La mobilité électrique gagne aussi les immeubles

ÉVOLUTION — La conversion de masse a débuté. Poussée par l’Europe et la décarbonation, la voiture électrique doit progressivement effacer ce bon vieux moteur thermique. Et l’immobilier aussi va devoir s’adapter : qui dit voiture électrique, dit recharge. On compte de plus en plus de bornes dans le domaine public, elles doivent encore se démultiplier dans le résidentiel. Pour la promotion de la mobilité électrique, ce mix recharge publique-recharge privée apparaît indispensable selon Antoine Herteman, président de l’association Avere-France. Propos recueillis par Christophe Demay

 

Pourquoi la question de la recharge apparaît-elle essentielle ?

La voiture électrique, synonyme d’énergie décarbonée, jouit plutôt d’une bonne image auprès des Français. Pourtant, s’ils devaient demain changer de véhicule, la plupart n’envisagent pas l’électrique. Plusieurs freins contrarient encore l’essor de la voiture électrique : son prix bien sûr, la question de l’autonomie et celle de la recharge. Où vais-je pouvoir recharger mon véhicule ? La question est d’autant plus présente chez les personnes habitant en logement collectif. On le voit à travers les enquêtes : alors que 45 % des Français vivent en appartement, cette population ne représente aujourd’hui que 15 % des usagers de la voiture électrique.

 

En termes de recharge aujourd’hui, où en sommes-nous ?

Depuis 2021, en collaboration avec le ministère de la Transition écologique, l’Avere-France édite un baro- mètre afin de suivre le développement de la recharge. Aujourd’hui, nous comptons 47 000 stations pour 150 000 points de recharge publics sur le territoire français dont 15 000 en très haute puissance avec plus de 150 kW pour permettre une recharge rapide lorsque le véhicule est adapté. Il s’agit des bornes en accès libre dans les villes avec des places dédiées, les stations-services, les centres commerciaux, etc. Les grandes surfaces ont compris leur intérêt, elles ont intégré les bornes de recharge à leur business modèle, et elles équipent leurs parkings bien qu’elles ne bénéficient plus de subventions. Cette recharge publique se développe vite. Entre 2023 et 2024, elle a augmenté de 36 %, ce qui équivaut aujourd’hui à 3 000 à 4 000 nouveaux points de recharge en France chaque mois. Un chiffre que l’on doit comparer aux 11 000 stations-services présentes sur le territoire. Cette recharge ouverte au public est-elle suffisante pour répondre aux besoins actuels ? Aujourd’hui, nous sommes correctement dimensionnés en recharge ouverte au public par rapport au nombre de véhicules en circulation. L’objectif fixé par le gouvernement de 100 000 bornes a été atteint dès la fin 2022. L’ambition est désormais de disposer de 300 000 à 400 000 bornes de recharge publiques à l’horizon 2030.

Le nombre de bornes est important si on veut offrir un taux de disponibilité satisfaisant : l’usager accepte d’attendre cinq minutes à une station-service pour remplir son réservoir, la recharge électrique publique doit aussi être disponible dans des délais compa- rables. Ce qui suppose de démultiplier les installations dans les zones de forte densité, mais sans délaisser pour autant les autres territoires. La recharge doit être disponible partout, même sur le plateau des Millevaches dans le Limousin. Il est nécessaire de rassurer les gens et de lever les freins sur l’autonomie et la crainte de ne pas trouver une borne de recharge. Notre souci est de développer les infrastructures avec un temps d’avance sur le parc automobile et en prêtant une attention particulière au bon maillage territorial et au bon « mix » de puissances.

 

Et c’est sans compter la recharge privée…

Le mix recharge publique-recharge privée est essentiel pour rendre la voiture électrique attrayante. Aujourd’hui, 63 % des utilisateurs rechargent leur véhicule à domicile. C’est à la fois pratique et confortable puisque la recharge s’effectue en temps masqué durant la nuit. C’est aussi économique parce que le prix du kWh à la maison se révèle inférieur à la recharge publique et permet de réduire significativement le coût des déplacements : 3 € aux 100 km contre 10-12 € avec un véhicule thermique. Les nouveaux usages vont encore encourager cette recharge privée. Je pense par exemple au smart charging qui permet de décaler la charge dans la nuit en bénéficiant d’un meilleur tarif et d’éviter le pic de consommation électrique du début de soirée. Nous avons aussi le V2H (vehicle-to-home) qui permet de redistribuer l’énergie de la batterie au réseau domestique. La voiture électrique a un impact sur l’environnement immobilier.

 

Et dans les immeubles collectifs ?

La recharge est plus difficile à mettre en œuvre. En maison individuelle, la plupart des propriétaires de véhicules électriques rechargent à l’aide d’une prise classique ou d’une prise renforcée. C’est simple et c’est sans doute ce qui explique pourquoi 85 % des utilisateurs de véhicules électriques vivent en maison individuelle. On rentre chez soi après le travail, on branche son véhicule qui se recharge durant la nuit. Le développement des services autour du pilotage et des flux directionnels renforcera l’intérêt d’une borne en résidence individuelle. En collectif, la recharge privée apparaît plus compliquée puisqu’elle passe souvent par la copropriété. Elle se développe néanmoins. Aujourd’hui, 9 200 immeubles en France disposent d’une installation collective et 30 500 copropriétés ont validé un schéma d’infrastructure collective. Cela représente 12 % du parc. C’est loin d’être suffisant, mais nous y travaillons : inutile d’attendre l’achat d’un véhicule électrique pour installer une infrastructure collective et même un point de charge à son emplacement, le coût de l’investissement est aujourd’hui réduit de moitié par les subventions et il se retrouve dans la valorisation du bien.

 

La réglementation tente pourtant de promouvoir l’installation de bornes dans le collectif…

La règlementation a en effet évolué, notamment avec la loi LOM (Loi d’orientation des mobilités, 2019, ndlr). Dans le neuf, il n’existe pas d’obligation d’installer des bornes de recharge : il n’y a pas encore de besoin puisque la grande majorité du parc automobile demeure thermique. Mais les constructeurs doivent cependant anticiper sur les usages futurs : lorsque l’immeuble compte plus de 10 places de stationnement, ils ont une obligation de précâblage pour l’ensemble des parkings afin de faciliter l’installation de bornes dans l’avenir.

 

Et dans les immeubles existants ?

La seule obligation pour les copropriétés est d’aborder le sujet en assemblée générale. Le syndic est tenu d’inscrire à l’ordre du jour la réalisation d’une étude sur la capacité de l’installation électrique existante à supporter des équipements de recharge, ainsi que les travaux à réaliser. Cette obligation est applicable lorsque l’immeuble possède des emplacements de stationnement d’accès sécurisé à usage privatif. C’est seulement une obligation d’information, la copropriété n’a bien sûr aucune obligation de voter les travaux. En revanche, le particulier, propriétaire ou locataire, dispose d’un « droit à la prise » en copropriété. Pour faciliter la mobilité électrique, le copropriétaire ou son locataire peut en principe s’affranchir d’un vote en assemblée générale et installer une borne de recharge sur sa place de stationnement. Il est simplement tenu d’en informer le syndic.

 

L’information est-elle passée auprès des copropriétés ?

Nous y travaillons, notamment aux côtés de l’UNPI, de l’UNIS et de la FNAIM afin d’apporter aux copropriétés une information complète et transparente. Il est essentiel de lever les freins pour accélérer le déploiement de la recharge à domicile tout en rendant le passage à l’électrique attrayant. La fin du véhicule thermique est programmée, chacun sait qu’il devra y passer, mais évitons les conversions forcées. Même s’il existe une obligation d’information en AG sur la recharge électrique, celle-ci est parfois négligée, noyée dans la masse des sujets multiples et variés que le syndic a déjà à traiter. En assemblée générale, le sujet risque souvent de déraper en débat sur la voiture électrique. Il y a un énorme besoin de pédagogie. Les bornes de recharges restent encore une nouveauté pour le grand public avec de nombreuses idées reçues. En fait, les copropriétés ont souvent un peu peur de se lancer dans des travaux dont elles ne voient pas toujours l’utilisation à court terme.

 

Les copropriétés craignent peut-être une dépense élevée…

C’est justement une idée reçue. Le prix moyen d’une borne de recharge dans une copropriété coûte de 1 000 à 2 000 euros. Mais il faut prendre en compte le crédit d’impôt de 500 euros pour l’installation d’une borne à domicile, sans conditions de revenus. Grâce au programme de CEE (certificats d’économies d’énergie) Advenir piloté par l’Avere-France, les copropriétés peuvent également bénéficier d’une subvention de 600 euros supplémentaires par borne et une aide couvrant 50 % de l’investissement dans l’infrastructure collective. Si on fait le calcul, le coût d’installation d’une borne de recharge apparaît finalement réduit, mais peu de propriétaires le savent aujourd’hui. L’information est un élément clé au même titre que les aides.

 

L’Avere-France, promoteur des mobilités électriques depuis 1978

Ce n’est pas parce qu’on en parlait moins avant que ça n’existait pas. Même si elle véhicule une notion de modernité, la mobilité électrique reste un vieux sujet. L’Avere-France a vu le jour en 1978 sous l’égide de l’Union européenne qui a créé des associations dans chacun de ses Etats membres. L’objectif à l’époque ? Dans un contexte de crises pétrolières, l’Europe souhaitait promouvoir les mobilités électriques, toutes les mobilités électriques : les voitures bien entendu, mais aussi les deux-roues, les bateaux, les poids lourds…L’association française, une des plus significatives en Europe, compte de nombreux acteurs : des énergéticiens (comme EDF ou Engie), des constructeurs de véhicules, des associations, des banques, des collectivités, des fabricants de bornes de recharge, des loueurs de véhicules, des gros utilisateurs (comme la Poste), etc. Elle apparaît aujourd’hui un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, systématiquement consulté sur les questions de mobilité électrique, mais aussi un important subventionneur. à travers le programme de certificats d’économies d’énergie (CEE) Advenir, doté de 500 millions d’euros, elle finance l’installation de bornes dans le résidentiel collectif et au sein des collectivités territoriales.