Gestion des biens de succession: parer aux difficultés de l'indivision

Comment parer aux difficultés de l'indivision ?

 Cet article a pour objectif d’exposer les règles organisant la gestion des biens de la succession durant la période s’étalant du décès à la vente des biens ou leur partage, puis de présenter les outils visant à parer certaines situations de blocage. 

Dès le décès, les héritiers deviennent ensemble propriétaires de tous les biens du défunt. Selon qu’ils sont héritiers légaux (membres de la famille) ou non (légataires par testament), la procédure leur permettant de prendre en main les biens de la succession diffère. Cependant, quelle que soit la procédure, une indivision se crée immédiatement entre les héritiers sur tous les biens de la succession.

Cette indivision va durer tant que les héritiers resteront propriétaires ensemble d’un ou plusieurs biens. L’indivision ne cessera donc qu’une fois intervenue l’une des opérations suivantes :

  • la vente par un indivisaire de sa quote-part à un membre de l’indivision ou à un tiers. L’indivision ne cessera que pour celui qui quitte l’indivision et les coindivisaires bénéficient d’un droit de priorité sur sa quote-part,.
  • la vente globale des biens : chaque héritier percevra une partie du prix et ils ne seront plus propriétaires ensemble d’aucun bien,
  • Le partage des biens : il s’agit d’attribuer les biens à un ou plusieurs héritiers, à charge pour eux d’indemniser les autres par une somme d’argent, appelée soulte.

Durant cette période intermédiaire, les biens de la succession doivent être gérés à plusieurs, ce qui pose de nombreuses difficultés : paiement des charges, loyer à percevoir, gestion locative, travaux à financer et à effectuer, participation aux assemblées générales pour les biens en copropriété, etc.

A l’exception des formalités fiscales (déclaration de succession et paiement des droits de succession dans les six mois du décès, sauf exception), il n’existe aucun délai légal imposant une vente ou un partage. Cette situation d’indivision entre le décès et la vente ou le partage final des biens peut ainsi s’étaler sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années.

En cas de mésentente sur la sortie de l’indivision (vente ou partage), seule une action par un ou plusieurs héritiers peut être intentée devant le tribunal. Cette procédure peut également s’étaler sur plusieurs années.

L’objectif de cet article est d’exposer dans un premier temps les règles organisant la gestion des biens de la succession durant cette période s’étalant du décès à la vente des biens ou leur partage, puis dans un second temps de présenter les outils visant à parer certaines situations de blocage.

Sont ici traitées les relations entre héritiers indivisaires. Ainsi, sont exclues les relations entre les héritiers et le conjoint survivant (ou le partenaire ou le concubin bénéficiaire d’un testament) qui peut bénéficier d’un usufruit sur les biens de la succession, ou d’un droit d’usage et d’habitation. Le bénéficiaire d’un usufruit ou d’un droit d’usage et d’habitation ne fait pas partie de l’indivision mais bénéficie d’un droit exclusif d’utiliser les biens. Dans ce cas, la gestion des biens revient à l’usufruitier et l’indivision perdure bien souvent jusqu’à son décès, jour auquel ses droits s’éteignent automatiquement.

Les règles légales de gestion des biens de la succession

Le Code civil français prévoit des règles de gestion des biens en indivision et une intervention du juge en cas de difficulté.

Les règles de l’indivision

La loi distingue trois types d’actes selon leur nature 

  • Les actes conservatoires qui peuvent être pris par un seul indivisaire

    Les mesures conservatoires sont celles qui permettent d'éviter une menace qui pèse sur la conservation matérielle ou juridique du bien indivis. Par exemple, tout indivisaire peut décider seul de faire des travaux sans avoir l'accord des autres indivisaires si ces travaux sont nécessaires à la conservation du bien (par exemple, réparer une toiture). Tout indivisaire peut également agir seul en recouvrement des loyers. Toutefois, ces mesures ne doivent pas mettre en danger le droit des autres indivisaires ou engager des moyens disproportionnés par rapport à la valeur du bien. Ces mesures ne doivent pas être nécessairement urgentes et les autres indivisaires doivent être informés.
     
  • Les actes de gestion qui peuvent être pris à la majorité des deux tiers 

    Ce sont les actes de mise en valeur et d'administration. La majorité d'au moins deux tiers des droits indivis suffit pour effectuer un acte d'administration qui relève de l’exploitation normale des biens, donner un mandat général d'administration à un indivisaire ou un tiers, vendre des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision, conclure et renouveler des baux d'habitation ou professionnels (autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal). Néanmoins, il convient d'en avertir les autres indivisaires car, à défaut, ces actes ne leur seraient pas opposables. Il faut souligner que la majorité des deux tiers se calcule sur les quotes-parts et non le nombre d'indivisaires. Un indivisaire peut donc avoir la majorité suffisante pour accomplir seul ces actes.
  • Les actes de disposition qui doivent être pris à l’unanimité des indivisaires 

    Ce sont des actes de transfert d'un bien ou d'un droit, par exemple la vente d'un immeuble, la conclusion ou le renouvellement des baux ruraux, commerciaux, industriels ou artisanaux. Ces actes graves nécessitent l'accord de tous les indivisaires.

Ayant tous les mêmes pouvoirs sur les mêmes biens indivis, à défaut d’entente entre les indivisaires sur leur gestion, une intervention judiciaire est envisageable. 

L’intervention du juge en cas de difficulté

            Le juge peut intervenir en cas de blocage, soit pour une opération spécifique, soit pour nommer un mandataire judiciaire de l’indivision.

  • L’intervention du juge pour une opération spécifique

    Lorsque le consentement des autres indivisaires est nécessaire mais qu'il est impossible à obtenir, un indivisaire qui souhaite réaliser un acte de disposition ou d'administration portant sur un bien indivis, peut solliciter l'autorisation du juge à cette fin. Il faut pour cela qu'il y ait mise en péril de l'intérêt commun. Par exemple, le juge peut autoriser un indivisaire à percevoir auprès d’un dépositaire de fonds indivis (banque) une provision destinée aux besoins urgents (impôts). Il s'agit d'une mesure exceptionnelle permettant de sortir d'une situation de crise.

    De même, si l'un des coindivisaires se trouve hors d'état de manifester sa volonté (vieillesse, handicap,...) un indivisaire peut solliciter du juge une habilitation à représenter l'indivisaire défaillant.

    Enfin, le juge peut également autoriser la vente d'un bien. Pour cela, il faut respecter une procédure stricte : préalablement le ou les indivisaires représentant deux tiers des droits indivis doivent exprimer leur volonté d'aliénation devant un notaire. Ce dernier doit, dans le délai d'un mois suivant le recueil de cette volonté, faire signifier cette intention aux autres indivisaires. Si l'un ou plusieurs des autres indivisaires s'opposent à la vente du bien indivis ou s'ils ne répondent pas au notaire dans les trois mois, ce dernier le constatera dans un procès-verbal. Ensuite, le tribunal peut autoriser la vente du bien si « elle ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires ».
     
  • La nomination d’un mandataire judiciaire de l’indivision

    En cas de blocage de la succession, un mandataire successoral judiciaire peut être nommé à la demande de tout intéressé (héritier, créancier, ministère public). Toute personne qualifiée peut être nommée en qualité de mandataire successoral judiciaire (y compris une personne morale telle qu’une association ou fondation). Cette demande doit être faite par voie d'assignation en référé au tribunal du domicile du défunt.

    Le mandataire successoral judiciaire administre provisoirement la succession. Il réalise les actes conservatoires (règlement des dettes, paiement des impôts, perception des revenus, etc) et le juge peut l'autoriser à effectuer d'autres types d'actes (par exemple la vente d'un bien immobilier). Le juge fixe la durée de la mission du mandataire et sa rémunération.

    Ce mandat prend fin lorsque les héritiers régularisent une convention d'indivision ou désignent un notaire afin de partager les biens de la succession.

Les aménagements au régime légal de l’indivision

Certains outils permettant de parer aux difficultés peuvent être mis en œuvre par les héritiers pendant l’indivision, mais le défunt peut également avoir anticipé certaines situations.

Les aménagements par les héritiers

Les règles ci-dessus exposées sont prévues par la loi mais n’ont rien d’obligatoire si les héritiers indivisaires s’entendent sur une autre organisation. Il leur est ainsi possible d’ouvrir un compte bancaire d’indivision, de conclure une convention d’indivision ou de prévoir un mandat successoral conventionnel.

  • Le compte bancaire d’indivision

Tous les indivisaires ont droit aux fruits (les loyers) et leur première obligation est de contribuer aux dépenses et aux dettes à proportion de leur quote-part dans l’indivision.

Pour encaisser les loyers et faire face aux dépenses (taxe foncière, charges de copropriété, travaux,…), il peut opportunément être ouvert un compte bancaire d’indivision. Il s’agit d’un compte bancaire collectif. L’accord de tous les indivisaires sera requis pour l’ouverture de ce compte et la nomination d’un ou plusieurs mandataires pour en assurer la gestion.

  • La convention d’indivision

Il s’agit d’une convention conclue par écrit entre tous les indivisaires qui doit être dressée devant notaire lorsqu’un bien immobilier est concerné. Elle a pour objectif d’organiser les règles de gestion des biens.

Elle peut par exemple organiser les périodes d’occupation des biens par chaque indivisaire, prévoir une indemnité pour l’occupant exclusif et une répartition des frais et charges suivant l’usage de chacun. Enfin, cette convention peut opportunément prévoir un gérant de l’indivision, ses pouvoirs et son éventuelle rémunération. Il administrera les biens de l’indivision sans pouvoir les vendre et devra rendre compte de sa gestion aux autres indivisaires.

La convention d’indivision peut être prévue pour une durée indéterminée. Cependant, si un délai est fixé (cinq ans maximum), il ne sera pas possible de demander le partage pendant cette période.

  • Le mandat successoral conventionnel


Les indivisaires peuvent donner à un membre de l’indivision ou à une personne extérieure un mandat successoral. Une grande liberté est offerte pour déterminer le mandataire et ses missions. Un tiers à l’indivision peut être nommé pour l’administration des biens de la succession, même un notaire ou un avocat, jusqu’au terme des opérations de compte, liquidation et partage. 

Ces outils doivent être envisagés par les indivisaires eux-mêmes dans un temps apaisé, en prévision des difficultés. En effet, une fois la mésentente installée, ces outils seront difficiles à mettre en place.

L’anticipation par le défunt

Il est possible d’anticiper de son vivant certaines difficultés, soit en répartissant ses biens entre ses héritiers, soit en nommant une personne de confiance pour gérer les biens de la succession dans certaines situations ou s’assurer de la bonne exécution de ses dernières volontés.

  • La répartition des biens entre ses héritiers

Répartir ses biens entre ses héritiers peut intervenir par donation ou testament.

Une donation-partage permet de partager de son vivant entre ses héritiers tout ou partie des biens de son patrimoine. Par le partage anticipé, l’indivision est évitée.

Un testament-partage permet de répartir ses biens entre ses héritiers à compter de son décès. Dans ce cas les héritiers n’ont plus que deux choix, accepter la succession et la répartition faite par le défunt, ou renoncer à la succession. Ce type de testament peut poser des difficultés en pratique, notamment sur l’équilibre des lots.

Sans répartir tous les biens entre tous ses héritiers, et afin d’éviter qu’ils soient tous en indivision sur les biens, il peut être opportun de léguer l’ensemble de ses biens à un seul de ses héritiers, à charge pour lui d’indemniser les autres (notamment avec le prix de vente). Cela permet à un seul des héritiers d’avoir tous pouvoirs de vendre les biens de la succession.

En présence d’un héritier mineur, il est également possible de lui donner ou de lui léguer un bien, sous la réserve que la gestion en soit assurée par une personne de son choix. Cet outil est très simple à mettre en place et très efficace, mais ne jouera que pendant la minorité de l’héritier.

  • La nomination d’une personne de confiance : Mandat à effet posthume et exécuteur testamentaire


Sous réserve de justifier d’un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne d’un des héritiers (présence d’un mineur par exemple) ou du patrimoine du défunt (entreprise à diriger ou biens nécessitant des compétences particulières), il est permis de désigner de son vivant un ou plusieurs mandataires pour gérer et administrer tout ou partie des biens de son patrimoine, après son décès, et pour le compte et dans l’intérêt d’un ou plusieurs héritiers. Ce mandat permet d'anticiper les difficultés dans la gestion des biens de la succession.

Au décès du mandant, le mandataire pourra prendre des mesures conservatoires et de surveillance pour le compte et dans l’intérêt des héritiers identifiés dans le mandat. Les pouvoirs du mandataire devront être bien encadrés car ils s’exerceront sous réserve des pouvoirs éventuellement confiés à l’exécuteur testamentaire (voir ci-dessous). Le mandataire ne peut pas vendre les biens de la succession. Seuls les héritiers peuvent décider de vendre les biens de la succession et cette vente mettra automatiquement fin au mandat puisqu’il n’aura plus d’objet.

Pour être valable, le mandat à effet posthume doit être rédigé par acte notarié, et accepté par le mandataire. Selon les cas, sa durée ne peut excéder deux ans ou cinq ans, mais est prorogeable une ou plusieurs fois par décision du juge.

  • La nomination d’un exécuteur testamentaire

Il est enfin possible de désigner par testament une personne chargée de surveiller l’exécution de ses dernières volontés, voire de les exécuter lui-même.

Toute personne peut être nommée exécuteur testamentaire, qu’elle soit héritière ou non.

L’exécuteur testamentaire prendra les mesures conservatoires utiles et pourra provoquer la vente du mobilier à défaut de liquidités suffisantes pour acquitter les dettes urgentes de la succession.

Cette mission n’est que provisoire et s’achèvera par principe au plus tard deux ans après l’ouverture du testament, sauf prorogation judiciaire.

Une grande liberté existe dans les pouvoirs à attribuer à l’exécuteur testamentaire, puisqu’il est possible de l’habiliter à vendre certains meubles ou immeubles, recevoir et placer les capitaux, payer les dettes et les charges et procéder au partage des biens entre les héritiers. L’étendue des pouvoirs de l’exécuteur testamentaire doit être minutieusement délimitée dans le testament.

Ce qu’il faut retenir

Sauf à répartir l’ensemble de ses biens entre ses héritiers de son vivant, le défunt laissera inéluctablement certains biens en indivision.

Malgré les difficultés couramment rencontrées, le régime de l’indivision a le mérite de prévoir certaines règles de gestion et une sortie judiciaire en cas de mésentente.

Afin de parer au mieux aux difficultés qui ne peuvent jamais toutes être imaginées en amont, il convient de les anticiper. Régler les successions étant au cœur de sa profession, le notaire est le professionnel privilégié des familles et sera le plus à même de les conseiller pour anticiper ou régler les difficultés.

Nadège Souleillan & Henri Chesnelong • Notaires à TOULOUSE

Source : 25 millions de propriétaires • N°mars 2020


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