Les nuisibles ne sont pas des invités souhaitables dans les logements. Il faut les traiter avec rapidité et efficacité. Qui doit en prendre la charge ? Voici la question essentielle car les punaises de lit, les puces, les guêpes, les frelons, ou encore les rongeurs nuisent aux rapports locatifs.
La question de la responsabilité va nécessairement se poser. Il faudra tenir compte de l’obligation générale de délivrance du bailleur qui lui impose de louer un logement en bon état et de garantir son bon entretien pendant toute la durée du bail qui se combine aux obligations d’entretien courant du locataire.
L’article 6 de la loi du 6 juillet 1989[1] dit « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, (…)
Le bailleur est obligé :
La mention « exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasitaires » en première ligne de l’article a été ajouté par la loi ÉLAN[2]. Pourquoi insister sur ce point alors qu’il est évident que louer un logement décent comprend nécessairement de ne pas louer un logement infesté de puces, de cafards ou autre nuisible ?
L’explication se trouve dans l’exposé de l’amendement, déposé lors de l’examen du texte au Sénat, qui a ajouté cet article à la loi. La lutte contre la prolifération des punaises de lit est l’argument retenu. On peut regretter que les pouvoirs publics pointent spécifiquement ce sujet uniquement sur les obligations et donc la responsabilité du bailleur.
Une présomption pèse-t-elle sur le bailleur en cas de nuisibles découverts dans le logement après l’entrée du locataire ? On ne peut pas aller jusque-là mais il est évident que le bailleur devra apporter la preuve (délai d’éclosion des œufs, date de dernière désinsectisation...) du respect des normes de décence dans cette location et de « la faute » du locataire car le bailleur est tenu à cette obligation de délivrance tout au long du bail.
S’ils sont de plus en plus saisis par cette problématique lourde, les pouvoirs publics ne doivent pas oublier que la présence de punaises de lit ou de tout autre nuisible peut être consécutive à l’occupation du logement par un locataire.
Si on voulait faire un parallèle avec les obligations du bailleur sur la lutte contre les nuisibles, aucune mention n’a été ajoutée à l’article 7 de la loi de 1989 recouvrant les obligations du locataire. Cet article énonce cependant une obligation claire d’entretien et de bonne occupation des lieux.
« Le locataire est obligé :
Le locataire a l’usage exclusif des parties privatives et doit en assurer l’entretien conformément à la loi. Cela inclut toutes les mesures nécessaires de prévention et de traitement des nuisibles (logement propre, sans détritus, chauffé, aéré...).
Depuis quelques années, les punaises de lit sont « la bête noire » des autorités sanitaires. S’il existe désormais un traitement efficace contre ces petits insectes discrets et difficiles à éliminer, cela ne résout pas tout car il faut faire appel à des professionnels qui traitent les lieux par un procédé thermique (le plus efficace) en plusieurs interventions, afin de tenir compte du délai d’éclosion des œufs plus résistants à la chaleur. Le coût de ce traitement, sa durée, ses conditions (logement entièrement vidé pendant plusieurs semaines notamment) sont autant d’obstacles à surmonter et de cause de négligence potentielle de locataires face à ce problème.
S’agissant des animaux domestiques, leur détention ne peut être interdite au locataire en résidence principale. Néanmoins, la puce parasite principalement les chats et les chiens. Ses œufs peuvent se détacher aisément de leurs poils et tomber un peu partout dans un logement. Si les conditions de température et d’humidité sont favorables, il peut y avoir une éclosion rapide de ces puces de parquet. Le locataire détenant un animal domestique doit traiter son animal contre les parasites afin de respecter la bonne occupation des lieux.
Les punaises de lit colonisent rapidement les logements en se développant grâce à la chaleur. Comment y arrivent-elles ? Séjour dans un hôtel infesté, réception d’amis dont les valises sont habitées, mobilier acheté d’occasion, déménagement par une société n’ayant pas désinsectisé son matériel entre deux clients… Comme pour tout nuisible, les possibilités sont nombreuses, d’où la recherche des responsabilités par les tribunaux.
Le contrat de location fait naître une obligation d’entretien qui se caractérise en partie par des charges et des réparations dites locatives. Pour une question de clarté, il faut mémoriser la distinction suivante :
Seul le coût des « produits relatifs à la désinsectisation » est mentionné comme récupérable sur les locataires selon le décret n°87-713. Les frais de personnel restent à la charge du bailleur. Ce partage des coûts de désinsectisation des parties communes a été affirmé par la Cour de cassation[3] suivant une interprétation littérale du texte.
La dératisation n’y étant pas énumérée, selon le même raisonnement, la dératisation des parties communes de l’immeuble ne peut être imputée au locataire. La Cour de cassation[4] confirme ainsi sa position[5] et sanctionne une Cour d’appel ayant inclus les travaux de dératisation dans les dépenses d’entretien de propreté des parties communes incombant aux locataires.
Pour garantir l’efficacité du traitement, l’accès aux parties privatives de l’immeuble peut s’imposer. Ici deux questions se posent : la répartition des frais et l’accès. S’agissant de l’accès, si le locataire le refuse malgré des démarches amiables, l’issue est judiciaire. En raison du principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile, seule une décision de justice peut imposer à l’occupant des lieux de laisser l’accès à son domicile, tel que rappelé dans une réponse du ministère du Logement interrogé sur le sujet en 2013[6].
La réponse est moins claire s’agissant de la répartition des frais. Le traitement des parties privatives entre-t-il dans la liste des charges récupérables ?
La jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, à l’égal des arrêts pris en exemple ci-dessus, est une interprétation stricte du texte. Sans que les arrêts disent que les parties privatives sont exclues, toutes les décisions sont fondées sur le même argument : il faut se borner à ce qui est inscrit dans le décret sur les charges locatives. Pour un autre exemple, la Haute cour exclut des charges récupérables le dégorgement des canalisations du vide ordure, considérant que cela n’entre pas dans « les dépenses de produits relatifs à la désinsectisation et à la désinfection » car « la liste de l'annexe au décret du 26 août 1987 a un caractère limitatif »[7] . La Cour d’appel de Paris[8], avec une interprétation plus large de la législation, a décidé que les opérations de désinsectisation et de désinfection d’un vide-ordure sont totalement à la charge des locataires lorsqu’elles n’intéressent que les parties privatives, faute de disposition contraire dans les textes.
Que conclure ? Les arrêts de la Cour de cassation sont postérieurs à cette décision et, par ailleurs, l’examen du décret permet de constater qu’il n’est question de charges récupérables sur les locaux privatifs uniquement lorsqu’un équipement collectif est concerné (chauffage, eau chaude, distribution eau). L’intégralité du reste du texte concerne des charges récupérables sur les parties communes (ascenseur, minuterie, ménage, entretien des espaces verts...). Dans ce cas, on peut voir l’arrêt de la Cour d’appel de Paris plutôt comme une exception, peut être liée aux circonstances précises soumise à son jugement.
Si le traitement des parties privatives ne peut être une charge récupérables, il pourrait entrer dans les réparations locatives en l’absence de toute responsabilité extérieure à la présence des nuisibles dans le logement.
La recherche du lien de causalité entre la présence des nuisibles et l’état et l’occupation du logement, d’après les obligations légales respectives du bailleur et du locataire, doit permettre d’identifier les responsabilités. En l’absence de règlement amiable, la situation est laissée à l’appréciation des juges. Plusieurs jurisprudences en sont l’exemple.
S le principe est que la désinsectisation et la dératisation ne sont pas plus inscrites dans le décret des réparations locatives que des charges récupérables et qu’en conséquence le principe retient de ne pas les facturer au locataire, cela reçoit exception lorsque le bailleur peut prouver que ces traitements sont rendus nécessaires par la faute du locataire.
Ainsi, la Cour d’appel de Chambéry[9] a pu déduire que la totalité des interventions de désinsectisation était à la charge du locataire, pour un appartement infesté de punaises, ce qui était la conséquence d’un état de saleté des lieux résultant du défaut d’entretien du locataire.
Pour un exemple contraire, la Cour d’appel de Bordeaux[10] a retenu la non-décence du logement loué en raison de l’humidité des lieux ayant favorisé l’apparition massive de cafards. Les juges, sur la base du décret 87-712, ont mis la désinsectisation à la charge du bailleur, celle-ci ne figurant pas à la liste des travaux d’entretien et menues réparations précisées en annexe du décret. En l’espèce, il faut relever que l’état général des lieux a justifié la décision.
Autre cas d’espèce, la Cour d’appel de Rennes[11] a également retenu la responsabilité du bailleur, cette fois sur le fondement du vice caché et non plus de l’obligation d’entretien. En effet, six jours après l’état des lieux d’entrée, la présence de puces a été décelée rendant l’appartement inoccupable. Lors de l’instance, le bailleur a reconnu avoir obtenu la condamnation de la locataire précédente au titre des frais de désinsectisation à laquelle il a dû procéder à son départ. La Cour retient qu’il ne pouvait se prévaloir du caractère apparent du vice auquel le bailleur n’était pas tenu de garantir les conséquences, comme l’avaient retenus les juges de première instance.
La responsabilité du bailleur a également été retenue par la Cour d’appel de Paris[12]mais sur le fondement du trouble subi dans l’usage de la chose louée pour la présence de cafards dans l’appartement loué.
La question des nids de frelons ou de guêpes est plus difficile, sans jurisprudence à l’appui. Le coût du retrait du nid rebute souvent les locataires qui réclament l’intervention du bailleur. Le décret fixant la liste des réparations locatives précise, à propos des jardins privatifs, que le locataire prend en charge l’entretien courant, mettant expressément à sa charge l’échenillage des arbres et arbustes. Il est cohérent d’en déduire qu’il peut en être de même pour l’enlèvement d’un nid de frelons ou de guêpes, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux.
Céline Capayrou
[1] Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs
[2] Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique – art. 142
[3] Cour de cassation, Civ. 3, 10 mars 1999, n°97-10499
[4] Cour de cassation, Civ. 3, 29 janvier 2002, n°99-17042
[5] Cour de cassation, Civ. 3, 24 février 1999, n°97-14386
[6] Réponse ministérielle, Journal Officiel Assemblée nationale, 6 août 2013, n° 27138
[7] Cour de cassation, Civ. 3, 27 novembre 2002, n°01-11132 et 1er avril 2003, n°02-10172
[8] Cour d’appel de Paris, 6ème ch. B, 13 mai 1993
[9] Cour d’appel de Chambéry, 28 octobre 2010, RG n° 10/00527
[10] Cour d’appel de Bordeaux, 1re ch. A, 9 mai 2014, n° 12/06806,
[11] Cour d’appel de Rennes, 4ème ch., 11 mars 1999
[12] Cour d’appel de Paris, 6ème ch. C, 24 septembre 2002, n° 2001/17904
Source : 25 millions de propriétaires • N°mars 2019
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