Victimes de squats : amélioration des procédures existantes

Victimes de squats : amélioration des procédures existantes

A la suite d’affaires très médiatisées (squat de « Maryvonne » en 2015 et plus récemment affaire de Théoule-sur-Mer), plusieurs textes visant à protéger les victimes de squats ont été modifiés. Une proposition de loi « tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat » est également en cours d’examen. Il n’est pas facile de s’y retrouver, les procédures mobilisables différant selon le type de local squatté (local utilisé par la victime ou local vacant, utilisation à titre de résidence principale ou de résidence secondaire). Nous tentons ici de les récapituler, sans éluder le fait que des incertitudes demeurent.

Les squats de domiciles : une infraction continue (Code pénal)

Comme nous l’indiquions dans nos colonnes (magazine de février 2018, page 22), l’article 226-4 du Code pénal incrimine désormais aussi bien le fait de s’introduire frauduleusement dans le « domicile d’autrui » que le fait de s’y maintenir. Autrement dit, l’infraction est devenue continue et les services de police ou de gendarmerie ne peuvent donc plus opposer l’écoulement du délai de flagrance pour refuser d’intervenir et, le cas échéant, interpeler les occupants (ce qui permet au propriétaire de récupérer son logement).

Il ressort de plusieurs décisions que le domicile au sens de l’article 226-4 du Code pénal n’est pas seulement le lieu du principal établissement de la victime mais « tout lieu où, qu’elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » (C.Cass. Crim., 13 octobre 1982, 81- 92.708, publié au bulletin). Il parait donc possible d’avoir plusieurs « domiciles » et le propriétaire d’une résidence secondaire, par exemple, semble pouvoir invoquer lui aussi une violation de domicile. On note même que la Cour de cassation a accepté la qualification de violation de domicile à propos d’un domaine protégé appartenant à une personne morale (C.Cass. , Crim., 23 mai 1995, 94-81.141, Publié au bulletin). Le principal est que la victime puisse se prévaloir d’une occupation, ne serait-ce qu’occasionnelle, des locaux squattés. Un propriétaire ne peut donc pas déposer plainte pour des locaux vacants.

Il reste que ces décisions, en plus d’être anciennes, concernaient davantage des intrusions ponctuelles que de véritables squats, et que le terme « domicile » à l’article 226-4 du Code pénal est trompeur. Aussi, des commentateurs rapportent une frilosité des forces de police à interve- nir pour déloger des squatteurs d’une résidence secondaire (par exemple).

Squats de domiciles : le préfet tenu de déloger les squatteurs

Depuis la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement op- posable, il est possible de saisir le préfet en cas d’ « introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte »(article 38). Il s’agit de demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Cela suppose au pré- alable d’ « avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire »« La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures ». Si elle n’est pas suivie d’effet, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement. Cette procédure a été considérablement améliorée par la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, entrée en vigueur le 9 décembre 2020. Tout d’abord, à la différence des dispositions du Code pénal que nous venons d’examiner, il est désormais précisé que la victime peut agir à la suite du squat de tout domicile, « qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale ».

A l’inverse, plusieurs alinéas de l’article 38 faisant référence aux « logements », il faut considérer que le préfet ne peut être saisi qu’à la suite de squats de locaux d’habitation. En second lieu, le préfet a désormais 48 heures pour répondre à la demande d’intervention 1. De même, s’il faut procéder à l’évacuation d’office (la mise en demeure d’avoir à quitter les lieux n’étant pas suivie d’effet), celle-ci doit maintenant avoir lieu « sans délai ». Enfin, le préfet ne peut plus refuser de mettre en demeure le squatteur de partir qu’en invoquant un « motif impérieux d’intérêt général ».

Il faut insister sur le fait que requérir l’intervention du préfet suppose au préalable d’avoir déposé plainte et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire. Ainsi, qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire, la victime doit dans tous les cas faire appel aux forces de police. Si celles-ci n’entendent pas déloger manu militari les squatteurs, celles-ci doivent a minima enregistrer la plainte de la victime et constater l’occupation illicite de son logement, documents qui seront ensuite produits devant le préfet. Les identités relevées à cette occasion serviront d’ailleurs pour l’envoi de la mise en demeure du préfet.

Dans une circulaire du 22 janvier 2021, les ministres de l’Intérieur, de la Justice et du Logement ont lancé un appel à la mobilisation des préfets : « le Gouvernement s’est engagé, lors des débats parlementaires à veiller à l’efficacité et à la rapidité de cette procédure. Il est impératif que vous fassiez preuved’uneparticulièrediligence et de bienveillance dans l’examen des demandes dont vous êtes saisis 2 ».

La circulaire apporte aussi plu-sieurs précisions intéressantes. Concernant la preuve de ce que le logement squatté constitue le domicile du demandeur, « il convient (...) de ne pas faire preuve d’un formalisme excessif et d’accueillir toute pièce pertinente, en tenant compte, le cas échéant, de la circonstance que des preuves peuvent se trouver dans le bien occupé ». Elle rappelle d’ailleurs que, depuis la loi ASAP, l’article 38 de la loi « DALO » prévoit que le préfet peut être saisi par la victime « ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle- ci ». Comme l’indique la circulaire, « cette précision vise notamment à tenir compte des situations dans lesquelles la personne qui y a normalement son domicile est absente de manière temporaire ou prolongée, par exemple lorsque la personne est hospitalisée ou en résidence spécialisée ». Le cas échéant, le tiers demandeur doit justifier d’un mandat pour saisir le préfet.

Concernant les délais, et tout particulièrement le délai de 48 h dont disposent les préfets pour instruire des demandes d’inter-vention, la circulaire précise qu’il leur appartient « de prendre les mesures nécessaires permettant de déterminer le point de départ de ces demandes en procédant notamment à leur horodatage dès réception ». En revanche, la loi ne précise pas quel délai maximum peut être laissé aux squatteurs pour quitter les lieux (seul un délai minimum de 24 heures est prévu), et la circulaire indique que la recherche d’une solution de relogement, en particulier en présence de mineurs ou de personnes vulnérables, « pourra notamment justifier du choix du délai d’exécution fixé dans la mise en demeure ». Il n’est cependant pas question de « faire obstacle à l’évacuation effective des lieux dans un délai raisonnable compatible avec l’impératif de permettre aux victimes de reprendre possession de leur domicile ».

Plus globalement, à l’occasion de la présentation de cette circulaire à la presse, les ministres concernés ont réaffirmé la volonté du Gouvernement de « mettre fin aux occupations illicites qui privent de leur résidence les propriétaires et à ren- forcer leurs droits en facilitant et accélérant les procédures ». Et de promettre que « l’ensemble des services de l’Etat est pleinement mobilisé en ce sens » (communiqué de presse du 22 janvier 2021).

Squats de logements vacants : nécessité d’intenter une action en justice

Les locaux vacants, qu’ils soient ou non à usage d’habitation, ne peuvent faire l’objet d’aucune démarche dans
le cadre du délit de violation de domicile ou de l’article 38 de la loi du 5 mars 2007.
Il faut par ailleurs comprendre que, sauf incriminations très particulières (voir l’article 322- 4-1 du Code pénal qui sanctionne l’installation en réunion sur le terrain d’autrui en vue d’y établir une habitation), l’occupation illicite d’une propriété privée ne relève pas en soi du Code pénal. Comme le notent des commentateurs, « en l’état actuel du droit positif, ni le vol ni l’abus de confiance ne peuvent porter sur un immeuble » (Evelyne Bonis, Romain Ollard, JurisClasseur Pénal Code, Art. 322-1 à 322-4-1, fasc. 20, n°149).
En dehors des « domiciles », requérir l’intervention des forces de police pour mettre rapidement fin à un squat suppose donc de justifier de la commission d’un délit dans le délai de flagrance (généralement présenté comme un délai de 48 heures). C’est le plus souvent des dégradations qui seront invoquées (fracture d’une serrure, bris de vitres, etc.). Notons que « les infractions générales de destruction, dégradation ou détérioration visent un « bien » sans plus de précision, de sorte que ces incriminations ont vocation à s’appliquer à toutes sortes de biens, mobiliers ou immobiliers »(ibidem).

Passé le délai de flagrance, la victime d’un squat n’aura pas d’autre choix que de saisir le tribunal judiciaire en vue de voir prononcer l’expulsion des occcupants. Le propriétaire devra s’armer de patience, même si le tribunal est saisi en référé (sur les démarches à mener, voir 25 Millions de propriétaires, février 2018, page 22).

Néanmoins, le fait que l’action en expulsion concerne des squatteurs exclut plusieurs délais qui profitent habituellement aux personnes sous le coup d’un jugement d’expulsion. D’une part, le sursis applicable pendant la trêve hivernale est écarté « lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait » ; lorsque le squat concerne un autre local qu’un « domicile », le sursis n’est pas automatiquement écarté mais « le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis » (article 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution). D’autre part, et depuis la loi ELAN du 23 mars 2018, le bénéfice du délai de deux mois après un commandement d’huissier d’avoir à quitter les lieux est écarté « lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait » (article 412-1 du même Code).

Une proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat

Fin octobre 2020, la sénatrice Dominique Estrosi Sassone et une centaine de ses collègues ont déposé une proposition de loi « tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat ». Dans sa version adoptée en première lecture par le Sénat le 19 janvier 2021, ce texte incrimine de manière autonome « l’occupation frauduleuse d’un immeuble », défini comme « le fait de se maintenir sans droit ni titre dans un bien immobilier appartenant à un tiers contre la volonté de son propriétaire ou de la personne disposant d’un titre à l’occuper, après s’y être introduit à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ». Le but est ainsi de rendre possible l’intervention des forces de police pour tout squat, et non pas seulement en cas de squat d’un « domicile ». Ce délit serait sanctionné d’une peine d’un an de prison et de 15000 € d’amende, outre la possibilité pour le juge de prononcer à titre de peine complémentaire l’impossibilité pour le squatteur de faire valoir juridiquement son droit au logement pendant trois ans maximum. Seraient également incriminées « la propagande ou la publicité, quel qu’en soit le mode, en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission du délit d’occupation frauduleuse d’un immeuble ». Notons également que l’article premier du texte adopté le 19 janvier 2021 prévoit d’augmenter les peines applicables en matière de violation de domicile. Seraient désormais encourus une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. Comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, il s’agit de « mettre un terme à l’injustice qui sévit en matière de violation de do- micile. En effet, le propriétaire qui expulse de manière illicite un squatteur encourt trois ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende, tandis que le squatteur est passible d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ». Il est vrai qu’un propriétaire qui expulserait de lui-même un squatteur peut être poursuivi pour vio- lation de domicile (aujourd’hui puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 € d’amende) mais aussi sur le fondement d’un nouveau délit créé par la loi ALUR de 2014. Ainsi, le nouvel article 226-4-2 du Code pénal énonce que « le fait de forcer un tiers à quitter le lieu qu’il habite sans avoir obtenu le con- cours de l’Etat (...), à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende ».

Victimes de squats : amélioration des procédures existantes

Ecrivez-nous !
Il est difficile d’obtenir des données précises sur l’application concrète des procédures antisquat. Aussi, nous invitons tous les propriétaires qui seraient ou auraient été confrontés au squat de leur propriété à nous transmettre leur témoignage.
Par courriel : 25millionsdepropriétaires@unpi.fr
Par courrier : 25 Millions de Propriétaires, Courrier des lecteurs, 11 quai Anatole France, 75007 Paris

1- Mais la victime, elle, n’est pas tenu de faire appel au préfet dans les 48 heures du début du squat.

2- Circulaire du 22 janvier 2021 relative à la réforme de la procédure adminis- trative d’évacuation forcée encasde«squat»,NOR: LOGL2102078C.

 

Frédéric Zumbiehl • Juriste UNPI

Source : 25 millions de propriétaires • N°549 mars 2021


Découvrez notre boutique !

Pour :

  • Gérer au mieux votre patrimoine ;
  • Protéger vos intérêts privés ;  
  • Bénéficier de conseils pratiques