Quand le locataire quitte les lieux furtivement

À la cloche de bois, telle est la formulation traditionnelle pour qualifier le départ furtif du locataire. Plutôt que de régler officiellement son départ, il préfère s’en aller des lieux loués dans la discrétion... Quelle que soit sa motivation, ce départ officieux n’est pas sans poser quelques difficultés au bailleur. Voici donc une présentation de la législation en vigueur et quelques conseils pratiques pour éviter des déconvenues.

 

Une procédure spécifique

Lorsque le bail est en cours, le locataire dispose d’un titre pour occuper les lieux, que le bailleur doit respecter. Or, au départ furtif du locataire dont, par hypothèse, le bailleur n’est pas informé, ce titre demeure. Le bailleur n’est donc pas fondé ipso facto à récupérer l’usage du bien.

Pour sortir de cette impasse, la loi du 6 juillet 1989 a été complétée par la loi du 22 décembre 2010, texte lui-même modifié à plusieurs reprises et en dernier lieu par la loi du 24 mars 2014 (loi ALUR).

Le dispositif qui figure à l’article 14-1 de la loi de 1989 est donc le suivant.

Lorsque des éléments laissent supposer que le local est abandonné par ses occupants (par exemple, signalement de voisins, boîte aux lettres pleine, volets toujours fermés), le bailleur met en demeure le locataire de justifier qu’il occupe le logement. La mise en demeure est faite par un huissier.

Après un délai d’un mois, l’huissier constate que le logement est abandonné et dresse un procès-verbal. Le procès-verbal contient un inventaire des biens laissés sur place et précise si les biens semblent avoir une valeur marchande.

Le bailleur peut alors saisir le juge pour qu’il constate la résiliation du bail et qu’il autorise la vente aux enchères des biens laissés sur place et déclarer abandonnés les biens invendables.

Après l’huissier, le juge

La procédure a été précisée par un décret de 2011 (décret n° 2011-945 du 10 aout 2011 relatif aux procédures de résiliation de baux d’habitation et de reprise des lieux en cas d’abandon).

Elle décrit la phase judiciaire de la procédure. En voici le déroulé.
Le bailleur formule une requête tendant à voir constater la résiliation du bail. Cette requête peut également tendre à ce que le locataire soit condamné à des sommes restant dues au titre du bail (art.  1er).

Le bailleur ou son mandataire adresse au greffe sa demande en y joignant les pièces justificatives et notamment le procès-verbal qui constate l’abandon et qui a préalablement été rédigé par l’huissier (art. 2).

Le juge des contentieux de la protection constate alors la résiliation du bail, lorsqu’il lui semble que les éléments fournis par le requérant indiquent manifestement que le bien a été abandonné (inoccupation des lieux, défaut d’exécution par le locataire de ses obligations). Ce même juge ordonne la reprise des lieux et statue le cas échéant sur la demande de paiement (art. 3) 1. L’ordonnance doit être signifiée dans les deux mois de sa date, faute de quoi, elle est non avenue.

Pour les biens laissés sur place, il distingue deux catégories :

  • ceux qui ont une valeur marchande et pour lesquels il autorise la vente aux enchères, faute d’être récupérés dans le délai d’un mois suivant la signification de l’ordonnance ;
  • ceux qui n’ont pas de valeur marchande. Faute d’être récupérés, ils sont déclarés abandonnés.

Par ailleurs, les papiers et documents de nature personnelle sont placés sous enveloppe scellée et conservés par l’huissier pendant deux ans. Le greffier conserve les pièces du bailleur et les lui remet à sa demande dès l’opposition ou à la fin du délai d’opposition, lorsque le bailleur justifie avoir fait signifier l’ordonnance (art.4). Le bailleur fait adresser une signification de l’ordonnance au locataire ou aux derniers occupants connus (art. 5). Cet acte impose le recours à l’huissier. L’acte prévoit notamment le délai dans lequel le locataire peut faire opposition à l’ordonnance (dans le délai d’un mois après sa signification) et le tribunal devant lequel il faut la porter. Il précise aussi que faute d’opposition, le locataire ne pourra plus exercer de recours et que le bailleur pourra reprendre son bien. La sommation indique aussi le sort des meubles, avertissant le locataire que, faute d’opposition, il ne pourra plus exercer de recours et qu’il pourra être procédé à la vente des meubles, et elle le somme de venir les retirer dans le délai d’un mois.

En cas d’opposition du locataire, le greffe en avise alors l’huissier qui a dressé le procès- verbal d’abandon et convoque les parties à l’audience (art. 7). Le tribunal statue sur les demandes du bailleur et le jugement se substitue à la précédente ordonnance.
Il peut condamner le bailleur à une amende civile s’il estime la requête abusive (l’amende civile est prévue de façon générale à l’encontre de celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive, son montant maximum est de 10 000 euros, art. 32-1 du code de procédure civile).

À l’inverse, faute d’opposition, l’ordonnance produit tous ses effets de jugement passé en force de chose jugée (art. 8).

Entrée dans les lieux

Le code des procédures civiles d’exécution comporte par ailleurs des dispositions encadrant l’intervention de l’huissier et vise notamment le cas où l’huissier est autorisé à reprendre les locaux abandonnés après l’ordonnance du juge (l’autre cas est celui où une personne expulsée a quitté les lieux après commandement, cf. art. R 451-1).

L’huissier ne peut entrer dans les lieux, si le locataire est absent, qu’en présence du maire ou de l’un de ses représentants, d’une autorité de police ou de gendarmerie ou, à défaut, de deux témoins majeurs qui ne sont au service ni du bailleur ni de l’huissier (art. L 142-1 du code des procédures civiles d’exécution). Une fois entré, l’huissier assure la fermeture de la porte (art. L 142-2).

Vente aux enchères des meubles

Concernant la vente aux enchères de meubles laissés sur place, il est procédé à leur vente forcée, comme en matière de saisie-vente. Le produit de la vente est affecté aux frais et au montant de la créance du bailleur. Le solde est consigné à la Caisse des dépôts et consignations au profit du locataire. L’huissier l’en informe par lettre recommandée avec AR à sa demeure actuelle ou, si elle est inconnue, au lieu de son dernier domicile (art. R 433-5).

Les biens sans valeur marchande sont réputés abandonnés. Les papiers et documents personnels sont conservés pendant deux ans par l’huissier. A l’expiration de ce délai, ces documents sont détruits et l’huissier dresse un procès-verbal qui fait mention des documents officiels et instruments bancaires détruits (art. R 433-6).

L’huissier peut le cas échéant constater que les locaux ont été à nouveau occupés, l’huissier n’a pas besoin de requérir un nouveau titre (art. R 451-4). Le texte renvoie aux dispositions des articles R 442-1 et suivants.

Les frais d’huissier

Le bailleur qui fait appel à l’huissier doit prévoir des frais. La mise en demeure du locataire de justifier qu’il occupe les lieux est facturée 63,84 € TTC lorsqu’elle est établie par acte séparé. Elle donne lieu à une facturation de 25,54 € si elle est contenue dans un commandement. Le constat d’abandon du local avec inventaire des meubles laissés sur place est facturé 67,67 €. Il faut compter par ailleurs une taxe forfaitaire de 14,89 € et si besoin des frais de déplacement de 9,20 €.

Certains de ces tarifs applicables en 2021 ont été revus à la baisse par rapport à 2020. Par exemple la mise en demeure était facturée 64,36 € TTC en 2020.

Les locaux meublés

L’article 14-1 de la loi de 1989 est applicable aux locations vides. La loi de 1989 comporte désormais un titre spécifique (Ier bis) aux locations meublées mais l’article 14-1 ne fait pas partie des articles déclarés applicables aux meublés. Il faut donc appliquer la procédure classique d’expulsion.

La taxe d’habitation

Tout bailleur sait que la taxe d’habitation incombe au locataire et que le redevable est celui qui occupe les lieux au 1er janvier de l’année d’imposition. Mais on sait moins que, à défaut de paiement par le locataire, le bailleur peut être tenu de la taxe d’habitation à sa place. Pour éviter cette déconvenue, le bailleur doit informer le centre des impôts du départ de son locataire. Dans le cas d’un déménagement furtif, il faut adresser un courrier dans le délai de 3 mois du départ du locataire (art. 1686 du Code général des impôts).

Dans le cas du départ régulier du locataire, le bailleur est fondé à demander au locataire qu’il justifie avoir payé cette taxe, pour éviter d’avoir à la payer lui-même si le locataire était défaillant (même article).

Par ailleurs, une personne morale qui n’a pas informé l’administration du changement de locataire peut être tenue du paiement de la taxe d’habitation à la place du redevable normal (art. 1413 du CGI).

Peu de litiges

Ces questions semblent peu faire l’objet de jurisprudence.

Un arrêt cite l’article 14-1 mais sur un litige où le locataire avait finalement refusé d’entrer dans les lieux après signature du bail car il avait réalisé que le bailleur refusait des animaux. Le bailleur estimait qu’il avait abandonné les lieux au sens de l’article 14-1 et avait sollicité l’huissier puis le juge en ce sens alors qu’il s’agissait plutôt d’une résiliation de bail. (Civ. 3e, 19 décembre 2019, n° 18-19063). Il faut en déduire que la procédure d’abandon est réservée au cas où le locataire quitte les lieux sans donner de nouvelles.

Un jugement du Tribunal d’instance de Courbevoie du 27 octobre 2008 (n° 08/00449) a condamné une agence à indemniser un bailleur qui n’avait pu obtenir le paiement des derniers mois de loyers car le locataire était parti à la cloche de bois en laissant les clés dans la boite aux lettres de l’agence. L’agence n’avait pas demandé de caution et le juge a considéré qu’il y avait une violation du devoir de conseil de l’agence ayant conduit à une perte de chance de récupérer l’impayé.

Un constat s’impose

Si la procédure a été précisée par l’introduction de l’article 14-1 dans la loi de 1989 pour régler le problème spécifique de l’abandon de logement, elle comporte toutefois une certaine lourdeur qui doit rebuter les bailleurs. La rareté des décisions judiciaires conforte l’idée que le bailleur règle en pratique de manière informelle la reprise des lieux, considérant que le risque de contentieux est faible parce que, précisément le locataire ne souhaite plus donner de nouvelles.

On invitera au moins le bailleur après être entré dans les lieux à faire constater par huissier que le logement est bien abandonné, en raison de l’absence de meubles notamment, pour pouvoir relouer au plus vite.

Bertrand Desjuzeur • Journaliste

1 - Cette compétence du juge des contentieux de la protection (et non plus du juge du tribunal judiciaire) s’applique à compter du 1er janvier 2021 et concerne les instances introduites à compter de cette date.

Source : 25 millions de propriétaires • N°547 janvier 2021


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