Expulsions locatives : la trêve hivernale est prolongée mais les propriétaires sont indemnisés

Expulsions locatives : la trêve hivernale est prolongée mais les propriétaires sont indemnisésLa trêve hivernale 2020- 2021 est prolongée, mais des mesures sont prises pour que les propriétaires en attente de voir exécuter un jugement d’expulsion ne soient pas pénalisés.

En 2020, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19, la fin de la trêve hivernale applicable en matière d’expulsions locatives avait été reportée du 31 mars 2020 au 31 mai 2020 (ordonnance du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale) puis au 10 juillet 2020 (loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions). Cette année encore, l’ordonnance n° 2021-141 du 10 février 2021 relative au prolongement de la trêve hivernale, publiée au JO du 11 février 2021, reporte la fin de la trêve hivernale prévue par l’article L.412-6 du Code des procédures civiles d’exécution « jusqu’au 31 mai 2021 » (article premier). Le Gouvernement était habilité à intervenir en ce sens par l’article 10 de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire (article peu lisible et renvoyant lui-même à la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19). Un projet de loi de ratification devra néanmoins être déposé dans un délai d’un mois à compter de la publication de l’ordonnance. Cependant, grâce notamment à l’action de l’UNPI, l’ordonnance du 10 février 2021 comporte plusieurs précisions intéressantes afin que ne soient pas pénalisés les propriétaires en attente de pouvoir récupérer leur bien après un jugement d’expulsion. 

Responsabilité de l’Etat en cas de refus de prêter main forte à une expulsion

Rappelons ici qu’il est possible d’engager la responsabilité de l’Etat en cas de refus du préfet de prêter son concours à l’exécution d’un jugement d’expulsion. En effet, de manière générale, « l’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécu- toires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation » (article L.153-1 du Code des procédures civiles d’exécu- tion). L’Etat engage sa responsabilité que le refus soit justifié ou non par un motif légitime. Attention : avant de saisir le juge administratif pour être indemnisé, le propriétaire empêché de recouvrer son bien devra obligatoirement adresser une demande d’indemnisation au préfet. En effet, tout recours indemnitaire en justice suppose une décision préalable de l’administration (voir l’article R.421-1 du Code de justice administrative). La demande peut être formée dès le refus exprès de concours de la force publique ou, en cas de non-réponse, deux mois après la réquisition d’intervenir adressée par l’huissier du propriétaire bailleur. Elle peut être adressée par lettre recommandée avec accusé de réception, par le propriétaire ou par son avocat voire son huissier (mais ce dernier doit alors justifier d’un mandat spécial). En pratique, le propriétaire bailleur a de bonnes chances de se voir proposer une indemnisation amiable sous la forme d’une transaction. Une réponse ministérielle de 2008 évoque cette pratique ; conformément à des instructions ministérielles, les préfectures proposent de transiger sur une indemnité de l’ordrede 70% à 80% du préjudice subi par le propriétaire. « Ce dernier évite un contentieux, et l’économie réalisée en frais de procédure ainsi que la rapidi- té du paiement de l’indemnité transactionnelle constituent pour l’intéressé un gain non négligeable en termes de trésorerie. À défaut d’accord amiable avec les services de la préfecture, les bailleurs peuvent naturellement faire valoir leurs droits devant les juridictions administratives » (rép. min. n° 7753 : JOAN 8 janv. 2008, p. 199). Des préfectures, comme celle de Paris, mettent même à disposition sur leur portail internet des formulaires de demandes d’indemnisation pour refus du concours de la force publique. Il est donc conseillé aux propriétaires de consulter le site de leur préfecture ou d’interroger celle-ci sur l’existence de tels formulaires 1. Le cas échéant, de nombreux justificatifs doivent être produits. La préfecture de Paris conseille de s’y prendre en amont pour obtenir entre autres un certificat de non-appel du jugement d’expulsion (à joindre à la demande d’indemnisation). En cas de refus d’indemniser exprès ou de silence gardé pendant deux mois, il convient de saisir le juge administratif.

La période de responsabilité de l’Etat inchangée malgré le report de la trêve hivernale

La période de responsabilité de l’Etat ne démarre qu’à l’issue du délai de deux mois dont dispose le préfet pour répondre à une demande de concours de la force publique. Néanmoins, le Conseil d’Etat a précisé que lorsque le délai de deux mois s’achève au cours de la trêve hivernale, l’Etat ne peut être tenu responsable qu’à compter de la fin de la trêve hivernale en cours (CE, 5 mai 2006, n° 277632). Mais quid alors en cas de prolongement exceptionnel de la trêve hivernale ? En 2020, le ministre du Logement a laissé entendre dans la presse que les propriétaires ne subiraient pas le report de la trêve et seraient au contraire indemnisés pour la période postérieure au 31 mars 2020, date de fin normale de la trêve hivernale. L’ordonnance prolongeant la trêve 2020-2021 inscrit dans le marbre cette règle. Ainsi, « nonobstant les dispositions prévues à l’article 1er, lorsque la responsabilité de l’Etat est engagée à la suite du refus du préfet d’accorder le concours de la force publique pour assurer l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion des occupants d’un logement dans les conditions prévues par la loi, la période de responsabilité de l’Etat retenue pour le calcul de la réparation du préjudice résultant de ce refus débute »...

  • « à compter du 1er avril 2021 dans le cas d’une décision de refus née entre le 1er novembre 2020 et le 31 mars 2021 » (article 2) ; 
  • « à compter de la date de ce refus implicite ou explicite » « dans le cas d’une décision de refus née entre le 1er avril 2021 et le 31 mai 2021 » (article 3). Enfin, l’ordonnance traite du cas où le préfet a accepté d’accorder le concours de la force publique mais où est reportée la date des opérations d’expulsion en raison du prolongement de la trêve hivernale.

Deux cas peuvent se présenter : 

  • si l’expulsion est reportée « de plus de quinze jours »« ce report ouvre droit à réparation pour le bénéficiaire de la décision judiciaire d’expulsion, pour les préjudices résultant du défaut d’exécution de cette décision de justice, au cours de la période courant du 1er avril 2021 jusqu’à son exécution effective » (article 4) ; a contrario, si l’expulsion est reportée de quinze jours ou moins, aucune indemnisation ne serait due (sauf appréciation contraire des tribunaux, le texte de l’ordonnance ne l’excluant pas expressément).
Appel à témoignages
Il est fondamental que les propriétaires empêchés de reprendre possession de leur bien soient correctement indemnisés.
Nous invitons toutes les personnes ayant rencontré des difficultés à ce sujet à nous les reporter.

1- Notons que la ministre chargée du Logement a fait part de son souhait que les procédures d’indemnisation soient dans un avenir proche gérées non par les préfectures – chacune appliquant sa doctrine – mais par le ministère du Logement (RMC/BFMTV, 2 février 2021)

Frédéric Zumbiehl • Juriste UNPI

Source : 25 millions de propriétaires • N°549 mars 2021


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