ANALYSE — Le recours au contrat de crédit-bail immobilier est une technique très populaire d’acquisition de locaux professionnels par les entreprises. Ces dernières ont en effet bien compris l’avantage qu’il présente en termes de financement, notamment lorsqu’il s’agit d’opérations coûteuses, telles que l’acquisition de bureaux ou de locaux hôteliers.
Plus récemment, cette technique de financement a été adoptée par les dirigeants d’entreprises et les investisseurs immobiliers y trouvant un moyen de développer leur patrimoine privé sans obérer de manière trop importante leurs finances personnelles. Or le crédit-bail immobilier, tout incontournable qu’il soit, est un dispositif complexe à appréhender qui demande une bonne maitrise de ses implications juridiques et comptables. Surtout, mal anticipées, ses conséquences fiscales peuvent être ravageuses.
Quel est l’intérêt de recourir au crédit-bail immobilier ?
La technique du crédit-bail immobilier est connue : un établissement de crédit, le crédit-bailleur, va se porter acquéreur d’un bien immobilier qu’il va louer au crédit preneur pour un loyer défini. Le crédit-bailleur a certes la propriété du bien pendant toute la durée du financement, mais le contrat de bail permet au crédit preneur d’en avoir la disposition. À l’issue de l’opération, le crédit preneur pourra acquérir le bien immobilier objet du financement, souvent pour un montant symbolique ; il exerce alors l’option d’achat prévue au contrat. Le crédit-bail permet ainsi à un investisseur d’acquérir un bien immobilier sans s’endetter de façon importante ou ponctionner lourdement sa trésorerie. La contrepartie de la mise à disposition du bien est le versement d’une redevance de crédit-bail – le loyer – incluant deux composantes : l’amortissement du coût de l’immeuble et le coût du financement de l’opération.
Quel est le régime fiscal du crédit-bail Immobilier ?
Pendant la durée de vie du contrat, les redevances de crédit-bail sont déductibles, mais seulement dans certaines limites : il est considéré que les loyers versés au cours des premières années de crédit-bail correspondent aux frais d’acquisition et à l’amortissement des constructions que le preneur aurait pu pratiquer. Ces loyers sont intégralement déductibles. Seule la part des redevances correspondant à l’amortissement du terrain ne peut faire l’objet d’aucune déduction. Il s’agira des loyers versés en fin de période de crédit-bail. Le crédit-bail permet ainsi de bénéficier d’un avantage fiscal intéressant par rapport à d’autres modes de financement : l’amortissement accéléré du bien pendant la durée de vie du contrat par le bais de la déduction des redevances. Cet avantage correspond à la différence entre la quote-part de redevances déductible et l’amortissement que le locataire aurait pu déduire s’il avait été propriétaire du bien.
En fin de contrat de crédit-bail, lors de la levée de l’option d’acquisition, le crédit preneur devra verser une somme établie à l’avance, souvent peu significative, pour accéder à la propriété du bien. Il devient alors propriétaire du bien, ce qui entraine des conséquences fiscales, notamment l’imposition d’une plus-value d’acquisition du bien égale à :
• La valeur totale du bien lors de la signature du contrat
• Diminuée du prix de levée de l’option d’achat
• Diminuée des sommes que le locataire aurait pu déduire s’il avait été propriétaire de l’immeuble depuis cette date (les amortissements que le locataire aurait pu pratiquer principalement)
• Diminuée de la quote-part de loyers non déductibles Ainsi, l’avantage fiscal lié au sur amortissement du bien est intégralement repris au moment de la levée de l’option, ce qui peut entrainer une fiscalité lourde en fin de contrat.
Quelle structure mettre en place dans le cadre de l’acquisition des locaux professionnels ?
Comme pour n’importe quel actif immobilier professionnel, l’investisseur aura le choix soit de loger le contrat de crédit-bail directement dans sa société opérationnelle ayant l’usage des locaux objet du contrat, soit de le loger dans une SCI dont il sera associé.
La détention des actifs immobiliers par la société opérationnelle est à déconseiller
Il n’est généralement pas recommandé de loger l’immobilier d’entreprise directement au sein de la société opérationnelle. La principale contrainte réside dans l’impact de la détention du bien immobilier sur la valorisation de la société opérationnelle qui le détient. Cette situation peut complexifier la cession des titres à un tiers, rendant l’opération beaucoup plus onéreuse. Par ailleurs, le cédant peut souhaiter conserver l’actif immobilier, par exemple pour continuer à bénéficier du paiement des loyers malgré la cession de l’activité opérationnelle. Or, toute tentative de réorganisation immobilière antérieure générera des coûts fiscaux non négligeables. Le risque sera alors la cession de l’immeuble à un prix minoré afin de faciliter l’opération.
La détention des actifs immobiliers par le dirigeant au travers d’une SCI
La détention du bien immobilier par le dirigeant, directement ou au travers d’une structure de détention, présente de nombreux avantages. Cela permet au chef d’entreprise de se constituer un patrimoine privé par le biais du paiement des loyers par sa société d’exploitation et d’anticiper et optimiser la transmission de son patrimoine (transfert de tout ou partie des titres, en pleine propriété ou en nue-propriété, transmission échelonnée, etc.). L’un des schémas les plus classiques est l’acquisition de l’immobilier d’entreprise via une SCI détenue par le dirigeant. Cette dernière s’endette afin d’acquérir l’immeuble qui sera loué à la société d’exploitation. Alternativement, le financement peut être réalisé par le biais d’un crédit-bail. Les loyers versés permettent d’assurer le paiement des redevances de crédit-bail et ainsi de faire financer l’acquisition de l’immeuble par l’activité opérationnelle.
Quel régime d’imposition de la SCI est le plus optimum ?
Le régime de la SCI à l’IR Traditionnellement, une SCI est assujettie à l’IR (1). Elle le restera tant qu’elle n’exerce pas d’activité commerciale (location aménagée au cas particulier), sauf option expresse pour l’IS (2). Le résultat de la société, positif ou négatif, est alors imposé directement au niveau de chaque associé par transparence fiscale. 1) Impôt sur le revenu. / 2) Impôt sur les sociétés.
• Pendant la durée de vie du contrat de crédit-bail, le résultat de la société sera composé des loyers perçus par la sous-location des locaux à la société opérationnelle et, à ce titre, sera imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (ci-après BNC) (BOI-RFPI-CHAMP-10-30 n° 80). Les redevances de crédit-bail seront déductibles du résultat de la SCI, dans les limites évoquées ci-dessus permettant ainsi de limiter la fiscalisation des loyers.
• La levée de l’option de crédit-bail aura des conséquences financières très favorables dans le cadre de la SCI assujettie à l’IR :
> L’avantage lié au suramortissement, dont le montant peut être significatif, devra être réintégré et sera imposé directement au niveau de l’associé de la SCI selon le barème de l’impôt sur le revenu.
> Par ailleurs, la levée d’option d’achat se traduit par un changement de nature de l’activité exercée : elle passe de la sous-location à une activité de location directe, taxable dans la catégorie des revenus fonciers. En raison de ce changement de régime fiscal, la plus-value latente portant sur le bien objet du crédit-bail est immédiatement imposable. Cette plus-value est calculée d’après la valeur vénale de l’immeuble déterminée à la date de levée d’option Il est néanmoins possible de demander le report de l’imposition de cette plus-value jusqu’à la date à laquelle intervient la transmission de l’immeuble notamment.
> Enfin, les loyers perçus par la SCI à partir de cette date ne sont plus diminués de redevances de crédit-bail et sont intégralement imposables dans la catégorie des revenus fonciers au niveau des associés. La fiscalité des revenus peut alors vite devenir confiscatoire. Pour un contribuable dont le taux marginal d’imposition (ci-après « TMI ») est de 45 %, les revenus fonciers seront imposables au taux global de 62,20 % (en tenant compte des prélèvements sociaux et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus).
L’option pour la SCI à l’IS
Afin de fortement limiter les conséquences fiscales défavorables liées à la levée de l’option d’achat, il peut être intéressant d’opter pour l’imposition des revenus à l’IS. Le principe est identique à celui du schéma de la SCI à l’IR, mais la SCI opte pour l’IS. Le résultat de la société reste alors imposable au niveau de la société. Les associés ne sont imposés qu’en cas de distribution du bénéfice.
• Pendant la durée de vie du contrat de crédit-bail, les modalités de détermination du résultat de la société sont globalement identiques à celles relatives à la SCI assujettie à l’IR. La différence se situe au niveau du régime d’imposition des loyers qui seront assujettis à l’IS au taux de droit commun (soit 15 % et 25 % au-delà de 42 500 €). Au-delà de ces considérations, le choix de la SCI assujettie à l’IS peut également répondre à un objectif d’allégement de l’effort de trésorerie nécessaire à l’acquisition par une diminution de l’imposition des revenus des associés pendant la détention du bien.
• C’est lors de la levée de l’option de crédit-bail que l’option pour l’IS présentera un réel avantage :
> L’avantage fiscal lié au suramortissement du bien devra également être réintégré au résultat de la société, mais l’impact financier sera circonscrit à la SCI et le taux d’imposition sera limité au taux normal de l’IS, soit 25 %. Cela peut présenter un réel avantage pour les associés ayant déjà un taux marginal d’imposition élevé.
> Surtout, le passage d’une activité de sous-location à une activité de location ne se traduit pas par un changement de régime fiscal, les revenus étant imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Ainsi, lorsque le contrat de crédit-bail est conclu par une SCI assujettie à l’IS, la levée de l’option d’achat n’entraîne pas l’imposition de la plus-value latente portant sur les locaux. Les contrats de crédit-bail étant généralement conclus pour de longues périodes, l’impact financier peut être très significatif.
Par ailleurs, après la levée de l’option, le régime de l’IS permettra à la SCI de déduire la quasi-intégralité des charges, et notamment des frais d’acquisition et de l’amortissement du bien (charge représentative de la dépréciation liée à l’usage du bien), ce qui diminue fortement l’assiette imposable.
Quel impact de la structuration sur la cession de l’immeuble ?
Comme nous l’avons vu, le régime de la SCI assujettie à l’IS semble être le régime le plus favorable, en ce qu’il permet de limiter les conséquences fiscales liées à l’option d’acquisition du bien, de diminuer l’effort financier de l’investisseur s’agissant du paiement des loyers et d’optimiser la déduction des charges et des amortissements au niveau du calcul du résultat de la SCI. Au moment de la cession de l’immeuble par la SCI, l’avantage du régime de l’IS est moins net. Les plus-values de cession seront imposables selon le régime des plus-values professionnelles, régime plus pénalisant que celui applicable aux SCI assujetties à l’IR détenues par des associés personnes physiques en raison de la reprise des amortissements et de l’absence d’application d’abattement pour durée de détention. On constate généralement que malgré cela, la SCI à l’IS sera globalement plus avantageuse que la SCI à l’IR, même si une analyse propre à chaque situation doit être réalisée.
L’optimisation du schéma de détention : apport de l’usufruit temporaire des parts de la SCI à une société à l’IS
Une fois l’option d’acquisition levée, l’usufruit des parts de la SCI est cédé, pour une certaine durée, à la société d’exploitation assujettie à l’IS. Ce schéma permet, sous certaines conditions, de bénéficier du meilleur régime fiscal, que ce soit en phase de détention ou en phase de cession :
> Pendant la période de détention du bien : le résultat courant de la SCI (c’est-à-dire les loyers principalement) revient à l’usufruitier, c’est-à-dire la société d’exploitation. Il sera donc imposable en application des règles de l’IS, ce qui permet de déduire l’intégralité des charges et l’amortissement du bien. L’effort de trésorerie nécessaire à l’acquisition du bien s’en trouve considérablement allégé.
> En cas de cession du bien, que ce soit pendant la période de démembrement ou non, la plus-value revient au dirigeant et sera imposable en application du régime des plus-values des particuliers, c’est-àdire après application de l’abattement pour durée de détention et sans reprise des amortissements pratiqués.
Attention néanmoins, ce schéma est délicat à mettre en oeuvre et nécessite de s’assurer de l’intérêt à agir de la société opérationnelle. L’accompagnement par un professionnel qualifié nous parait ici indispensable.