Quand le bien immobilier devient bouquet de services

La tribune libre donne la parole à Alain Bourdin*

Quand le bien immobilier devient bouquet de services

25 Millions de propriétaires donnent la parole à des responsables politiques ou issus de la société civile. Ce mois-ci, Alain Bourdin*, professeur des universités, sociologue et urbaniste, intervient. Réagissez et écrivez-nous sur les réseaux sociaux @UNPI_FR @unpinationale #proprios.

Le métier de propriétaire n’a pas toujours été si compliqué. Et c’est au moment où il le devenait que les biens immobiliers des institutionnels et des entreprises ont été transformés en un actif comme un autre par les asset managers, que les propriétaires rentiers se sont fait rares et que les propriétaires occupants n’ont été que peu nombreux à devenir de vrais techniciens de la copropriété. Or si ce métier change et changera, il aura une grande importance dans la ville de demain.

Dès aujourd’hui, l’usage l’emporte sur l’objet. C’est ce qui a conduit une firme célèbre à ne plus vendre des photocopieuses mais du service de photocopie, d’autres du service automobile plutôt que des véhicules etc. Les grands groupes de l’immobilier se préoccupent tous de mettre une plus grande part de service dans leurs produits, qu’il s’agisse d’espaces de travail ou de résidence. Les théories de l’économie des fonctionnalités montrent combien cette évolution peut transformer le modèle économique dominant.

Cela n’entre pas du tout en contradiction avec les exigences de la révolution énergétique et encore moins avec les effets de la révolution numérique. Toutes deux sont en cours : l’une commande notre survie, ou au moins ses modalités ; l’autre définit le contexte technologique dans lequel nous vivrons. La « ville intelligente » reposera sur une organisation caractérisée par des dispositifs de gestion en temps réel, par exemple la capacité de moduler le nombre de rames sur un métro automatique en fonction de l’affluence, ou encore celle de retarder automatiquement le démarrage des machines à laver quand se produit un pic de consommation électrique. Pour l’usager, cela se traduira par des services, qu’il s’agisse de domotique, d’aide au stationnement, de conciergerie d’entreprise et surtout de services que nous n’imaginons pas encore et qui s’inscriront de manière tout à fait banale dans notre horizon quotidien.

Bref, la ville intelligente et décarbonée sera aussi celle des services. Mais son destin ne se fera pas tout seul, il exige l’intervention d’un gouvernement des villes et des choix politiques pour trancher entre les différentes orientations possibles ou les combiner. Il exige également le développement de savoirs et de savoir-faire : ceux de la gestion des services, bien au-delà de ceux que l’on connaît classiquement (distribution des fluides, services publics, assistance aux personnes âgées etc.) et bien plus au cœur de la vie quotidienne privée des individus, et, en particulier, bien plus dans le logement. Demain les lieux de l’habiter ne se limiteront peut être pas au logement, on le voit déjà avec l’usage de certains tiers lieux (de co working ou autres), mais il en restera le centre et le propriétaire devra de plus en plus prendre en compte sa dimension servicielle et y intervenir.

La gestion des services est déjà - on le voit avec les conciergeries - et sera encore plus complexe et délicate. Il y faudra et il y faut des professionnels, ce qui redonne toute son importance au métier de propriétaire, c’est-à-dire le plus souvent à celui de représentant des propriétaires. Aujourd’hui ce sont surtout les syndics de copropriété et tout laisse penser que demain - par exemple pour la gestion des réseaux électriques privés - les formules dérivées de la copropriété vont plutôt se développer. Mais au-delà de cet acteur central et de ses possibles évolutions se pose plus largement la question des professionnels de la gestion de ce qui sera de plus en plus un ensemble de services dans une « coquille » immobilière et de l’existence de véritables tiers de confiance pour aider, accompagner et représenter le propriétaire dans le mouvement de profonde transformation des villes qui s’opère.

Alain Bourdin
Professeur des universités, sociologue et urbaniste

*Alain Bourdin est membre du lab’urba (École d’Urbanisme de Paris, Université de Paris-Est) et directeur de la Revue International d’Urbanisme (riurba.net). Il publie début 2019 Faire centre aux éditions de l’Aube.

Lire la tribune / janvier 2019