Le sujet est vaste et complexe à la fois. Il recouvre toutes sortes de comportements des locataires, depuis les troubles du voisinage, causés aux autres locataires de l’immeuble ou à un tiers, les incivilités, les atteintes aux biens, voire les infractions délictuelles passibles de sanctions pénales.
Nous aborderons la question uniquement à la lumière du contrat de bail, c’est-à-dire dans le contexte des relations contractuelles bailleur/locataire, indépendamment des autres actions, civiles ou pénales, dont tout propriétaire d’immeuble dispose lorsqu’un locataire ou même un tiers, commet des dégradations (tags, graffitis ou autres) ou un délit (tel le trafic de stupéfiants dans les parties communes). Il s’agit dans ce cas, soit d’une atteinte au bien, soit d’une atteinte à l’ordre public.
Rappelons donc tout d’abord le cadre législatif et notamment la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
S’agissant du locataire, l’article 7 dispose que « le locataire est obligé d’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location » et « de répondre des dégradations et pertes qui surviennent pendant la durée du contrat dans les locaux dont il a la jouissance exclusive, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu par cas de force majeure, par la faute du bailleur ou par le fait d’un tiers qu’il n’a pas introduit dans le logement ».
Ainsi, un locataire a vu son bail résilié pour des faits de trafic de stupéfiants à l’intérieur des lieux loués, jugés contraires à la destination convenue du logement et troublant la tranquillité et la sécurité des autres locataires. (CA PARIS – 14/04/2016 – n°14-10505).
S’agissant du bailleur, l’article 6 rappelle que « le bailleur est obligé d’assurer au locataire la jouissance paisible du logement » et l’article 6-1 précise que « après mise en demeure dûment motivée, les propriétaires des locaux à usage d’habitation doivent, sauf motif légitime, utiliser les droits dont ils disposent en propre afin de faire cesser les troubles de voisinage causés à des tiers par les personnes qui occupent ces locaux. »
Ainsi, la conduite du bailleur se trouve quasi-exclusivement dans cet article 6-1, lequel contient toutes les clés…encore faut-il les décrypter.
Ce texte exige tout d’abord du bailleur qu’il adresse une mise en demeure « dûment motivée ».
L’exigence de motivation de la mise en demeure implique qu’il puisse préalablement établir la réalité et l’existence des troubles et manquements commis par le locataire indélicat, pour ensuite lui demander de cesser immédiatement ses agissements.
Il est conseillé au bailleur d’avertir le locataire indélicat qu’à défaut de cesser le trouble, il s’expose à une résiliation de son bail.
Le bailleur (qui ne réside pas dans l’immeuble, sauf exception), est rarement – voire jamais - témoin des troubles et incivilités, parfois quotidiens et souvent répétitifs.
Par conséquent, la preuve des troubles sera rapportée par les plaintes des autres locataires, directement adressées au propriétaire, ou déposées auprès des services de police.
Il est donc conseillé au bailleur qui reçoit un courrier de plainte de la part d’un locataire victime, de recueillir du plaignant, une attestation de témoignage respectant les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile[1].
En effet, si la mise en demeure s’avère inefficace, le bailleur n’aura pas d’autre solution que de saisir le tribunal d’instance d’une action en résiliation du bail pour manquement à l’obligation de jouissance paisible.
Il est donc important de se ménager des preuves recevables en justice.
Dans la mesure du possible, la victime des troubles, surtout lorsqu’ils sont particulièrement graves (tels les menaces, dégradations, trafic de stupéfiants…) ne doit pas se contenter d’une main-courante mais doit déposer plainte, seul acte susceptible de déclencher des poursuites pénales.
Ainsi, les éléments de preuve que le bailleur pourra produire revêtent une importance, dès lors qu’ils sont soumis à l’appréciation souveraine des juges, quant à la gravité des faits et à leur caractère répétitif ou isolé.
La Cour d’appel de Toulouse a ainsi prononcé la résiliation d’un bail d’habitation pour manquement grave de la locataire à son obligation de jouissance paisible, le bailleur produisant des attestations circonstanciées de voisins, de personnes ponctuellement hébergées par les voisins et occupants de l’immeuble situé en face, ainsi qu’un constat d’huissier, qui établissent que la locataire est à l’origine de nuisances sonores chroniques. La locataire reçoit ou héberge des amis, qui sont présents quasiment tous les soirs et les voisins font état de bruits divers jusqu’à 2 ou 3 heures du matin (éclats de voix, rires, cris, musique, va-et-vient incessants, déplacements et chutes d’objets, bruits de pas très lourds). Ces nuisances, quasi-quotidiennes, ont persisté malgré les mises en demeure envoyées par le bailleur (CA Toulouse – 22/11/2017 – n°806/2017).
La Cour d’appel de Paris a prononcé la résiliation d’un bail d’habitation aux torts du locataire pour manquement à l’obligation de jouissance paisible, les nombreuses attestations par le bailleur démontrant que le mari cause des troubles de voisinage depuis 2012, qui sont susceptibles de nuire à la sécurité des personnes et des biens et génèrent un climat de peur dans la résidence. Les voisins ont dénoncé à de multiples reprises les nuisances sonores nocturnes, les jets de détritus et d’objets divers par la fenêtre, l’encombrement des parties communes, l’agressivité du locataire en état d’ivresse, le fait qu’il urinait sur la porte d’une voisine. Les services de police ont dû intervenir à plusieurs reprises, notamment lorsque le locataire a voulu empêcher les agents d’entretien de débarrasser les caves des objets qu’il y avait entassé. Ces manquements graves et répétés justifient la résiliation judiciaire du bail (CA Paris 03/03/2016 - n°14/24818).
Dans ces deux décisions, il n’est pas fait mention de la mise en demeure préalable exigée par l’article 6-1 de la loi du 6 juillet 1989.
Pourtant, le bailleur ne doit pas s’en dispenser, car, même si elle n’est pas exigée à peine d’irrecevabilité de la demande, les tribunaux vérifient qu’il y a bien eu une interpellation préalable du locataire, ce qui apparaît logique dès lors que la sanction, à savoir la résiliation judiciaire du bail, est irrémédiable.
Enfin, il est important de rappeler qu’il pèse sur le bailleur une véritable obligation de résultat.
Le bailleur qui a connaissance de troubles de jouissance causés par un locataire et se contente d’adresser une mise en demeure, non suivie d’effet par le locataire, ne satisfait pas à son obligation d’assurer la jouissance paisible.
Il engage sa responsabilité s’il ne fait pas cesser définitivement les troubles, ce qui passe nécessairement par une action en résiliation judicaire du bail.
A défaut, le ou les autres occupants de l’immeuble, par ailleurs liés au bailleur par un contrat de bail, et victimes des troubles de jouissance, sont fondés à obtenir la condamnation sous astreinte du bailleur à remédier aux troubles anormaux de voisinages causés par un autre occupant de l’immeuble et à réparer leur préjudice par l’allocation de dommages-intérêts.
La Cour de cassation vient de rappeler que « le bailleur est responsable envers le preneur des troubles de jouissance causés par les autres locataires ou occupants de l’immeuble et n’est exonéré de cette responsabilité qu’en cas de force majeure. » (Cass. Civ. 3ème – 08/03/2018 – n° 17-12536).
Selon le nouvel article 1218 du Code civil, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Autrement dit, il s’agit d’un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur au bailleur.
Me Frédérique Polle • Avocat
[1] Article 202 du Code de procédure civile : « L'attestation contient la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés. Elle mentionne les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s'il y a lieu, son lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles. Elle indique en outre qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu'une fausse attestation de sa part l'expose à des sanctions pénales. L'attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur. Celui-ci doit lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature. »
Source : 25 millions de propriétaires • N°mars 2019
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