ANALYSE - Lors de la création d'une activité hôtelière se pose toujours la question de son organisation juridique, et plus précisément de savoir si les murs et le fonds doivent être logés dans la même structure. Or, si les critères opérationnels et financiers militent plutôt pour une détention séparée, l'analyse de la question sous l'angle de la fiscalité peut conduire à une conclusion diamétralement opposée. Surtout lorsque la transmission de l'activité est abordée.
Par Kevin Lannuzel, avocat fiscaliste associé du cabinet Agil’IT
Enjeu de la structuration de l'activité hôtelière
On observe depuis de nombreuses années une tendance des acteurs du secteur de l'hôtellerie à une séparation de l'activité d'exploitation des murs de celle de gestion du fonds hôtelier dans deux structures juridiques distinctes.
De façon classique, au sein des groupes familiaux, le dirigeant détient une SCI translucide dans laquelle est logé le parc immobilier tandis que l'exploitation hôtelière est confiée à une société commerciale (SAS ou SARL). Les loyers versés par la société d'exploitation permettent d’assurer le paiement de l’emprunt d'acquisition des murs.
Les raisons qui sous-tendent cette organisation sont nombreuses. Il peut s’agir d’objectifs d’efficience managériale, afin de permettre la constitution d’équipes spécialisées autour de chacune de ces deux activités nécessitant des compétences très différentes.
Cette structuration peut aussi répondre à des considérations de liquidité des actifs – la potentielle cession de l’activité hôtelière s’en trouvant fluidifiée – et de protection des biens immobiliers face aux prétentions des créanciers de l'activité de gestion hôtelière.
Plus globalement, ce mode de détention offre de nombreuses possibilités de structuration permettant de répondre de façon plus individualisée aux objectifs patrimoniaux spécifiques aux dirigeants de groupes hôteliers (transmission, rémunération complémentaire, départ en retraite, etc.).
Au vu de ces nombreux avantages, la dissociation semble devoir s'imposer. La réponse doit néanmoins être nuancée dès lors qu'on envisage la question sous l'angle de la fiscalité. Il est en effet nécessaire d'anticiper les impacts fiscaux de la structure mise en place sur les revenus d'exploitation d'une part, mais également sur les produits de cession de l'activité et / ou du bien immobilier d'autre part.
Surtout, les conséquences en matière de transmission transgénérationnelle doivent être rigoureusement maitrisées, notamment afin de sécuriser l'application d'un régime fiscal particulièrement intéressant, le pacte Dutreil.
Le régime fiscal attaché au pacte Dutreil
Les transmissions d'entreprises peuvent être réalisées dans des conditions fiscales très favorables dès lors qu'elles sont mises en œuvre sous les auspices d'un pacte Dutreil. Ce dispositif fiscal permet en effet de bénéficier d'une réduction de 75 % de la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit.
Exergue : Le pacte Dutreil permet de bénéficier d'une réduction de 75 % de la base taxable aux droits de mutation à titre gratuit.
Combiné avec d’autres mécanismes juridiques et fiscaux tels que la donation de titres démembrés ou la réduction de 50 % des droits pour les donations réalisées avant 70 ans, l'effet est redoutable : l'exonération quasi intégrale, dans la plupart des cas, des droits de donation.
La mise en œuvre de l’exonération Dutreil est relativement complexe : elle est soumise à de nombreuses conditions et obligations déclaratives, et plusieurs engagements destinés à assurer la pérennité de l'exploitation sont requis. Le dispositif Dutreil s'inscrit par ailleurs dans une certaine temporalité ; il est nécessaire d'en sécuriser chacune des étapes afin de limiter tout risque de remise en cause par l’administration fiscale.
Étape 1 - La signature d'un engagement de conservation des titres
L'application du régime d'exonération est conditionnée à un engagement collectif de conservation pris par l'auteur de la transmission antérieurement à la donation pour une période minimale de deux ans. Il doit porter sur un minimum de 34 % des titres de la société.
Cet engagement collectif est en réalité peu contraignant. Il empêche simplement la cession des titres à un tiers et impose à son signataire, c’est-à-dire le donataire, l’exercice d’une fonction de direction pendant une certaine durée.
Étape 2 - La donation des titres aux bénéficiaires
La donation des titres peut intervenir à tout moment à compter de la conclusion de l'engagement collectif. Seule contrainte : l’engagement de conservation initial doit être en cours. Dès lors que la date de la donation ne serait pas figée au moment de la conclusion de cet engagement, il est conseillé de prévoir des clauses permettant d'en ajuster la durée.
Les héritiers ou donataires devront alors poursuivre l’engagement collectif jusqu'à son terme, c’est-à-dire pendant une durée minimale totale de 2 ans.
La fonction de direction doit par ailleurs être exercée pendant 3 ans à compter de la date de transmission par le donateur ou par l’un des donataires. La personne qui remplit cette fonction pendant l’engagement collectif de conservation peut continuer à exercer cette fonction.
Étape 3 - L'engagement unilatéral de conservation des titres
Au moment de la transmission, chacun des donataires doit prendre un engagement individuel de conservation des titres transmis pour une durée minimum de 4 années.
Attention, pour que l’engagement individuel de conservation des titres puisse commencer à courir, l’engagement collectif doit avoir pris fin. Comme déjà indiqué, dans l’hypothèse où la donation intervient avant la fin du délai de conservation initial de deux ans, les donataires doivent poursuivre l’engagement collectif de conservation jusqu’à son terme avant de débuter leur engagement individuel de conservation.
Régime fiscal applicable
Dès lors qu'il est maitrisé, l’application du régime Dutreil mène à une réduction d’impôt très significative :
Exemple d'application
Le tableau ci-dessous présente le calcul des droits dus en fonction des modalités de transmission mise en œuvre :
Les droits à verser en l’absence d’application du dispositif Dutreil s’élèvent à 312 678 € par enfant. L’application de l’exonération partielle Dutreil permet de ramener ces droits à 20 347 €, voire à 9 444 € lorsque les titres auront été transmis démembrés.
On le voit, l'application de ce régime conduit à des résultats particulièrement intéressants. Encore faut-il que l'activité exercée y soit éligible.
L'exercice d'une activité opérationnelle au cœur du dispositif Dutreil
Le régime Dutreil est réservé aux seules entreprises, c’est-à-dire à la transmission d'une activité économique à l'exclusion de toute activité de nature civile ou patrimoniale. Ne peuvent donc en bénéficier les activités de gestion par une société de son propre patrimoine mobilier ou immobilier.
Qu'en est-il des activités commerciales dont l'exploitation nécessite la gestion d'un parc immobilier ? Dans le cas d'une activité hôtelière, l'application du régime Dutreil dépendra des caractéristiques de la structure d'exploitation mise en place.
1. Une seule entité a été mise en place : exploitation et détention des murs dans une même entité
Lorsque l'exploitation du fonds hôtelier est réalisée dans la structure détenant les murs, l'application du régime Dutreil à la transmission des titres de la société ne pose pas de difficultés particulières.
Le champ des activités éligibles a été précisé par l'administration fiscale par renvoi aux articles 34 et 35 du code général des impôts définissant les activités industrielles et commerciales (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 15).
Or, l'activité hôtelière est une activité commerciale par nature au sens de ces dispositions. Les murs de l'hôtel détenus par la même société sont considérés comme des actifs affectés à cette exploitation. Ils ne sont pas exploités en tant que tels, mais bien pour les besoins de l'activité hôtelière de la société. Il ne s'agit pas ici d'une activité de gestion d'un patrimoine immobilier ni d'une activité civile.
La transmission des titres de la société peut donc bénéficier du régime Dutreil pour l'intégralité de la valorisation retenue.
2. L'exploitation du fonds et la détention des murs ont été isolées dans deux entités distinctes
Comme déjà évoqué, il arrive fréquemment que les actifs immobiliers soient isolés dans une structure différente de celle portant l'exploitation du fonds hôtelier.
Dans cette hypothèse les titres de la société d'exploitation du fonds pourront bien entendu bénéficier du régime Dutreil. Mais qu'en est-il de la société dans laquelle les murs auront été logés ?
Celle-ci exerce une activité de location immobilière aménagée au bénéfice de la société d'exploitation. Or, comme s'agissant de la location meublée, les textes fiscaux ont tendance à assimiler la location aménagée à une activité économique. C'est le sens de leur imposition dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
De prime abord il pourrait ainsi être avancé que ces activités relèvent du secteur commercial autorisant l'application du régime d'exonération.
Néanmoins, aux termes d'une position contestable, l'administration fiscale a pris le parti d'exclure "les activités de location de locaux meublés à usage d’habitation" (location meublée) et "les activités de loueurs d’établissements commerciaux ou industriels munis du mobilier ou du matériel nécessaire à leur exploitation" (location équipée) du champ d'application du dispositif (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10-§ 15).
Cette doctrine administrative a été vivement critiquée, plusieurs décisions du Conseil d'Etat (CE 29 septembre 2023, n° 473972) et de la Cour de cassation (Cass. com. 1er juin 2023, n° 22-15152) venant l'infirmer.
C'est cependant la position de l'administration fiscale qui a été consacrée par la loi de finances pour 2024 (art. 23,II) qui vient préciser que les activités de gestion par la société de son propre patrimoine mobilier ou immobilier sont exclues du champ d’application du dispositif Dutreil, quand bien même elles présenteraient les critères de la commercialité au sens des articles 34 et 35 du code général des impôts.
Une structuration telle que décrite ci-dessus présente donc de sérieux inconvénients au moment de la transmission de l'activité. D'autant que les murs peuvent représenter une valeur significative.
Une solution peut consister en la mise en place d'une société holding chapeautant les deux filiales.
3. Constitution d'une holding animatrice
Lorsque l'entité dédiée à l'exploitation du fonds et celle dans laquelle les murs ont été logés sont détenues par une même société holding, l'exonération Dutreil est susceptible de s'appliquer à la transmission des titres de la société holding.
En effet, il est admis d'appliquer les dispositions de l'article 787 B du CGI aux transmissions de titres de sociétés holdings animatrices de leur groupe, dès lors que certaines conditions sont remplies.
L'animation du groupe
La société holding doit avoir pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.
Cette animation du groupe doit être organisée bien en amont de la transmission des titres et documentée par un ensemble d'actes juridiques comme des procès-verbaux des réunions du comité stratégique retraçant les discussions sur la conduite de la stratégie du groupe. Les prestations de management en matière de stratégie et de contrôle des filiales doivent être nettement matérialisées, notamment par la production d'une convention d'animation. La preuve de la mise en œuvre par les filiales des orientations stratégiques arrêtées doit également être apportée, notamment par la production des procès-verbaux des organismes de direction en attestant ou des factures de prestations rendues par la holding. Enfin, la comptabilité doit permettre d’attester des coûts engagés par la holding pour l’animation du groupe.
La holding peut également fournir à ses filiales des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers. Ces services, s'ils ne suffisent pas à eux seuls à démontrer l'animation du groupe par la holding, permettent de renformer la démonstration d'une administration du groupe centralisée à son niveau.
Exercée à titre seulement principal
La loi permet l'application du régime Dutreil aux titres de sociétés holdings mixtes dont l'activité d'animation est exercée à titre seulement principal.
La prépondérance de l'activité d'animation de groupe d'une société holding sera notamment retenue lorsque la valeur vénale des titres de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale représente plus de la moitié de son actif total (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 55, 21-12-2021).
Ainsi, dans le cadre d'un groupe hôtelier, la transmission des titres de la société holding animatrice pourrait bénéficier du régime d'exonération Dutreil dès lors que la valeur vénale des titres de la société opérationnelle est supérieure à celle de la société immobilière portant les murs.
Ainsi, l'opportunité de retenir cette structuration résultera de l'analyse des valeurs respectives du fonds hôtelier et des murs.