A la différence de l’encadrement « loi ALUR », le dispositif expérimental d’encadrement des loyers « loi ELAN » suppose la candidature d’une collectivité locale (article 140, I de la loi ELAN du 23 novembre 2018).
Dès le 11 décembre 2018, le Conseil de Paris a autorisé la Maire de Paris « à demander à l’Etat la mise en place d’un dispositif d’encadrement des loyers sur l’ensemble du territoire communal » (délibération n°2018 DLH 338).
Le 28 janvier 2019, Madame Anne Hidalgo a demandé officiellement au ministre Julien Denormandie que « Paris puisse être l’un des territoires de mise en œuvre de l’encadrement des loyers », en faisant valoir que les conditions prévues par la loi ELAN pour cet encadrement étaient réunies.
A la suite de cette demande, le décret n°2019-315 du 12 avril 2019 (paru au JO du 13 avril 2019) a mis en place le dispositif expérimental d’encadrement des loyers « sur l'intégralité du territoire de la ville de Paris ».
Enfin, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a signé le 28 mai 2019 un arrêté « fixant les loyers de référence, les loyers de référence majorés et les loyers de référence minorés pour la Ville de Paris » (arrêté n° 2019-05 du 28 mai 2019, publié au recueil des actes administratifs spécial n°IDF-029-2019-05 du 28 mai 2019).
Cet arrêté est entré en vigueur le 1er juillet 2019.
Notons que, conformément à l’article 140, II de la loi ELAN, le préfet a fixé les loyers de références à partir des données recueillies par l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP, observatoire local agréé par arrêté ministériel du 22 décembre 2014).
Les loyers de référence sont exprimés par un prix au m² de surface habitable, en fonction du type de location (location meublée ou vide), du type de logement (classement uniquement en fonction du nombre de pièces principales et de l’époque de construction) et du secteur géographique.
Puisque le préfet a distingué 14 secteurs géographiques différents, 4 types de logement en fonction du nombre de pièces principales et 4 époques de construction, le préfet a fixé :
Selon les quartiers et les catégories de logement, les loyers de référence médians vont de 15,1 € /m2 de surface habitable (pour un quatre pièces et plus construit entre 1946 et 1970 loué vide dans le quartier de La Chapelle, XVIIIème arrondissement) à 39,3/m2 (pour un studio construit après 1990 loué meublé vers École Militaire, VIIème arrondissement).
L’intégralité des loyers de référence sont publiés en annexe de l’arrêté du 28 mai 2019. Il est également possible d’utiliser une carte interactive mise à disposition sur le portail de la Direction Régionale et Interdépartementale de l'Hébergement et du Logement (DRIHL).
Précisons que, concernant le critère de localisation, le préfet s’est simplement employé à classer au sein des 14 secteurs géographiques identifiés les 80 « quartiers administratifs » définis par un décret impérial du 1er novembre 1859…
Le recours à une subdivision impropre à traduire la réalité du marché, de même que l’utilisation de critères a minima pour classer les logements (ne sont pas pris en compte l’état d’entretien, le niveau de confort, etc.), font partie des griefs soulevés par l’UNPI Paris dans le cadre d’un recours en annulation contre l’arrêté du 28 mai 2019 (voir sur le portail de l’UNPI le dossier présenté en conférence de presse le 1er juillet 2019 ; à noter que l’UNPI Paris attaque également le décret mettant en place l’encadrement à Paris, la réunion des conditions justifiant cet encadrement n’étant pas motivée).
Pour chaque secteur géographique et catégorie de logement, le préfet a fixé :
1) un loyer de référence de base, correspondant au « loyer médian[1] calculé à partir des niveaux de loyers constatés par l'observatoire local des loyers » ;
2) un loyer de référence majoré, correspondant au loyer médian majoré de 20 % ;
3) un loyer de référence minoré, correspondant au loyer médian minoré de 30 % ;
L’encadrement des loyers s’applique à tout logement loué à titre d’habitation principale à Paris, qu’il soit loué vide ou meublé.
Il s’applique également aux locations de courte durée via un bail « mobilité ».
Il n’est fait aucune distinction selon que le logement loué soit neuf ou ancien, qu’il ait fait l’objet de travaux ou non, qu’il s’agisse d’une première location ou d’une relocation.
Les loyers plafonds s’appliquent aux nouvelles locations à usage d’habitation principale (vide et meublée) à compter du 1er juillet 2019.
De même, ils s’appliquent potentiellement aux renouvellements de baux.
En effet, au moins cinq mois avant l’échéance du bail, le locataire peut demander l’application du loyer de référence majoré (article 140, VI de la loi ELAN du 23 novembre 2018[2]).
Inversement, le propriétaire peut demander l’application du loyer de référence minoré, en respectant cette fois un préavis de six mois (voir ci-après).
En cas de désaccord, la partie la plus diligente doit saisir la commission départementale de conciliation. A défaut de conciliation, le juge doit être saisi avant le terme du contrat.
Il est bien entendu qu’à défaut de demande de diminution ou d’augmentation du loyer dans les délais légaux, ou à défaut de saisine du juge après désaccord persistant, « le contrat est reconduit de plein droit aux conditions antérieures du loyer ».
Précisons que, une demande de diminution supposant de justifier d'un loyer de référence majoré « en vigueur » au moment de la demande, et qu’aucune demande n’était donc possible avant le 1er juillet 2019, seuls sont concernés les renouvellements de baux à compter du 2 décembre 2019.
L’article 140, III de la loi ELAN énonce que le loyer de tout logement loué dans un secteur soumis à encadrement ne peut dépasser le « loyer de référence majoré ».
En cas de non-respect du loyer plafond, le locataire dispose d’une action en diminution du loyer.
Rappelons que le non-respect des loyers plafonds expose à une amende par le préfet de « 5 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale » (art. 140, VII de la loi ELAN ; voir Actualités, juillet-août 2019, p. 12).
Néanmoins, comme c’était déjà le cas dans le cadre de l’encadrement des loyers « loi ALUR », un propriétaire appliquant le loyer de référence majoré peut prévoir dans le bail un complément de loyer lorsque le logement présente « des caractéristiques de localisation ou de confort le justifiant, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique » (article 140, III, B de la loi ELAN)[3].
La question des caractéristiques de confort justifiant un complément de loyer n’est pas plus résolue qu’au temps de la loi ALUR.
Comme auparavant, le décret n° 2015-650 du 10 juin 2015 relatif aux modalités de mise en œuvre du dispositif d'encadrement du niveau de certains loyers (mis à jour par un décret du 13 mai 2019) indique seulement que les caractéristiques justifiant un complément de loyer doivent réunir « les conditions suivantes :
1° Elles n'ont pas été prises en compte pour la détermination du loyer de référence correspondant au logement ;
2° Elles sont déterminantes pour la fixation du loyer, notamment par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique ;
3° Elles ne donnent pas lieu à récupération par le bailleur au titre des charges, ni à la contribution pour le partage des économies d'énergie pour les travaux réalisés par le bailleur, prévues respectivement par les articles 23 et 23-1 de la loi du 6 juillet 1989 susvisée ».
Si, a priori, une vue spectaculaire, l’accès à un jardin privatif, ou un grand balcon pourraient par exemple justifier un complément de loyer, il est difficile d’avoir une quelconque certitude avant que les juges donnent des indications. Dans tous les cas, il faut apporter le plus grand soin possible à la justification, dans le bail, du complément de loyer.
Le locataire a trois mois à compter de la signature du bail pour contester le complément de loyer devant la CDC. Comme l’indique l’article 140, III, B de la loi ELAN, c’est alors « au bailleur de démontrer que le logement présente des caractéristiques de localisation ou de confort » justifiant un complément de loyer. A défaut de conciliation, le locataire a trois mois pour saisir le juge, faute de quoi le complément de loyer n’est plus contestable.
Voir ci-après.
L’encadrement des loyers « loi ELAN » se cumule avec le blocage des loyers de relocation et de renouvellement. Ainsi, à Paris, il faut respecter à la fois les loyers de références fixés par arrêté préfectoral et le décret de blocage des loyers de relocation et renouvellement applicable dans toutes les zones « tendues » (décret n° 2017-1198 du 27 juillet 2017, modifié par décret du 26 juillet 2019, voir page 20).
L’article 9 du décret du 27 juillet 2017 modifié donne des indications sur la façon de procéder en cas de cumul des deux réglementations :
Rappelons qu’en application du décret de blocage des loyers, il n’est en principe pas possible d’augmenter le loyer à l’occasion d’un changement de locataire.
Le décret du 27 juillet 2017 modifié autorise seulement le propriétaire, si aucune révision de loyer n'est intervenue au cours des douze mois précédant la conclusion du nouveau contrat de location, à augmenter le loyer suivant l’évolution annuelle de l’indice de référence des loyers, ceci en prenant en compte le dernier indice publié à la date de signature du contrat de location (art. 3, al.2).
Des exceptions à ce principe sont prévues :
Dans toutes ces hypothèses (loyer révisé ou loyer augmenté), le décret de blocage des loyers rappelle que le nouveau loyer ne peut, en tout état de cause, dépasser le loyer de référence majoré (art. 9, 1°).
Il est bien entendu qu’à défaut d’un des motifs de révision ou d’augmentation visés ci-dessus, l’arrêté préfectoral fixant les loyers de références ne peut être interprété comme une autorisation à appliquer d’autorité le loyer de référence majoré à l’occasion d’une relocation.
C’est seulement à l’occasion du renouvellement du bail que le propriétaire pourra se prévaloir de l’arrêté préfectoral pour demander, selon une procédure à son avantage (voir ci-après), sinon l’application du loyer de référence majoré, au moins celle du loyer de référence minoré.
A noter : les relocations visées par le décret de blocage des loyers sont les relocations effectuées moins de 18 mois après le départ du locataire. Concernant les relocations de logements inoccupés depuis plus de 18 mois, le propriétaire peut librement appliquer le loyer de référence majoré.
En principe, dans les zones « tendues », le décret de blocage des loyers permet d’augmenter le loyer si le propriétaire a effectué des travaux très importants ou s’il démontre que le loyer actuel est manifestement sous-évalué (art.5).
Cependant, ce même décret écarte totalement ces procédures en cas d’application de l’encadrement préfectoral des loyers (art. 9, 2°).
Dans ce cas, c’est uniquement la procédure prévue à l’article 140, VI de la loi ELAN qui s’applique (voir ci-dessus). Six mois au moins avant l’échéance du bail, le propriétaire peut demander l’application du loyer de référence minoré. Aucune référence de loyer n’est à apporter. C’est au contraire au locataire d’apporter des références s’il entend contrer la demande d’augmentation du propriétaire.
Même s’il ne s’agit que de demander l’application du loyer de référence minoré (qui est égal au loyer de référence médian diminué de 30 %), la réglementation des loyers « loi ELAN » tourne ici à l’avantage du propriétaire. Ce dernier est en effet dispensé de compiler des références et de les présenter selon des règles strictes définies par divers décrets. Une simple référence à l’arrêté préfectoral suffit. C’est au contraire sur le locataire que pèse toute la charge de démontrer que le loyer actuel n’est pas sous-évalué. En réalité, on a du mal à concevoir comment, concrètement, il pourrait réussir dans cette entreprise. Cela revient en effet à démontrer à la commission de conciliation ou, in fine, au juge, que le préfet s’est trompé au moment de fixer des loyers de référence…
[1]A distinguer d’un loyer « moyen » ; le loyer « médian » signifie que la moitié des logements ont un loyer supérieur, l’autre un loyer inférieur
[2]S’agissant d’un dispositif expérimental, rappelons que ces dispositions n’ont pas été intégrées à la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation.
[3] « Un complément de loyer ne peut être appliqué à un loyer de base inférieur au loyer de référence majoré » (article 140, III, B de la loi ELAN)
Frédéric Zumbiehl
Source : 25 millions de propriétaires • N°septembre 2019
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