Le 15 avril 2021, un an après son entrée en vigueur, la loi sur le plafonnement des loyers à Berlin (Mietendeckel) a été jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle fédérale allemande (Bundesverfassungsgericht). Cette décision de la plus haute juridiction allemande fait suite à une plainte déposée par 284 membres du Bundestag allemand, issus des partis libéraux et conservateurs, qui mettaient en doute la compétence du Land de Berlin à légiférer sur la politique des loyers. La Cour constitutionnelle fédérale a statué que : “Les États ne sont autorisés à légiférer que tant que le gouvernement fédéral n’a pas fait usage de ses pouvoirs législatifs”. En l’état, la réglementation des loyers relève du champ d’application d’une législation fédérale concurrente, puisque le gouvernement fédéral a adopté le Mietpreisbremse (frein aux loyers - forme atténuée de contrôle des loyers), qui permet aux municipalités de limiter les prix dans les endroits exigus à dix pour cent au-dessus du loyer comparatif local pour les nouveaux baux. Selon le tribunal de Karlsruhe, le plafonnement des loyers à Berlin régit essentiellement la même situation que le frein à loyer, mais interviendrait encore plus fortement dans la liberté contractuelle des locataires et des propriétaires que la réglementation fédérale.
Le plafonnement nominal du niveau des loyers appliqué à Berlin depuis février 2020 est une résurgence des types de contrôle des loyers de “première génération” qui avaient largement disparu depuis les années 1980. Cette mesure unique a touché 1,5 million d’appartements à Berlin, gelant les loyers à leur niveau du 18 juin 2019 pour une période de 5 ans. Les nouveaux loyers ne pouvaient pas dépasser ce niveau et, à partir de novembre 2020, les loyers existants qui le dépassaient encore devaient être réduits.
La loi sur le plafonnement des loyers ne s’appliquait pas aux logements résidentiels financés par des fonds publics, comme les logements sociaux, car le propriétaire, le Land de Berlin, avait précédemment déclaré qu’il renoncerait temporairement à toute augmentation de loyer. De même, les appartements rénovés ou modernisés à l’aide de fonds publics et soumis à des conditions strictes de fixation de loyers, les unités résidentielles dans les dortoirs, les espaces de vie détenus par des institutions sociales reconnues par l’État n’étaient pas inclus dans le champ d’application. En outre, afin de prévenir la pénurie de nouvelles constructions et de nouveaux logements, il ne s’appliquait pas aux nouveaux logements ou aux anciens espaces vacants nouvellement réhabilités mis sur le marché après le 1er janvier 2014.
Cette réforme, mise en place par la coalition gouvernementale “rouge-vert-rouge” de la ville de Berlin entre les trois partis politiques allemands de gauche, était censée donner aux locataires un “répit” et stopper la hausse des loyers dans ce qui était auparavant l’une des capitales les moins chères d’Europe. Pourtant, après un an de mise en œuvre, des données empiriques commençaient déjà à montrer des signes de possible effet boomerang de la mesure sur le marché du logement.
Ces données, notamment celles de l’Institut Ifo de Munich, corroboraient les tendances traditionnellement observées dans les systèmes de contrôle des loyers: la création d’un double marché du logement - avec un grand marché réglementé (pour les logements d’avant 2014) et un marché beaucoup plus petit pour les nouveaux logements non réglementés (ceux d’après 2014). Si les loyers ont, sans surprise, baissé sur le marché réglementé et que les prix des logements ont suivi la courbe descendante (les propriétaires quittant le marché), l’offre d’appartements s’est pratiquement figée - d’autres sources mentionnaient déjà que l’offre avait périclité - ce qui laissait déjà envisager qu’une éventuelle pénurie de logements locatifs n’était pas à exclure à l’avenir. D’autre part, les loyers sur le marché non réglementé ont augmenté beaucoup plus rapidement que dans les autres grandes villes allemandes et les objectifs de construction d’au moins 20000 nouveaux logements berlinois par an ont été entravés par les contraintes traditionnelles (permis, planification, pénurie de terrains, etc.) et par la prudence et la méfiance des investisseurs créées par un environnement hostile et le risque que leurs nouvelles constructions tombent sous le coup du régime de plafonnement des loyers après la période d’exemption initiale. La probabilité d’assister une fois de plus à une réglementation trop stricte des prix des loyers qui protège les locataires en place sur le marché, mais avec des effets négatifs pour les outsiders n’était donc pas loin. En outre, la mesure a également envoyé un mauvais signal pour l’agenda climatique. Si le plafonnement des loyers permettait une augmentation du loyer dans le cadre d’une modernisation due à une obligation légale, d’une isolation thermique ou d’autres mesures d’économie d’énergie, de l’installation d’un ascenseur ou de la suppression de barrières, le loyer ne pouvait pas être augmenté de plus de 1 euro par mètre carré et ne pouvait pas dépasser le loyer maximal de plus de 1 euro par mètre carré, ce qui n’incitait pas suffisamment les propriétaires à procéder à des investissements.
La décision de la Cour constitutionnelle fédérale est effective ex tunc et non ex nunc. Cela signifie que la loi est déclarée nulle et non avenue dès son entrée en vigueur et que, dans de nombreux cas, les propriétaires devraient avoir un droit de recours. En d’autres termes, les propriétaires dont le loyer a été abaissé de manière inconstitutionnelle ont désormais le droit de récupérer leur argent auprès des locataires et une grande partie des loyers qui ont été abaissés en violation de la loi fondamentale doivent être payés à terme échu de manière rétroactive - pour la période comprise entre novembre 2020 et maintenant. Si certaines grandes sociétés immobilières ont déjà commencé à annoncer qu’elles ne demanderont pas de différences de loyer rétroactives, une décision qui pourrait également être suivie par de plus petits propriétaires au cas par cas, cette situation malheureuse démontre l’irresponsabilité d’une mesure en quelque sorte populiste. Les autorités berlinoises au pouvoir ont littéralement placé une épée de Damoclès au-dessus de la tête de leurs électeurs, en appelant à plusieurs reprises les locataires berlinois à garder de côté l’économie de loyer effective en cas de décision de la plus haute juridiction.
Cette décision ne concerne que le gel des loyers à Berlin, alors que le système fédéral de contrôle des loyers s’applique toujours en Allemagne et que d’autres mesures, telles que l’interdiction de faire passer l’usage des logements de la location à l’occupation par le propriétaire, ont toujours un impact sur le marché du logement. En outre, la décision ne porte que sur la compétence législative fédérale et non sur le fond du dispositif. Les partisans de cette forme sévère de contrôle des loyers appellent déjà à un type de gel des loyers basé sur le niveau fédéral avant les prochaines élections fédérales. Pourtant, s’il n’est pas possible de tirer des preuves et des conclusions solides dans un laps de temps aussi limité, les schémas traditionnels des effets pervers du contrôle des loyers apparaissent déjà, suggérant que de telles mesures, loin de constituer un remède aux problèmes de logement à Berlin et potentiellement en Allemagne, pourraient au contraire les aggraver. Pire, de telles politiques et leurs résultats créent un niveau de défiance et de ressentiment parmi les acteurs du logement au lieu de promouvoir une politique bien planifiée et équilibrée de la part du gouvernement, qui permettrait à toutes les parties concernées de jouer à armes égales. Ce qui reste à voir, c’est si des leçons sont effectivement tirées.
Emmanuelle Causse, Secretary General, International Union of Property Owners
Source : 25 millions de propriétaires • N°552 juin 2021