Jusqu’à la loi Pinel du 18 juin 2014 s’était d’ailleurs développée dans les zones de bonne commercialité, la pratique des baux dits « triple net » où le propriétaire transférait contractuellement au locataire trois postes de dépense particulièrement importants : l’impôt foncier, l’assurance bailleur et les frais de gestion et surtout les « grosses réparations ». On reviendra plus en détail sur la différence entre les grosses réparations et les travaux d’entretien mais on peut déjà comprendre que si le locataire doit s’acquitter du ravalement d’un immeuble ancien, il s’agit évidemment d’une dépense très importante et d’un avantage conséquent pour le revenu que le bailleur tire de son immeuble.
La loi de 2014 est venue porter un coup d’arrêt, au moins partiel, à cette pratique et règlemente aujourd’hui les charges pouvant être transférées.
La loi impose en premier lieu la transparence dans la répartition des charges entre les parties. L’article L. 145-40-2, introduit dans le Code de commerce en 2014, prévoit que « tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôts, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l'indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire. Cet inventaire donne lieu à un état récapitulatif annuel adressé par le bailleur au locataire dans un délai fixé par voie réglementaire. En cours de bail, le bailleur informe le locataire des charges, impôts, taxes et redevances nouveaux. »
L’article R. 145-35 du Code de commerce introduit par le décret du 3 novembre 2014 prévoit quant à lui une liste de 5 types de dépenses relevant normalement du propriétaire et qui ne peuvent pas être mises à la charge du locataire. En négatif on pourra y lire les dépenses pouvant toujours être facturées au preneur.
Il n’est pas possible d’imputer au preneur à bail :
A noter que ce texte ci-dessus ne s’applique qu’aux baux commerciaux conférant la « propriété commerciale » ce qui exclut les baux dits dérogatoires ou les conventions d’occupation précaire.
A contrario, voici donc, sans exhaustivité, les charges qui peuvent être imputées contractuellement au locataire :
Il faut rappeler que dans les limites fixées par la loi, les parties sont libres de prévoir ce qu’elles veulent dans le bail mais qu’il est nécessaire d’être le plus précis possible afin d’éviter un contentieux ultérieur (ce d’autant que la jurisprudence interprète ces clauses de manière restrictive et généralement favorable au locataire). Les parties ont en outre la possibilité de s’inspirer des textes applicables en matière de baux d’habitation (notamment le décret 87-713 du 26 août 1987 qui fixe la liste des charges récupérables par le bailleur sur le preneur / attention ce texte n’étant pas applicable de plein droit aux baux commerciaux, il convient d’y faire une référence explicite).
On remarquera également que le transfert des charges peut avoir une incidence sur l’appréciation de la valeur locative du local. Ainsi, au moment du renouvellement du bail, le juge pourra être amené à fixer, le plus souvent à dire d’expert, la valeur locative du local loué. L’article L. 145-33 du Code de commerce prévoit que « le montant des loyers des baux renouvelés (…) doit correspondre à la valeur locative ». Or cette valeur locative intègre les obligations respectives des parties, c’est-à-dire notamment les charges transférées par le bailleur. La jurisprudence considère donc par exemple que les clauses relatives à la prise en charge par le locataire de l’impôt foncier, notamment dans les communes où il est important, sont des facteurs de diminution de la valeur locative. En clair, cela signifie que si le bailleur fixe un loyer normal et met à la charge du locataire des sommes importantes, le juge pourra revoir le loyer à la baisse, ou du moins s’opposer à son augmentation, au terme des 9 années du bail.
L’article R. 145-35 ci-dessus est d’application immédiate au 5 novembre 2014, mais uniquement aux contrats conclus ou renouvelés à compter de cette date.
Cela signifie logiquement que les baux conclus antérieurement à cette date peuvent valablement contenir des dispositions relatives par exemple au transfert au locataire des grosses réparations. Il en va de même des baux conclus il y a plus de 9 ans et qui se prolongent par tacite reconduction (jugé notamment par CA Paris 9-5-2019 n° 18/20650) ; dans ce dernier cas, le bailleur peut avoir intérêt à différer le plus longtemps possible le renouvellement du bail, sauf évidemment si ce renouvellement est sollicité par le preneur.
Exemples :
Le Code de commerce excluant dorénavant le transfert des grosses réparations dans les baux commerciaux postérieurs à novembre 2014, la ligne de partage entre grosses réparations et travaux d’entretien est importante à tracer. En outre, la question de savoir à qui incombent les travaux qui ne sont pas rangés dans la catégorie des grosses réparations n’est pas tranchée par le Code de commerce en matière de baux commerciaux.
Traditionnellement les grosses réparations sont définies par référence à l’article 606 du Code civil qui prévoit dans un style qui fleure bon le 19ème siècle : « les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières. Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier. Toutes les autres réparations sont d'entretien ».
Dans un vocabulaire plus moderne, sont visées les réparations concernant les éléments structurels de l’immeuble : murs périphériques (façades et pignons), murs porteurs, planchers porteurs, charpente et toiture. En sont donc exclus les éléments de second œuvre : cloisons intérieures, équipements sanitaires, peintures courantes, installation électrique et de chauffage.
Deux types de dépenses vont donc souvent entrer dans les « 606 » : la réfection de la toiture et le ravalement de la façade de l’immeuble (sous les réserves ci-après). On prendra garde toutefois de ne pas confondre ici entretien et réparation ; ainsi, un simple remaniement de la couverture d’un immeuble affecte bien des éléments de son gros œuvre mais n’est pas considéré comme une réparation. Il n’entre donc pas dans le champ de l’article 606 du Code civil. S’agissant du ravalement des façades, la jurisprudence est variable : si le ravalement consiste simplement à dépoussiérer ou à repeindre la façade, il sera plutôt considéré comme une dépense d’entretien ; si au contraire l’opération fait appel à des techniques complexes et coûteuses appliquées à des matériaux de type briquettes ou pierre de taille, la jurisprudence les range généralement dans la catégorie de l’article 606.
Le désamiantage d’un immeuble est invariablement considéré comme une grosse réparation de l’article 606 alors que la pose d’une installation de climatisation ne l’est pas, sauf si par son envergure cette installation est amenée à affecter le gros œuvre de l’immeuble.
En conclusion sur les grosses réparations, on peut dire que la notion n’est pas totalement circonscrite par la jurisprudence et qu’il demeure encore des zones d’ombres.
Toutes les dépenses de réparations et d’entretien qui ne relèvent pas de l’article 606 du Code civil peuvent donc être mises à la charge du locataire par une clause du bail (qui devra être la plus précise possible). Rappelons toutefois que l’article R. 145-35 du Code de commerce prévoit que les dépenses relatives à la vétusté et à la mise en conformité de l’immeuble ne peuvent pas être mises à la charge du locataire si elles relèvent des grosses réparations de l’article 606 du Code civil, c’est-à-dire en pratique si elles concernent des éléments du gros œuvre de l’immeuble.
Pour le cas où le bail serait silencieux, incomplet ou ambigu sur le point des réparations à la charge des différentes parties, voici quelques points de repère :
Laurent Grosclaude, Maître de conférences UT1 Toulouse Capitole
Source : 25 millions de propriétaires • N°556 novembre 2021