrats doivent donc rechercher parmi les éléments d’un dossier ceux qui permettent d’établir que la non-exploitation est sans raison sérieuse et légitime. Pour cela, ils peuvent se référer à un faisceau d’indices, comme la baisse du chiffre d’affaires, le départ du locataire du local avant la réception du congé, l’exploitation d’une activité autre que celle qui était autorisée par le bail 7.

Il faudra donc s’attacher à établir que le fonds de commerce n’est plus exploité sur une durée plus ou moins longue, un simple constat d’huissier ponctuel pouvant se révéler insuffisant.

Le bailleur doit prouver non seule- ment l’existence d’un motif, mais également sa gravité et sa persis- tance. Ainsi, il ne suffit pas au bail- leur de justifier d’un manquement, il doit aussi établir que ce dernier s’est poursuivi au-delà du délai d’un mois après la mise en demeure du preneur 8.

  • La résiliation du bail en cours d’exécution

» La résiliation du bail commercial de plein droit fondée sur une faute contractuelle (clause résolutoire)

Chaque bailleur doit vérifier dans son bail s’il existe une clause réso- lutoire et, dans l’affirmative, si cette clause peut concerner un manque- ment lié à l’exploitation du fonds de commerce par le preneur.

En effet, l’inexploitation du fonds ne peut être sanctionnée sur le fondement de la clause résolutoire dont l’application est restreinte au non-paiement des loyers 9.

» La résiliation judiciaire du bail commercial pour inexécution (absence de clause résolutoire ou clause résolutoire inapplicable)

En l’absence de clause résolutoire ou si la clause résolutoire est inapplicable à la cessation de l’exploitation du fonds de commerce, le bailleur pourrait envisager la résiliation judiciaire du bail.

Lorsque l’une des parties ne remplit pas les obligations découlant du bail commercial, la résiliation du contrat peut être sollicitée, soit sur le fondement de l’article 1224 du Code civil, soit sur le fondement de l’article 1741 du Code civil.

Dans l’affirmative, la cessation de l’exploitation pourrait consti- tuer un motif grave justifiant de prononcer la résiliation judiciaire du bail commercial.

La saisine du tribunal judiciaire, en vue de voir prononcer la résiliation du bail sur le fondement de l’article 1224 ou de l’article 1741 du Code civil, n’est pas subordonnée à la notification préalable d’une mise en demeure, et ce même si le bail comporte une clause résolutoire 10.

Autrement dit, le tribunal pourrait être saisi directement par le ou les bailleurs.

Chaque bailleur doit vérifier dans son bail commercial s’il existe une clause résolutoire ou non.

1- Cour de cassation, Chambre civile 3, 30 septembre 2008, 07-11.459.
2- Cass. 3e civ., 13 janv. 2015, n° 13-25.197 ; 16 oct. 2012, n° 11-25.234 ; 10 juin 2009, n° 07-18.618 ; 10 juin 2009, n° 08-14.422. 3-CAParis,Pôle5,ch.3,9 sept. 2015, n° 13/17510 

4 - JurisClasseur Bail à loyer, 15 Septembre 2020, Fabien KENDERIAN.
5 - CA Rouen, 2e ch., 20 janv. 6 - Cass. 3e civ., 22 janv. 2008; CA Paris, 20 déc. 2007; CA Versailles, 5 nov. 2013, n° 12/05419.

7 - CA Bordeaux, 2e ch., 2 déc
8 - Cass. 3 civ., 7 mars 2012,n° 10-22.738.
9 - CA Douai, 3e ch., 27 févr. 2003, n° 01/05250.
10 - Cass. 3e civ., 12 oct. 1988, n° 86-16.101 ; 4 mai 2000, n° 98-18.011 ; CA Nîmes, 1re ch. civ., sect.

Jacques Gobert​ • SCP GOBERT AVOCATS

Source : 25 millions de propriétaires • N°548 février 2021


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