Le contentieux de l’urbanisme est d’actualité

Les pouvoirs publics s’efforcent depuis plusieurs années de réduire les délais et le volume du contentieux de l’urbanisme, pour ne pas contrarier les efforts de construction de logements. La loi ELAN du 23 novembre 2018 s’est inscrite dans ce mouvement. Ce thème est d’actualité a plusieurs titres. Un récent décret de la loi a fixé des mesures d’application, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L 600-13 du code de l’urbanisme et le Conseil d’Etat a fourni un avis d’interprétation sur l’article R 600-1.

Un décret d’application

Le décret du 10 avril 2019 est pris pour l’application de l’article L 600-5-2 du code de l’urbanisme, créé par la loi ELAN. Il vise à éviter des recours en cascade dans un recours contre un permis de construire. Si une procédure est engagée contre un permis de construire et qu’un permis modificatif a été obtenu, le permis modificatif ne peut être contesté que dans le cadre de l’instance initiale. Il faut pour cela que la mesure de régularisation ait été communiquée aux parties à l’instance. Le décret du 10 avril prévoit deux mesures d’application, l’une concerne la notification du recours, l’autre la cristallisation des moyens.

L’article R 600-1 du code de l’urbanisme prévoit une règle d’information : en cas de recours contre un permis de construire, l’auteur du recours est tenu de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. La règle est impérative ; elle est imposée à peine d’irrecevabilité du recours. Cet article est modifié pour tenir compte de la règle nouvelle de l’article L 600-5-2 : elle ne s’applique pas en cas de contestation du permis modificatif. Cette précision s’explique du fait que le recours restant concentré sur le contentieux initial, il n’est donc pas utile de notifier spécifiquement le nouveau recours. Le décret du 17 juillet 2018 avait prévu diverses règles de contentieux de l’urbanisme. Il avait institué une règle dite de cristallisation des moyens qui permet au juge de fixer une date au-delà de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer d’arguments nouveaux dans la procédure (art. R 600-5). La date de principe est fixée à deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. L’article R 600-5 est complété pour le cas de la mesure de régularisation prévue à l’article L 600-5-2 : la date de cristallisation des moyens intervient dans le délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense concernant le permis modifi- catif.

Une censure constitutionnelle


Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L 600-13. Cet article était issu de la loi du 27 janvier 2017 et il prévoyait une règle drastique pour éviter les contentieux dilatoires. Il frappait de caducité la requête introductive d’instance lorsque, sans motif légitime, le demandeur ne produisait pas les pièces nécessaires au jugement de l’affaire, dans un délai de trois mois à compter du dépôt de la requête.

Le Conseil constitutionnel reconnait d’abord que le législateur poursuit un objectif d’intérêt général lorsqu’il tend à lutter contre les recours dilatoires. Mais il critique ensuite les modalités de la mesure : le juge peut prononcer la caducité de la requête sans être tenu d’indiquer préalablement au requérant les pièces manquantes et la décision de caducité ne peut pas être rapportée par la seule production des pièces manquantes. Le Conseil en déduit que le droit à un recours juridictionnel effectif a subi une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi. Dans une décision du 19 avril 2019, il a donc jugé l’article L 600-13 contraire à la Constitution. Toutefois, cet article a déjà été abrogé par la loi ELAN. Il est donc de fait remplacé par d’autres mesures de procédure et notamment par la règle de cristallisation des recours.

Un avis du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat a donné un avis sur la portée de la règle de la notification des recours de l’article R 600-1. La question était de savoir si la notification était nécessaire lorsque le demandeur d’un permis, s’étant vu opposer un refus, engage une action pour obtenir l’annulation du refus et qu’il obtient gain de cause devant le tribunal. Le Conseil d’Etat indique à cette occasion que l’objectif de la mesure est de permettre au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme et à l’auteur de la décision d’être informés à bref délai de l’existence d’un recours contentieux. Elle s’applique aussi au recours exercé contre une décision juridictionnelle constatant l’existence d’une telle autorisation.

Mais lorsque le juge annule un refus d’autorisation et qu’il enjoint à l’autorité compétente de délivrer une telle autorisation, sa décision n’a ni pour effet de constater l’existence d’une telle autorisation ni par elle-même de rendre le requérant bénéficiaire de la décision d’une telle autorisation. En conséquence, le défendeur à l’instance initiale qui forme un appel contre la décision juridictionnelle n’est pas tenu de notifier son recours sur le fondement de l’article R 600-1 (CE, 8 avril 2019, n° 427729).

La loi ELAN opérationnelle

Avec la parution du décret du 10 avril 2019, les mesures de la loi ELAN relatives au contentieux de l’urbanisme sont donc opérationnelles.

Rappelons que l’article 80 de la loi ELAN comporte d’autres mesures, qui ne nécessitent pas de décret d’application. En voici quelques exemples.

La loi a encadré le référé suspension. Cette mesure d’urgence est désormais encadrée par un délai; le requérant ne peut intenter un tel recours que si la date de cristallisation des moyens du recours engagé au fond n’est pas dépassée (art. L 600-3).

Dans le cas d’une annulation partielle d’un permis de construire (art. L 600-5), le juge pouvait limiter sa décision d’annulation à la partie irrégulière, surseoir à statuer, et laisser au bénéficiaire du permis un délai pour obtenir la régularisation. Lorsque le vice affectant un permis de construire est susceptible de régularisation, le juge pouvait également surseoir à statuer pour laisser au bénéficiaire la possibilité de demander cette régularisation (art. L 600-5-1). Cette faculté laissée au juge est désormais systématisée dans les deux cas.

Par ailleurs, la loi a assoupli les critères qui permettent de considérer qu’un recours est abusif (art. L 600-7). Le juge pouvait condamner l’auteur d’un recours s’il a agi dans des conditions excédant la défense de ses intérêts légitimes. Désormais, il suffit qu’il ait agi dans des conditions qui traduisent un comportement abusif.

Par ailleurs, il n’est plus nécessaire que le préjudice causé au bénéficiaire soit excessif.

Les transactions financières par lesquelles un requérant monnaie le désistement de son recours sont davantage encadrées. L’obligation d’enregistrement des accords est étendue aux transactions qui précèdent le recours. Les associations ont interdiction de conclure de telles transactions, sauf si elles agissent pour la défense de leurs intérêts matériels propres.

Bertrand Desjuzeur

Source : 25 millions de propriétaires • N°juillet-août 2019


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