Il faut le dire et le répéter : les dispositions législatives relatives au bail commercial sont d’ordre public ! Cela signifie qu’elles s’appliquent même si les parties ne le souhaitent pas, à partir du seul moment où les conditions légales sont réunies ; la condition principale étant l’exploitation d’un fonds de commerce dans les locaux loués.
Ce caractère d’ordre public vise à protéger les parties au contrat ; plus spécifiquement, les dispositions concernant la durée du bail sont essentiellement destinées à permettre au commerçant preneur de développer sa clientèle sans avoir à redouter une éviction de la part du bailleur, et ainsi de rentabiliser les investissements qu’il peut faire dans le fonds exploité.
La durée du bail n’est toutefois pas la même pour le bailleur et pour le preneur :
Or cette protection « par la durée » n’est pas toujours opportune ; en effet, bailleur comme preneur peuvent, pour des raisons diverses, souhaiter s’engager pour une durée moindre :
Trois types de contrat répondent à ces objectifs.
Ce type de bail est défini par l’article L. 145-5 du Code de commerce dans les termes suivants :
Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. A l'expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux.
Si, à l'expiration de cette durée, et au plus tard à l'issue d'un délai d'un mois à compter de l'échéance le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre.
Il en est de même, à l'expiration de cette durée, en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local.
Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier.
Le bail dérogatoire est un libre choix du bailleur et du preneur qui décident, alors même que les conditions d’application du statut des baux commerciaux sont réunies, de s’y soustraire, au moins partiellement. Les locations saisonnières sont quant à elles soumises au Code civil et non au Code de commerce (voir infra).
Il n’y a donc pas de conditions spécifiques (outre la durée), liées par exemple au type de local ou au secteur d’activité du preneur. Toutes les parties ayant vocation à se voir appliquer le statut des baux commerciaux peuvent s’en émanciper pour une durée de 3 ans.
Le texte de l’article L. 145-5 du code de commerce n’énonce pas que toutes les dispositions du statut sont exclues. Il dispose simplement qu’une dérogation à ce statut est possible si le bail est d’une durée inférieure à 3 ans. Cela suppose :
Le texte de l’article L. 145-5 du Code de commerce, modifié en 2014, prévoyait initialement une durée de 2 ans pour le bail dérogatoire. L’une des questions, avant la réforme, était de savoir s’il pouvait y avoir une succession de plusieurs baux dérogatoires à l’intérieur de la période de deux années ou bien si la signature d’un seul bail, même de 3 mois par exemple, épuisait les facultés de dérogation offertes par le Code de commerce. Après quelques hésitations, la jurisprudence avait permis la conclusion entre les mêmes personnes et pour le même local, d’un second bail dérogatoire au cours de la période de deux ans.
Le nouveau texte est aujourd’hui plus explicite puisqu’il vise une durée maximale de 3 ans du bail ou des baux successifs. Il est donc possible de signer autant de baux dérogatoires que souhaité, à l’intérieur du délai triennal.
Le bail dérogatoire n’est assujetti à aucune condition de forme particulière, mais il est bien entendu préférable qu’il soit écrit, ne serait-ce que pour faire la preuve de sa durée et des obligations, notamment financières, qu’il contient.
L’article L. 145-5 prévoit en outre qu’un état des lieux est établi lors de la prise de possession des locaux par un locataire et lors de leur restitution, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, et joint au contrat de location.
Si l'état des lieux ne peut être établi à l’amiable, il est établi par un huissier de justice, sur l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire .
Plusieurs possibilités s’ouvrent à la fin du premier bail dérogatoire :
Le bail commercial qui se forme à l’expiration du bail dérogatoire reprendra les conditions du bail dérogatoire précédent, à l’exception bien entendu des règles d’ordre public et des règles relatives à la durée.
A défaut d'accord entre les parties, le loyer du bail commercial nouvellement en vigueur devra être basé sur la valeur locative du bien, c’est-à-dire la valeur de marché des locaux.
Cette mutation du contrat dérogatoire en bail commercial est généralement contraire au but recherché par les parties. Il est donc conseillé au bailleur de donner congé avant l’expiration du bail. Le délai et la forme de ce congé ne sont pas réglés par la loi. On conseillera un congé donné par lettre recommandée ou exploit d’huissier, 2 mois avant la date de fin du bail.
Avant la loi du 18 juin 2014, à l’époque où le bail dérogatoire était limité à 2 ans, la jurisprudence avait décidé qu’à l’expiration du bail dérogatoire, le locataire avait la possibilité de renoncer au statut des baux commerciaux, en signant un nouveau bail dérogatoire contenant une clause de renonciation expresse. La nouvelle rédaction de l’article L. 145-5 du Code de commerce semble fermer cette possibilité puisque le texte prévoit qu’à l’expiration des 3 années les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. Certains spécialistes pensent toutefois qu’il faut attendre que la Cour de cassation se prononce pour savoir si la possibilité de renonciation au statut est ou non maintenue.
La référence aux locations saisonnières apparaît dans le quatrième alinéa de l’article L. 145-5 du Code commerce qui dispose que « les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s'il s'agit d'une location à caractère saisonnier » (les deux alinéas précédents sont ceux qui prévoient que si le bail dépasse 3 années il devient un bail commercial).
Cette dérogation est naturelle puisqu’un nombre important de commerçants, notamment ceux exploitant leur activité sur une zone touristique, n’ont besoin de leur local que quelques mois dans l’année : loueur de skis, vendeur de maillots en station balnéaire par exemple… Ces preneurs, bien qu’exploitant un fonds de commerce, pourront signer un bail de quelques mois seulement, et renouveler l’opération chaque année, sans que leur contrat ne dégénère en bail commercial à aucun moment.
Plusieurs questions se posent :
La convention d’occupation précaire ressemble beaucoup à un bail au sens où elle confère au preneur un droit d’occupation temporaire contre paiement. Elle est une création, déjà ancienne, de la jurisprudence, permettant au bailleur et au preneur de contracter alors que le bailleur n’est pas en mesure de respecter les règles du bail commercial, pour des raisons précises et indépendantes de sa volonté. Elle tend aujourd’hui à être supplantée par le bail dérogatoire de moins de trois ans décrit ci-dessus.
Depuis la loi du 18 juin 2014, la convention d’occupation précaire est définie à l’article L. 145-5-1 du Code de commerce, qui n’a fait que graver dans le marbre la jurisprudence applicable :
N'est pas soumise au présent chapitre la convention d'occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l'occupation des lieux n'est autorisée qu'à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.
Il ressort de cette définition :
Ont ainsi été jugées comme circonstances exceptionnelles :
Les motifs de la précarité doivent être sincères et légitimes. L'occupant ne sait pas à quel moment son bail prendra fin. Le terme prévu est en général un événement qui peut intervenir à tout moment et qui ne peut pas être précisé à l'avance. Il n'a donc aucun espoir de conserver le local loué pour l'exploitation de son fonds de commerce.
La convention d’occupation précaire n’est pas obligatoirement écrite, mais pour des motifs de preuve et même de validité, l’écrit est fortement conseillé car il permet d’établir avec certitude les circonstances du recours à une telle convention plutôt qu’à un bail classique.
La convention d’occupation précaire est normalement soumise aux principales dispositions des articles 1709 et suivants du Code civil, notamment du point de vue des obligations de jouissance des parties. Toutefois certains auteurs dénient à la convention d’occupation précaire la qualification de bail et rejettent par conséquent l’application des règles du Code civil.
De même, le prix du bail porte en principe le nom d’indemnité d’occupation et non pas de loyer.
Laurent Grosclaude • Maître de conférences UT1 Toulouse Capitole
Source : 25 millions de propriétaires • N°octobre 2019
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